7 juillet 2011

Que «ma» volonté soit faite

«Les actions du méchant lui sont inspirées par la crainte de souffrir ou par le désir d'accroître sa jouissance, sans qu'il s'aperçoive qu'en les commettant il risque au contraire d'attirer plus de souffrance sur lui et introduit, dans sa joie, le poison de l'insécurité.»
~ Alexandra David-Néel

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La logique de l'échange

«Nous serions prêts à n'importe quoi pour affirmer le bien-fondé de nos idées : on irait jusqu'à ruiner sa famille ou à précipiter la perte de nations entières... Derrière toutes les guerres, on trouve l'idéologie d'une nation qui prétend détenir la Vérité et l'imposer aux autres.
      Le mental dualiste se conduit toujours en dictateur; incapable de s'ouvrir à la réalité de la situation, il veut à tout prix manipuler le monde pour lui faire avaler «sa» vérité. À chaque fois que l'ordre des priorités est renversé - en faisant passer l'idée avant la réalité -, il y a forcément manipulation du réel.
      Lorsqu'on vit de cette façon-là, tout notre univers tourne autour de deux syllabes : «je veux». C'est la logique du désir qui domine tout, quels qu'en soient les objets, - multiples et changeants, à l'infini. Cependant, la racine même du désir est toujours la même : le besoin d'affirmer et de conforter l'idée du moi, que nous prenons pour une entité réelle. Voilà pourquoi nous sommes obligés de manipuler la vie pour la faire cadrer avec notre projection du «moi».
      À vrai dire, nous ne faisons jamais rien gratuitement; le moindre de nos actes s'inscrit dans la logique de l'échange : je fais ceci, d'accord, mais en échange de cela. La vie devient une série de transactions commerciales, sauf que les termes de l'échange sont beaucoup moins clairs que dans nos achats ordinaires.
      Ainsi, si vous voulez passer pour un grand altruiste, vous ferez tout pour donner l'impression que vous n'êtes pas égoïste - même si c'est loin de correspondre à la réalité!
      Si vous vous dévouez à une cause ou à une association, vous en attendez quelque chose en retour : la reconnaissance de vos bons et loyaux services, un certain respect, un traitement de faveur. Nous sommes incapables d'un geste gratuit; il y a toujours un échange, quelque chose à gagner. Nous ferions bien d'afficher nos prix dès le départ!
      Une bonne partie des rapports familiaux s'inscrivent d'ailleurs dans cette logique vicieuse de l'échange, sous une forme plus subtile - celle du chantage affectif : «Comment, après tout ce que j'ai fait pour toi!»
      Cependant, il est rare que la vie nous apporte ce que nous attendons, et, avec un peu de maturité dans la pratique - zazen -, on se rend bien compte qu'on a toujours fait fausse route en envisageant ses rapports avec l'existence en termes d'échanges. Le monde n'est pas là pour satisfaire mes désirs et confirmer mes idées. Il est donc indispensable de se rendre compte à quel point la logique de l'échange domine nos vies, même si cette prise de conscience est douloureuse.
      La vraie pratique, la spiritualité authentique, commence quand on constate la faillite de l'échange et de l'attente. Il n'y a pas de meilleur véhicule pour avancer sur la voie. La déception est un ami précieux et un guide infaillible, même si ce n'est pas tout à fait le genre d'amitié dont nous avions rêvé!
      Résumons-nous : lorsque nous agissons à partir d'une expérience immédiate - comme quand on ramasse un grain de raisin tombé par terre -, nos actes répondent aux nécessités du moment. Ce sont donc des actes spontanés, sans manipulation de la réalité. À l'inverse, les actes qui découlent de la volonté du moi ressemblent aux diktats d'un tyran qui voudrait soumettre le monde entier à ses désirs. En voulant plaquer ses idées et ses désirs sur la réalité, on manipule le monde et les autres pour arriver à ses fins. C'est une vie de calcul, étrangère à la compassion qui, elle, donne sans rien attendre de personne. La compassion ne connaît pas l'échange.»
~ Charlotte Joko Beck

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