7 juillet 2011

La Convention

Bientôt le 14 juillet…
Beaucoup de révoltes sur la planète.
L’histoire se répète en boucle. Ou fait penser aux battants d'une porte tournante rivés sur un axe immobile.
Seuls les individus, les costumes, les décors, les armes, les nations et la période historique changent.


***
Quatre-vingt-treize, publié en 1873, est le dernier roman de Victor Hugo (1802-1885). Cette vaste fresque de la Révolution française, à travers l’opposition tumultueuse de trois hommes – un aristocrate royaliste, un républicain intransigeant et un noble passé dans les rangs du peuple – est une incontestable réussite romanesque.

Quatre-vingt-treize
Victor Hugo

Livre troisième
La Convention

Extraits

Nous approchons de la grande cime.
Voici la Convention.
Le regard devient fixe en présence de ce sommet.
Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes.
Il y a l’Himalaya et il y a la Convention
La Convention est peut-être le point culminant de l’histoire.

Du vivant de la Convention, car cela vit, une assemblée, on ne se rendait pas compte de ce qu’elle était. Ce qui échappait aux contemporains, c’était précisément sa grandeur; on était trop effrayé pour être ébloui. Tout ce qui est grand a une horreur sacrée. (…)

II
Le 14 juillet avait délivré.
Le 10 août avait foudroyé.
Le 21 septembre fonda.

Le 21 septembre, l’équinoxe, l’équilibre. Libra. La balance. Ce fut, suivant la remarque de Romme, sous ce signe de l’Égalité et de la Justice que la république fut proclamée. Une constellation fit l’annonce.

La Convention est le premier avatar du peuple. C’est par la Convention que s’ouvrit la grande page nouvelle et que l’avenir d’aujourd’hui commença.

À toute idée il faut une enveloppe visible, à tout principe il faut une habitation; une église, c’est Dieu entre quatre murs; à tout dogme, il faut un temple. Quand la Convention fut, il y eut un premier problème à résoudre, loger la Convention. (…)

Aux Tuileries, où la Convention vint siéger le 10 mai 1793, et qui s’appelèrent le Palais-National, la salle des séances occupait tout l’intervalle entre le pavillon de l’Horloge appelé pavillon-Unité et le pavillon Marsan appelé pavillon-Liberté.

IV
Qui voyait l’Assemblée ne songeait plus à la salle. Qui voyait le drame ne pensait plus au théâtre. Rien de plus difforme et de plus sublime. Un tas de héros, un troupeau de lâches. Des fauves sur une montagne, des reptiles dans un marais. Là fourmillant, se coudoyaient, se provoquaient, se menaçaient, luttaient et vivaient tous ces combattants qui sont aujourd’hui des fantômes. Dénombrement titanique. (…)

V
Au-dessous se courbaient l’épouvante, qui peut être noble, et la peur, qui est basse. Sous les passions, sous les héroïsmes, sous les dévouements, sous les rages, la morne cohue des anonymes. Les bas-fonds de l’Assemblée s’appelaient la Plaine. Il y avait là tout ce qui flotte; les hommes qui doutent, qui hésitent, qui reculent, qui ajournent, qui épient, chacun craignant quelqu’un. La Montagne, c’était l’élite La Gironde, c’était une élite; la Plaine, c’était la foule. (…)

VI
À ces hommes pleins de passions étaient mêlés les hommes pleins de songes. L’utopie était là sous toutes ses formes, sous sa forme belliqueuse qui admettait l’échafaud, et sous sa forme innocente qui abolissait la peine de mort; spectre du côté des trônes, ange du côté des peuples. (…)

VII
Au moment où ils condamnèrent à mort Louis XVI, Robespierre avait encore dix-huit mois à vivre, Danton quinze mois, Vergniaud neuf mois, Marat cinq mois et trois semaines, Le Peletier de Saint-Fargeau un jour. Court et terrible souffle des bouches humaines!

VIII
Le peuple avait sur la Convention une fenêtre ouverte, les tribunes publiques, et, quand la fenêtre ne suffisait pas, il ouvrait la porte, et la rue entrait dans l’assemblée. Ces invasions de la foule dans ce sénat sont une des plus surprenantes visions de l’histoire. Habituellement, ces irruptions étaient cordiales. Le carrefour fraternisait avec la chaise curule. Mais c’est une cordialité redoutable que celle d’un peuple qui, un jour, en trois heures, avait pris les canons des Invalides et quarante mille fusils.

IX
En même temps qu’elle dégageait de la révolution, cette assemblée produisait de la civilisation. Fournaise mais forge. Dans cette cuve bouillonnait la terreur, le progrès fermentait. De ce chaos d’ombre et de cette tumultueuse fuite de nuages, sortaient d’immenses rayons de lumière parallèles aux lois éternelles. Rayons restés sur l’horizon, visibles à jamais dans le ciel des peuples, et qui sont, l’un la justice, l’autre la tolérance, l’autre la bonté, l’autre la raison, l’autre la vérité, l’autre l’amour. La Convention promulguait ce grand axiome : La liberté du citoyen finit où la liberté d’un autre citoyen commence; ce qui résume en deux lignes toute la sociabilité humaine. Elle déclarait l’indigence sacrée; elle déclarait l’infirmité sacrée dans l’aveugle et dans le sourd-muet devenus pupilles de l’État, la maternité sacrée dans la fille-mère qu’elle consolait et relevait, l’enfance sacrée dans l’orphelin qu’elle faisait adopter par la patrie, l’innocence sacrée dans l’accusé acquitté qu’elle indemnisait. Elle flétrissait la traite des noirs; elle abolissait l’esclavage. Elle proclamait la solidarité civique. Elle décrétait l’instruction gratuite. Elle organisait l’éducation nationale par l’école normale à Paris, l’école centrale au chef-lieu, et l’école primaire dans la commune. Elle créait les conservatoires et les musées. Elle décrétait l’unité de code, l’unité de poids et de mesures, et l’unité de calcul par le système décimal. Elle fondait les finances de la France, et à la longue banqueroute monarchique elle faisait succéder le crédit public. Elle donnait à la circulation le télégraphe, à la vieillesse les hospices dotés, à la maladie les hôpitaux purifiés, à l’enseignement l’école polytechnique, à la science le bureau des longitudes, à l’esprit humain l’institut. En même temps que nationale, elle était cosmopolite. Des onze mille deux cent dix décrets qui sont sortis de la Convention, un tiers a un but politique, les deux tiers ont un but humain. Elle déclarait la morale universelle base de la loi. Et tout cela, servitude abolie, fraternité proclamée, humanité protégée, conscience humaine rectifiée, loi du travail transformée en droit et d’onéreuse devenue secourable, richesse nationale consolidée, enfance éclairée et assistée, lettres et sciences propagées, lumière allumée sur tous les sommets, aide à toutes les misères, promulgation de tous les principes, la Convention le faisait, ayant dans les entrailles cette hydre, la Vendée, et sur les épaules ce tas de tigres, les rois.

X
Lieu immense. Tous les types humains, inhumains et surhumains étaient là. (…) Apostrophes, injures, défis. Regards furieux d’un côté à l’autre, poings montrés, pistolets entrevus, poignards à demi tirés. Énorme flamboiement de la tribune. Quelques-uns parlaient comme s’ils étaient adossés à la guillotine. Les têtes ondulaient, épouvantées et terribles. Tous ces hommes! tas de fumées poussées dans tous les sens.

XI
Esprits en proie au vent.
Mais ce vent était au vent de prodigue.

Être membre de la Convention, c’était être une vague de l’Océan. Et ceci était vrai des plus grands. La force d’impulsion venait d’en haut. Il y avait dans la Convention une volonté qui était celle de tous et n’était celle de personne. Cette volonté était une idée, une idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l’ombre du haut du ciel. Nous appelions cela la Révolution. Quand cette idée passait, elle abattait et soulevait l’autre; elle emportait celui-ci en écume et brisait celui-là aux écueils. Cette idée savait où elle allait, et poussait le gouffre devant elle. Imputer la révolution aux hommes, c’est imputer la marée aux flots.

La révolution est une action de l’Inconnu. Appelez-la bonne action ou mauvaise action, selon que vous aspirez à l’avenir ou au passé, mais laissez-la à celui qui l’a faite. Elle semble l’œuvre en commun des grands événements et des grands individus mêlés, mais elle est en réalité la résultante des événements. Les événements dépensent, les hommes payent. Les événements dictent, les hommes signent. Le 14 juillet est signé Camille Desmoulins, le 10 août est signé Danton, le 2 septembre est signé Marat, le 21 septembre est signé Grégoire, le 21 janvier est signé Robespierre; mais Desmoulins, Danton, Marat, Grégoire et Robespierre ne sont que des greffiers. Le rédacteur énorme et sinistre de ces grandes pages a un nom, Dieu, et un masque, Destin. Robespierre croyait en Dieu. Certes!

La Révolution est une forme du phénomène immanent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la Nécessité.

Devant cette mystérieuse complication de bienfaits et de souffrances se dresse le Pourquoi? de l’histoire.

Parce que. Cette réponse de celui qui ne sait rien est aussi la réponse de celui qui sait tout.

En présence des catastrophes climatériques qui dévastent et vivifient la civilisation, on hésite à juger le détail. Blâmer ou louer les hommes à cause du résultat, c’est presque comme si on louait ou blâmait les chiffres à cause du total. Ce qui doit passer passe, ce qui doit souffler souffle. La sérénité éternelle ne souffre pas des aquilons. Au-dessus des révolutions la vérité et la justice demeurent comme le ciel étoilé au-dessus des tempêtes.

XII
Telle était cette Convention démesurée; camp retranché du genre humain attaqué par toutes les ténèbres, immense bivouac d’esprits sur un versant d’abîme. Rien dans l’histoire n’est comparable à ce groupe, à la fois sénat et populace, conclave et carrefour, aréopage et place publique, tribunal et accusé.

La Convention a toujours ployé au vent; mais ce vent sortait de la bouche du peuple et était le souffle de Dieu.

Et aujourd’hui, après quatre-vingts ans écoulés, chaque fois que devant la pensée de l’homme, quel qu’il soit, historien ou philosophe, la Convention apparaît, cet homme s’arrête et médite. Impossible de ne pas être attentif à ce grand passage d’ombres.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire