31 juillet 2011

Mots d’été 2

Je n’oublie pas mes amis animaux...

«Quiconque a entendu les cris d'un animal qu'on tue ne peut plus manger sa chair.»
- Confucius  
***
Commentaire au sujet du texte qui suit :
Une planète nous a été «prêtée»...
Maintenant, comme en toutes choses, notre façon d'utiliser ou de prendre soin d'un bien fait toute la différence.


J'eus une révolte, mais une révolte furieuse  

Et puis tout à coup j'ouvris les yeux comme lorsque l'on s'éveille; et je compris que Dieu est méchant. Pourquoi avait-il tué mes enfants? J'ouvris les yeux, et je vis qu'il aime tuer. Il n'aime que ça, monsieur. Il ne fait vivre que pour détruire! Dieu, monsieur, c'est un massacreur. Il lui faut tous les jours des morts. Il en fait de toutes les façons pour mieux s'amuser. Il a inventé les maladies, les accidents, pour se divertir tout doucement le long des mois et des années; et puis, quand il s'ennuie, il y a les épidémies, la peste, le choléra, les angines, la petite vérole; est-ce que je sais tout ce qu'a imaginé ce monstre? Ça ne lui suffisait pas encore, ça se ressemble, tous ces maux-là! et il se paye des guerres de temps en temps, pour voir deux cent mille soldats par terre, écrasés dans le sang et dans la boue, crevés, les bras et les jambes arrachés, les têtes cassées par des boulets comme des œufs qui tombent sur une route.

Ce n'est pas tout. Il a fait les hommes qui s'entre-mangent. Et puis, comme les hommes deviennent meilleurs que lui, il a fait les bêtes pour voir les hommes les chasser, les égorger et s'en nourrir. Ça n'est pas tout. Il a fait les tout petits animaux qui vivent un jour, les mouches qui crèvent par milliards en une heure, les fourmis qu'on écrase, et d'autres, tant, tant que nous ne pouvons les imaginer. Et tout ça s'entre-tue, s'entre-chasse, s'entre-dévore, et meurt sans cesse. Et le bon Dieu regarde et il s'amuse, car il voit tout, lui, les plus grands comme les plus petits, ceux qui sont dans les gouttes d'eau et ceux des autres étoiles. Il les regarde et il s'amuse.
- Canaille, va!

Guy de Maupassant, Moiron
Écrivain français (1850 - 1893)

***

Le Roi de la Création

Sur le parvis d’un autre monde
Disséquant la blanche colombe
Se dresse une fière tête ronde
Qui croyait disposer du monde
Il fût le Roi et la nuit tombe

Cet inventeur de découvertes
Sorti du bleu d’une mer ouverte
Fût du matin jusques au soir
Propriétaire du dérisoire
Amoureux fou du rouge sang

C’était
Le Roi de la Création
C’était
Le Roi de la Création

L’heure est venue de s’en aller
La Terre est une oeuvre achevée
Le Jardin prêté est jonché
Des corps des frères dénigrés
Et des déchets des expériences

Il part
Le Roi de la Création
Il part
Le Roi de la Création 

Source :
Le tribunal animal

29 juillet 2011

Mots d'été 1

Le livre «Parapluies» m’a donné envie de lire le premier roman de Christine Eddie : «Les carnets de Douglas». Plus je lis cette auteure, plus je deviens accro, ma foi. (Voyez le message «Autour de l’eau» du 20 juillet.)

En première page, avant d’entrer dans l’histoire, elle nous offre ce mot sublime en guise d’introduction : 
      «On s’essouffle à parcourir la terre, à l’affût de quelque trésor qui console. On écoute le chant de la mer. On lit un poème. On respire du jasmin. On tombe avec la neige. On cherche un éblouissement qui retentira encore quand les heures creuses reviendront rythmer l’ordinaire, un éclat fulgurant qu’aucune misère humaine ne peut écraser. 
      Je voulais t’offrir la beauté du monde, un recueil de consolations qui te guiderait doucement vers la lumière. C’est tout ce que j’ai trouvé pour ne jamais te quitter. Il m’aura fallu beaucoup trop de temps pour comprendre qu’ici ou ailleurs, loin de toi, la lumière est toujours tamisée. Il y a des silences impardonnables et j’essaie de me rassurer en songeant que je t’aurai au moins épargné le spectacle de ma détresse. Mais je n’écrirai plus, c’est mon dernier carnet, je te le promets. Je reviens. Attends-moi.»

*** 
Humm, droit au cœur.


Live on love and retire on it.
Love doesn’t retire, it lives.

21 juillet 2011

Bonnes vacances!

Le temps est venu de décanter.
Un bilan s’impose pour mieux redémarrer à la fin août.
Blog en veilleuse, mais quelques messages «surprise» ici et là, pour le garder «vivant».

Espérons qu’il n’y aura pas d’eau par-dessus les ponts et du feu dans la grange…  

Pendant ce temps, rien ne vous empêche de fouiller le site pour découvrir ou relire les textes de tous ces écrivains formidables qui m’ont tant inspirée.


Bonne saison à tous les fidèles lecteurs ainsi qu’à ceux qui aboutissent ici au fil d’un click.

Amusez-vous; dansez et riez votre vie!

***

Je vous laisse avec un florilège «bonheur» :

«Le bonheur, c’est quand le temps s’arrête.»
~ Gilbert Cesbron

«Le bonheur de demain n’existe pas. Le bonheur, c’est tout de suite ou jamais.»
~ René Barjavel

«Si seulement on arrêtait d’essayer d’être heureux, on pourrait peut-être profiter de la vie.»
~ Edith Wharton

«La plupart des hommes font du bonheur une condition. Mais le bonheur ne se rencontre que lorsqu’on ne pose pas de condition.»
~ Arthur Rubinstein

«Si l’on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d’attente.»
~ Jules Renard

«Le bonheur est comme un papillon. Plus vous le pourchassez, plus il est insaisissable. Mais, si vous vous assoyez calmement et vous vous intéressez à autre chose, il viendra se poser délicatement sur votre épaule.»
~ Auteur inconnu  

20 juillet 2011

Autour de l'eau


Le grand fleuve sortait de son lit tous les deux ou trois ans. (…) Le débordement durait quelques heures, parfois une journée entière, provoquant la fermeture des ponts et le détournement momentané de la circulation. (…) 
Le trente-quatrième jour de la disparition de Matteo créa l’exception. Le niveau de l’eau, gonflé par les précipitations, s’éleva d’abord lentement tandis que le sol, encore imprégné de la fonte des abondantes neiges de l’hiver précédent, se gorgeait plus que d’ordinaire. L’eau menaça de ne plus trouver où se déverser et, durant les jours qui précédèrent l’inondation, les autorités aux aguets mesurèrent nerveusement sa hauteur, sa cadence et leur progression, sans toutefois se résigner à imposer des mesures draconiennes qui risqueraient de nuire à la saison touristique, déjà mal engagée à cause de la météo. Un remblai fut néanmoins aménagé au dernier moment, aux endroits les plus problématiques, et la route longeant le fleuve fut temporairement fermée. (…)
Bien avant que la foudre ne s’abatte sur les lignes de transport électrique, entraînant une cascade de disjonctions qui allaient plonger la ville dans le noir, M. Sànchez, du troisième étage, rassembla une quinzaine d’hommes à l’extérieur pour voir ce qu’il en était. (…) 
La première goutte à traverser le remblai fut si discrète qu’elle se confondit avec la pluie. Ce sont les suivantes qui firent dévier les événements. Elles arrivèrent en amont, avec les marées fortes de la pleine lune, mais aussi en aval à cause des ruisseaux, des rivières et des lacs qui se frayèrent des passages insolites en suivant l’inclinaison des sols. Leur accumulation rapide leur permit de jaillir en flaques d’abord, petits sacs d’eau vaseuse des berges, puis en longues vagues pointues qui la dentelèrent. Incapable de se contenir davantage, le fleuve prit ses aises tout de bon et déborda. Il chemina d’abord près des rives avant d’empiéter sur l’asphalte et de déplacer latéralement, comme un crabe royal, le ressac lui assurant chaque fois davantage de terrain. En peu de temps, il accéléra son rythme au point de se précipiter sur la vieille ville avec l’impatience d’un secret mal gardé. Il traversa les rues et arracha des clôtures, abîma des bancs de parc, des monuments, des lampadaires. Il recouvrit les jardins, noya les fleurs et déracina les arbres les plus fragiles. Mais il ne s’arrêta pas là. Allongeant son bras plus loin, il s’approcha des quartiers résidentiels où il entra sans précaution, forçant les sous-sols, mordant les structures de bois, exerçant une pression brutale sur les fondations qui s’ébranlèrent les unes après les autres avec un bruit furieux. Les obstacles disparurent sous sa force et il put alors glisser sur une surface lisse, charriant ce qui se trouvait devant lui. Voitures, motocyclettes, électroménagers et meubles, mais aussi de menus objets, amoncellements de bibelots, d’ustensiles, de lampes, de vêtements, de livres, de bijoux. L’eau sale, gavée de boue et de mazout, déchira ce qui tentait de lui résister et le grand fleuve continua à se déplacer jsuqu’à ce qu’il rejoigne la rivière qui bordait le nord de la ville. Il était devenu océan.
Christine Eddie
PARAPLUIES
Alto; 2011

(Commentaire : j’ai adoré ce livre – j’aurais aimé qu’il ait 200 pages de plus. Humour, finesse, profondeur, fraîcheur. «… l’auteure des ‘Carnets de Douglas’ emboîte habilement les destins de femmes flottant entre la certitude qu’on traîne tous en soi comme un sac de plomb et l’espoir d’une éclaircie.»)

***
La jeunesse est semblable aux forêts verdoyantes tourmentées par les vents : elle agite de tous côtés les riches présents de la vie, et toujours quelque profond murmure règne dans son feuillage. Vivant avec l’abandon des fleuves, respirant sans cesse Cybèle, soit dans le lit des vallées, soit à la cime des montagnes, je bondissais partout comme une vie aveugle et déchaînée. Mais lorsque la nuit, remplie du calme des dieux, me trouvait sur le penchant des monts, elle me conduisait à l’entrée des cavernes et m’y apaisait comme elle apaise les vagues de la mer, laissant survivre en moi de légères ondulations qui écartaient le sommeil sans altérer mon repos. Couché sur le seuil de ma retraite, les flancs cachés dans l’antre et la tête sous le ciel, je suivais le spectacle des ombres. Alors la vie étrangère qui m’avait pénétré durant le jour se détachait de moi goutte à goutte, retournant au sein paisible de Cybèle, comme après l’ondée les débris de la pluie attachée aux feuillages font leur chute et rejoignent les eaux. On dit que les dieux marins quittent durant les ombres leurs palais profonds, et, s’asseyant sur les promontoires, étendent leurs regards sur les flots. Ainsi je veillais ayant à mes pieds une étendue de vie semblable à la mer assoupie. Rendu à l’existence distincte et pleine, ils me paraissaient que je sortais de naître, et que des eaux profondes et qui m’avaient conçu venaient de me laisser sur le haut de la montagne, comme un dauphin oublié sur les sirtes par les flots d’Amphitrite. Mes regards couraient librement et gagnaient les points les plus éloignés. Comme des rivages toujours humides le cours des montagnes du couchant demeurait empreint de lueurs mal essuyées par les ombres. Là survenaient, dans les clartés pâles, des sommets nus et purs.

Maurice de Guérin
LE CENTAURE

***
L’Homme et son image

Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d’être faux.
Vivant plus que content dans une erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
      Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands.
      Miroirs aux poches des galants,
      Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il va se confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer,
N’osant plus de miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal formé par une source pure,
      Se trouve en ces lieux écartés :
Il s’y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensant apercevoir une chimère vaine,
Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau;
      Mais quoi? le canal est si beau
      Qu’il ne le quitte qu’avec peine.

On voit bien où je veux en venir.
   Je parle à tous; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir,
Notre âme, c’est cet homme amoureux de lui-même;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
   Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.

Jean de La Fontaine

***
À fleur de pavé s’ouvrent des bouches quadrangulaires comme les tombeaux dans nos images de la Résurrection des Corps.
      Dans chaque tombe s’agite le bouillon de l’eau. Prêtres et fidèles se tiennent assis au bord de ces bouches et officient, versent le safran et les fleurs, lèvent les mains, se marquent le front, prononcent les formules. Les monnaies d’argent tintent sur la pierre et dans le plat.
      Les yâtris se baignent nus, les femmes avec tous leurs atours dans la vasque fumante et sulfureuse, carrée, encadrée de gradins. Il faut se boucher le nez, fermer les yeux et s’enfoncer sous la nappe bouillante : les péchés restent au fond.
      Je suis descendu dans ce purgatoire. Les pieds hachés par le chemin, les griffures d’épine et les autres blessures cuisent dans cette soupe assaisonnée de soufre. Je cours me rincer dans le fleuve échappé des glaces. Je me glisse dans un creux limpide, entre deux grosses pierres rondes où je m’accroche pour ne pas me voir aspiré par la trombe du courant.
      La nuit est froide et coupante dans le refuge aux planches disjointes, attaché comme un nid d’hirondelles sous le rebord du toit du monde.
      Quand on a passé la nuit cramponné au peu de chaleur qui est notre vie, le mieux au premier matin est de la jeter par-dessus bord, afin de la retrouver tout entière, de se retremper au bain le plus froid.
      La Djamma est si glacée ce matin que le cœur fond et se pince et qu’un vertige me brouille les yeux. Serai-je assez fort pour te supporter, clarté du diamant, pureté des hauteurs, lait de la cime?
      Djamma, es-tu bien le même fleuve que j’ai vu rouler limoneux dans Agra ce jour-là où la chaleur était si grande que je soupirais pour un bain, et ton eau si sale que j’errais désemparé sur la berge? Et c’est le même fleuve où je me suis baigné, plongeant du quai de Delhi au milieu d’un millier de pouilleux; le courant tirait et j’ai bu; j’ai bu la rinçure du linge, les rebuts des corps, j’ai bu les péchés des pénitents, j’ai bu les morts. Le même fleuve.
      Et moi, debout à l’aube, nu dans l’eau de neige, le même homme qui menait sa maîtresse danser dans les bars nocturnes, le même retourné à la source.

Lanza del Vasto
LE PÈLERINAGE AUX SOURCES  

18 juillet 2011

Quelle chaleur…

Pester contre la température ne change rien.
Même si les choses désagréables ont l'air de durer plus longtemps que les agréables, tout est éphémère.

Photo : Radio-Canada
Un texte «léger» pour équilibrer la lourdeur atmosphérique.

***
Bruno attendait Élisa, affalé sur un banc de parc, à l’ombre d’un gros érable. Cette canicule louisianaise lui donnait envie de déménager au Pôle nord. «Mais, à quoi bon, se disait-il, les glaciers sont en train de fondre!» Au bout d’une demi-heure, il la vit arriver, toute joyeuse. L’humidité ne semblait pas l’affecter du tout. Il en était presque jaloux.

- Salut, mon amour! Ah, j’aimerais tellement que l’été ne finisse jamais, j’adore ces températures-là! dit-elle en s’assoyant sur les genoux de Bruno.
Celui-ci la repoussa doucement en riant.
- Ah non, c’est déjà assez collant comme ça. Allez, au resto… à l’air frais! 
- Ouais, affreux! dit-elle en se collant davantage. 
- Mais pourquoi t’es pas restée en Indonésie, Élisa? Tu savais que nous avons un hiver ici, non?
- T’es de mauvaise foi, tu connais l’histoire. Mais il n’est pas dit que je n’y retournerai pas, bien sûr. Dis-moi, tu me suivrais là-bas? 
- Non, ma belle, j’ai toutes les misères du monde à supporter nos canicules estivales. Alors, l’Indonésie, t’oublies ça. 

Élisa se ferma comme une huître. Voyant son air piteux, Bruno ramena la conversation sur la température.
- Tu vois, ce que j’aimerais bien, c’est trouver un pays où il n’y a que des températures qui oscillent entre les 15° et 20° C, ni plus ni moins. Tu crois que ça existe? 
- Aucune idée. Y’a toujours quelque chose qui cloche de toute façon. Quand c’est pas la mousson, la sécheresse ou l’humidité tropicale, c’est l’hiver. Alors… 
- T’as bien raison. En réalité, c’pas tant les saisons qui me dérangent que les températures extrêmes. J’aimerais être capable d’adapter la température de mon corps à la température extérieure. Comme ça, on n’aurait pas besoin de systèmes de climatisation ni de chauffage. Bye, bye, factures d’hydro! 
- T’es fou! dit Élisa en lui plaquant un bec sur le bout du nez. Allez, on y va, j’ai très faim. 

Le Bistrot à Gérard était à deux pas du parc Laurier.
- Tu sais quoi, dit Bruno, je trouve que les Miss Météo incitent les gens à obséder sur la température. Comme si toutes nos activités ne dépendaient que du temps qu’il fait. Vraiment idiot. Moi, j’aime ça quand y pleut, les gens sont plus calmes, moins proactifs, moins yang. Tu vois ce que je veux dire? Quoique... les canicules ont l'effet contraire.   

Un ado bouscula Bruno par mégarde.
- Dis donc, t’es pas capable de regarder où tu marches?
- Quel bougon! Tu disais que les gens sont conditionnés par la température? J’espère que t’imagines pas faire exception?
- C’pas dans ce sens-là que je l’entendais. Hum, disons que je vire facilement antisocial avec ces chaleurs de fournaise. Désolé, j’ai perdu le contrôle. Enfin, nous y voilà. Je vais redevenir moi-même, t’inquiète pas. 

Le patron, d’origine provençale, les accueillit chaleureusement.
- Bonjour! Vous allez bieng? Même coing que d’habitude? 
- Oui, oui, c’est tranquille de ce côté-là.
- Parlez-moi d’une température, pas beau ça? dit Gérard en apportant le pastis.
- Tu veux tourner le fer dans la plaie? En passant, tu pourrais peut-être augmenter la climatisation… 
- Pas question, s’exclama Élisa, y fait suffisamment frais comme ça. 
- Pardi, c’est beau, les enfants. Je vous sers la marmite du jour arrosée de vin blanc? 
- Oui, on te fait confiance, répondit Bruno.

Ils entamèrent les amuse-gueules avec appétit et oublièrent la température.
Soudain, l’éclairage et le son s’éteignirent dans un pow! retentissant.
- Ah, non, c’pas vrai! On va pas me gâcher le moment le plus agréable de la journée. J’le prends pas! 
- Panique pas; ça pourrait se rétablir rapidement. 
L’éclairage revint et Gérard apporta le potage en disant :
- Par chance que j’ai une génératrice assez puissante. Mais, désolé les amis, pas de climatisation. 

Bruno se renfrogna et attaqua la bisque. Les deux hommes d’affaires de la table voisine suaient à grosses gouttes dans leur potage, comme au sauna. Au bout de quinze minutes, le patron ouvrit les fenêtres car on manquait d’air. La majorité des clients mangeaient en silence, vu l’absence de fond sonore; et tous se taponnaient le visage avec leurs serviettes de table. Seule Élisa ne transpirait pas, très à l’aise dans ce climat singapourien. 

Bruno régla la facture, salua Gérard et sortit. Toute la chaleur et l’humidité accumulées s’échappant de l’asphalte, des murs et des automobiles lui tombèrent dessus comme une poisse. Les étoiles avaient remplacé le soleil incandescent. Pas d’éclairage de rue. «Au moins, on peut voir les étoiles!», marmonna-t-il.

Une bonne demi-heure de marche les séparait du stationnement. Élisa se serra contre Bruno.  
- Alors, M. Fru, ça va? Pas toujours facile de lâcher prise, han?
- J’étais déçu, c’est tout, répondit-il en la prenant par la taille. Je m’en veux d’avoir laissé le désagrément gâcher mon plaisir d’être avec toi. Mais, attends que je me rattrape, la soirée n’est pas finie. On va se coller, tant pis pour la chaleur. Qu’en dis-tu? 
- Pas d’objection, M. Fru. Le problème c’est qu’avec cette température, ce qu’on veut coller décolle, et ce qu’on veut décoller colle. Alors, on fera pour le mieux… 

Ils s’étreignirent dans un long baiser collant qui mit du baume sur les petites irritations de la journée.
~ Mestengo © 2005

16 juillet 2011

Réflexions du jour

Puisque je ne connais pas l’avenir,
je choisis de ne pas m’en inquiéter.
(Esprit zen)  


Le doute de soi

Notre cœur est le siège perpétuel d’une bataille secrète. Le doute de soi qui nous assiège en silence prend la forme d’un constant désir de faire ce qu’il faut : qui être… que faire… comment agir; et chaque nouvel affrontement nous force à relever ce défi. Toutefois, notre désir de bien faire masque soigneusement notre crainte de commettre des erreurs qui, elle poursuit sa marche infatigable. Donc, même si cela ne nous apparaît pas clairement, nous sommes dans les deux camps de la bataille.
      Ce qui m’amène à penser… Comment peut-on gagner une guerre quand on est soi-même la bataille?
      Le doute de soi fait partie intégrante de nos réflexions sur nous-mêmes, car chacune de nos pensées renferme une pensée opposée et cachée qui se remet elle-même en question. Une façon simple de se retrouver, quand on est assailli par une foule de pensées ou de sentiments contradictoires, consiste à se rappeler que l’on n’est pas ces pensées ni ces sentiments.

L’indécision

Il nous est tous arrivé de ressentir une inquiétude et une tension secrète devant la nécessité de prendre une décision importante. Notre souffrance découle du fait que nous préférerions ne pas avoir à choisir, et, tout en sachant que ce n’est pas en demeurant passifs que nous nous sentirons mieux, nous savons aussi que dans cette position relativement sûre, au moins nous ne pourrons pas faire le mauvais choix.
      Ce qui m’amène à penser… Si la peur est le fondement de l’indécision, l’indécision en soi est-elle une erreur?

Repartir à zéro

Les événements exigent que l’on prenne des décisions, que l’on opère des choix. Nous faisons de notre mieux à chaque instant. Malgré tout, il nous arrive souvent de nous tromper et de faire des choix qui vont à l’encontre de nous-mêmes. Pendant une fraction de seconde, nous sentons que nous nous égarons et tentons de corriger notre erreur, mais nous demeurons prisonniers de la force d’impulsion du moment. Comme les dés sont jetés, nous pouvons seulement espérer ne pas nous retrouver sur un rivage peu hospitalier. En réalité, nous ne sommes pas tenus de nous soumettre à une marée d’événements sinistres. Seule la vague de nos pensées peut nous transporter. Nous pouvons recommencer à neuf chaque fois que nous nous rappelons que rien de réel ne nous empêche de demeurer sur la terre ferme.
       Ce qui m’amène à penser… Où est-il écrit que l’on doive renoncer à sa vie et demeurer captif d’un conflit ou d’un regret déchirant?
       Rien n’est inévitable tant que nous sommes prêts à recommencer à neuf jusqu’à ce que nous ayons modifié notre cap. La nouveauté du moment présent n’a pas de contraires et, par conséquent, ne connaît jamais l’opposition. Cela explique pourquoi le désir sincère de repartir à zéro ne peut faire autrement qu’être comblé.
       Songer à repartir à zéro ne constitue pas davantage un nouveau départ que la lecture d’un livre sur l’alpinisme n’égale la profonde bouffée d’air frais que seule votre présence sur la montagne peut vous apporter.

L’anxiété

Voici un fait intéressant et observable. Toutes les émotions négatives se contredisent. Elles promettent une chose, mais en livrent une autre. Prenons l’anxiété. Cette émotion affirme toujours qu’il faut agir sur-le-champ afin de nous protéger d’une situation imprévue potentielle ou en train de se préparer. Or, plus nous lui accordons du pouvoir, moins nous en avons sur nous-mêmes pour freiner notre insécurité croissante.
      Ce qui m’amène à penser… À quoi bon tenter de prévenir toute inquiétude future si, à la suite de cette tentative futile, nous créons sans le savoir le chagrin même que nous cherchions à éviter?

Les «patterns» douloureux

Les habitudes sont importantes quand on veut conserver un certain ordre. L’ordre engendre la sécurité. La sécurité est la pierre angulaire de la liberté. De la liberté découle le pouvoir de se gouverner et d’opérer ses propres choix. Toutefois, il arrive souvent que, dans notre quête de liberté, nous devenions esclaves de certaines habitudes; que notre peur de nous écarter de ce qui nous est familier surpasse notre désir initial de liberté. À l’intérieur de ce cercle restreint, il n’y a plus de place pour le choix. Nous ne sommes plus maîtres de nos journées.
      Ce qui m’amène à penser… À quel moment nos «patterns» deviennent-ils des prisons sans murs?

Les attachements

Le plaisir que nous tirons d’une chose qui ne nous appartient pas diffère des sentiments que nous éprouvons au sujet des choses que nous considérons comme étant nôtres. La nécessité de renoncer à ce qui nous appartient fait souvent mal. Dire adieu au bien d’un autre ne nous pose aucun problème, car nous n’y sommes pas attachés. Or, la vie elle-même n’appartient ni à un ami ni à nous-mêmes. Dans la vie, tout change; on ne peut rien posséder vraiment. Après tout, les prétendus propriétaires ne se possèdent même pas eux-mêmes, sans parler de ce qu’ils tiennent dans leurs mains ou leur cœur.
      Ce qui m’amène à penser… Qu’éprouverions-nous à l’égard de la personne ou du bien chéri en ce moment même, si nous savions, sans l’ombre d’un doute, que les choses devaient changer l’instant d’après?

La solitude

La peur, la colère et l’hypocrisie forment un terrible trio. Ces trois persécuteurs marchent toujours à la queue-leu-leu, l’un derrière l’autre. Défiez la peur et voyez avec quelle rapidité la colère la soutient de sa force étincelante. Défiez la colère et voyez comment l’hypocrisie prend sa défense, en protestant que c’est vous qui l’avez poussée à attaquer. Défiez l’hypocrisie et vous verrez qu’elle est morte de peur. Elle craint d’être seule et peut seulement faire semblant qu’elle ne l’est pas.
      Ce qui m’amène à penser… Qu’est-ce qui se cache derrière la solitude?
      La solitude est la possibilité d’être seul; et être seul consciemment est la seule façon d’apprendre à voir au-delà du mensonge de la solitude.

La compassion

La vraie compassion réside dans la capacité de se rappeler qu’en général, une personne en colère et animée par un désir de vengeance ou par la haine est seulement un être qui ne peut supporter le pénible poids de son propre désespoir soigneusement dissimulé. Il doit décharger sa souffrance quelque part. Intérieurement, il craint que vous ne l’aimiez plus, c’est pourquoi il vous lance des paroles blessantes. Comme il a peur que vous ne le preniez pas au sérieux, il est enclin à réagir d’une manière sarcastique ou irrespectueuse.
      Ce qui m’amène à penser… Serions si pressés de vouloir punir ceux qui nous griffent si nous pouvions voir que leur souffrance est une punition bien suffisante?

Source : 
Guy Finley
LES VOIES DE L’ÉMERVEILLEMENT
Découvrez l’ampleur de votre force intérieure

15 juillet 2011

Stacy Westfall Championship Ride Bareback & Bridlelss



En symbiose...

Tel qu'on le voit, il est possible d'obtenir la coopération des chevaux sans cruauté, de façon «humaine». N'est-il pas grand temps que les promoteurs et performeurs du Stampede et autres formes de compétition modifient leurs techniques et leurs rapports avec ces nobles animaux?

14 juillet 2011

À l'automne sur Air Karma

Contrairement au PIB, le blog Air Karma grimpe en flèche.

Le bond de fréquentation m’a donné envie d’enrober le squelette en publiant des témoignages de réminiscence spontanée ou provoquée, des résultats de recherche en PLT (Past Lives Therapy), des méthodes efficaces pour enquêter sur vos identités antérieures (vos propres fantômes), et des références (sites et ouvrages) qu’on retrouvera en pages fixes. 

George Carlin - la réincarnation
Les témoignages les plus convaincants restent ceux des jeunes enfants qui n’ont pas encore coulé à pic dans l’amnésie «tue-âme» de la vie matérielle. Quand un enfant de cinq ans nous dit : «Je me souviens de toi. Tu étais ma sœur jumelle et tu t’appelais X. Nous habitions à …», et qu’il nomme le pays, la ville, décrit le contexte de l’époque, etc., eh bien, c’est assez renversant. D’autant que nous savons intuitivement qu’il ne fabule pas.

Bien sûr, il y a des gens qui fantasment, brodent et inventent, mais je peux vous assurer que si vous explorez avec intégrité, vous trouverez les réponses dont vous avez besoin.

L’investigation des vies antérieures nous fait comprendre, ou percevoir autrement, la souffrance. Pour ce faire, il faut en connaître l’origine ou la cause. Les guérisons postérieures à la PLT «parlent» plus fort que n’importe quoi d’autre.

Deux exemples minimalistes

1. Un gestionnaire d’entreprise se plaignait de l’extrême anxiété qu’il éprouvait au moment de prendre des décisions au travail. Il avait refusé toutes les offres de promotion à la vice-présidence parce qu’il craignait de prendre des décisions qui pourraient nuire à ses employés. Il choisissait donc de rester au milieu de l’échelle puisqu’il avait moins de responsabilités. 
      Lors d’une régression, il vit qu’il avait été un commandant de troupes ayant conduit le peloton en entier vers une embuscade durant la Première guerre mondiale; les soldats avaient tous été fusillés dans le fossé. Dévasté et se sentant coupable, il est mort en pensant : «C’est de ma faute. Je suis incapable d’être un leader». Il réalisa que ces pensées inconscientes influençaient son choix d’éviter les décisions et le refus d’accepter des opportunités de carrière avantageuses. Après cette session, il accepta la première offre qui se présenta.

2. Une amie souffrait d’insomnie chronique. En régression, nous avons découvert qu’elle avait été enterrée vivante à une époque où l’on n’avait pas d’autres méthodes pour détecter les signes vitaux que le souffle. Elle était en fait dans en état de coma temporaire, et s’était réveillée dans sa tombe, six pieds sous terre; le temps de réaliser et elle avait quitté définitivement son corps. On peut  cependant imaginer l’angoisse vécue. Elle continuait donc d’associer sommeil avec mourir. Néanmoins, par la suite, elle a graduellement recommencé à s’abandonner au sommeil. L'anecdote me rappelle cette Haïtienne très âgée toujours vivante après avoir passé deux ou trois semaines sous les décombres après le séisme. Quand même étonnant.

Les morts sereines sont rarissimes sur terre. Malheureusement, toutes les formes de morts que nous avons vécues, pour la plupart violentes et traumatisantes, sont inscrites dans notre mémoire cellulaire et suscitent des réactions phobiques (peurs réflexes) généralement inappropriées dans la vie présente.

Enfilons nos cuissardes et vidons le marécage… L’excursion permet certes de relativiser les anciens mélodrames, mais aussi de réactiver des talents.

Bref, pas mal de matériel à venir...

11 juillet 2011

L'injustice...

Balance de la Justice; Palais de justice de Vancouver, B.C.

Le verdict dans l’affaire Guy Turcotte (qui rappelons-le a assassiné ses enfants) soulève beaucoup de controverse. Dommage qu’il faille des actes aussi tristes et barbares pour questionner nos comportements irrationnels; car autrement, nous le faisons très peu.

Ce qui me frappe le plus dans tout ça, c’est de voir à quel point on ne nous apprend pas à vivre dès la petite enfance, entre autres, à composer avec les contrariétés et les coups durs de la vie, par ailleurs inévitables.

L’apparition du positivisme à tous crins n’a fait qu’empirer les choses. «Vous avez le pouvoir de réaliser tous vos rêves, il suffit de vouloir». Assez puéril puisque nous sommes interdépendants, et que par conséquent nous ne pouvons esquiver les retombées des interactions humaines pas plus que les catastrophes naturelles.

Le désir est un roi tyrannique qui ne tient absolument pas compte d’autrui, pour qui n’a pas appris à maîtriser ni sa pensée ni ses émotions. Ainsi, pour concrétiser un fantasme de «vie parfaite», certains individus n’hésiteront pas à manipuler autrui sans scrupule, tandis que d’autres iront jusqu’à tuer. Par ailleurs, toute la publicité encourage la possessivité jusqu’à l’hystérie.

Tuer l’objet de notre trouble n’éliminera pas la cause profonde derrière la souffrance. L’espèce de fixation mentale* provenant de la peur atavique du cerveau limbique (survie élémentaire) bloque le néocortex et supprime toute rationalité. Dès lors, nous sommes prêts à faire n’importe quoi pour obtenir ce que nous voulons.

L’individu prisonnier d’un désir de vengeance en viendra sûrement à «préméditer» quelque chose, espérant à tort se libérer ainsi de sa jalousie, haine, etc. ... «Heureusement que le monde va mal; je n’aurais pas supporté d’aller mal dans un monde qui va bien!» disait l’humoriste Georges Wolinski. Il semble évident que G. Turcotte dissimulait quelques-unes des caractéristiques du pervers narcissique le rendant capable de tuer ses enfants pour punir leur mère, coupable à ses yeux de l’avoir rejeté et d’avoir trouvé son bonheur ailleurs.

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* Fixation mentale : chose que nous désirons mais que nous ne pouvons pas avoir ou que nous avons mais que nous ne voulons pas perdre.

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«Il est d’une importance capitale de comprendre ce qu’est la souffrance. C’est ce qui nous permettra d’assumer les aléas du quotidien sans s’en faire une montagne. (…) Je m’intéresse beaucoup à l’étymologie des mots, car elle en dit souvent déjà très long sur leur sens. Le mot souffrance est un dérivé du latin subferre, composé du verbe ferre, porter, et du préfixe sub qui veut dire sous, dessous. Le terme dans son ensemble exprime donc l’idée de : se retrouver dessous, porter par-dessous, sup-porter.
      D’autres termes voisins de souffrance évoquent en revanche une image de lourdeur, un sentiment d’oppression : c’est le cas de mots comme affliction, peine et dépression. Le mot dépression, en fait, dérive du latin deprimere qui signifie presser sur quelque chose, le pousser vers le bas.
      On pourrait même distinguer deux sortes de souffrances : l’une qui nous donne un sentiment d’oppression – on se sent comme écrasé par quelque chose d’extérieur à soi. Et l’autre consiste à simplement supporter, rester dessous, assumer, ne faire qu’un avec la souffrance en question. Or il est capital de bien faire la distinction entre ces deux types de souffrance.
      ‘La vie est souffrance’ déclarait le Bouddha. Il n’a pas parlé de souffrance occasionnelle, il a bel et bien dit que la vie même était souffrance. Une vérité relativement facile à comprendre quand tout va mal et qu’on souffre, mais qui est moins évidente lorsqu’on se sent bien et que tout semble marcher comme sur des roulettes. (…) Nous savons bien que les moments heureux ne peuvent pas durer toujours, et à l’inverse, même si ce n’est pas une consolation de savoir que les peines et les souffrances ont également une fin, on ne peut jamais être sûr qu’elles ne reviendront pas.
      Le mot souffrance ne dépeint pas seulement les moments de crise les plus pénibles de nos vies, mais une très large gamme de sentiments comme la frustration, la peine, l’angoisse, par exemple, le plus généralement tout ce qui exprime notre insatisfaction profonde par rapport à la vie. Imaginez une journée idéale, eh bien, même une journée heureuse ne serait pas exempte de souffrance, du fait que vous sauriez déjà que le lendemain risque d’être tout à fait le contraire. Rien n’est jamais sûr et garanti dans la vie, et c’est cette incertitude permanente qui angoisse. C’est comme une douleur lancinante et secrète qui nous travaille et qui empoisonne même nos meilleurs moments puisqu’on craint déjà de les voir s’enfuir et disparaître. C’est dans ce sens-là qu’on peut dire que la vie est souffrance.
      Il y a une chose que je voudrais préciser : au bout du compte, ce qui nous arrive a moins d’importance que la manière dont nous y réagissons. Que la vie se montre dure et cruelle envers nous, et nous pestons et nous tempêtons; nous avons le réflexe de lutter et de nous battre contre les événements. Il nous arrive tous les jours d’être confronté à des situations injustes – à notre avis – et auxquelles nous ne savons pas réagir autrement qu’en nous battant. Et c’est notre esprit qui nous sert d’armure.
      Tant que nous ne saurons pas courber l’échine pour supporter les souffrances de la vie, nous ne serons pas capables de comprendre ce qu’est notre vie.
      Il s’agit d’assumer et ne faire qu’un avec la souffrance. Ce qui ne veut pas dire rester passif et ne rien faire, mais agir à partir d’un état d’acceptation totale. Et encore, acceptation n’est pas vraiment le terme qui convient; il s’agit simplement de ne plus se dissocier de la souffrance, de l’assumer complètement. On renonce à se protéger ou à chercher des échappatoires. On accepte d’être totalement vulnérable devant la vie et c’est, paradoxalement, la seule manière de bien la vivre.»

   ~ Charlotte Joko Beck
      Soyez zen

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Faites-vous une fois pour toutes à l’idée que la vie est injuste

Au cours d’une conversation sur les aléas de la vie, une amie m’a posé la question suivante : «Qui a prétendu que la vie était juste, ou même, qu’elle devait l’être?»
      Bonne question qui m’a rappelé une vieille maxime mille fois entendue dans mon enfance : «La vie est pavée d’injustices.» C’est sans doute un lieu commun, mais d’une implacable vérité. De façon paradoxale, elle peut devenir source de libération.
      Nous commettons souvent l’erreur de nous apitoyer sur notre sort ou sur celui des autres en pensant que la vie devrait être plus juste ou qu’elle le sera un jour. C’est une dangereuse chimère. Quand nous lui cédons, nous avons tôt fait de nous lamenter sur tout ce qui va de travers dans notre existence. Nous nous complaisons dans de vains débats sur l’iniquité de ce monde. «C’est vraiment trop injuste», nous exclamons-nous, sans nous rendre compte du caractère aberrant et irrecevable d’une telle argumentation.
      Au contraire, en acceptant l’injustice de la vie, nous cessons aussitôt de pleurnicher pour essayer de «faire mieux» avec ce que nous avons sous la main. Ce monde ne prétend pas à la perfection. C’est à nous de l’en approcher, en relevant les défis qu’il nous présente. Accepter cette vérité, c’est aussi cesser de gémir sur le sort des autres : nous réalisons que chacun, à la naissance, reçoit des cartes différentes, que nous avons tous des atouts, des faiblesses et des épreuves. J’ai puisé là un soutien extraordinaire de nombreuses fois : quand j’étais confronté aux difficultés liées à l’éducation de mes enfants; chaque fois que je devais prendre une décision pénible («qui aider et qui ne pas aider»); ou bien encore lorsque je me sentais incompris ou persécuté. Dans tous les cas, j’avais l’impression de m’éveiller à la réalité et d’être remis dans le droit chemin.
      Le fait que la vie soit injuste ne signifie pas pour autant que nous devions renoncer à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer notre existence ou la planète tout entière. Bien au contraire! Quand nous refusons de reconnaître l’iniquité de la vie, nous sommes tentés, je l’ai dit, de nous apitoyer sur nous-mêmes ou sur les autres. Or la pitié est une émotion qui n’apporte jamais rien de bon à personne, et qui aurait plutôt tendance à «enfoncer» ceux à qui elle s’adresse. Quand nous acceptons l’injustice de la vie, en revanche, nous éprouvons de la compassion pour les autres comme pour nous-mêmes. Et la compassion est un sentiment sincère qui met du baume au cœur de tous ceux qu’elle touche.
      Essayez de vous en souvenir la prochaine fois que vous vous surprendrez à méditer sur les injustices du monde. Vous serez surpris de constater que cette approche nouvelle vous sortira de votre apitoiement stérile pour vous inciter à agir.»

   ~ Richard Carlson
      Ne vous noyez pas dans un verre d’eau

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Dommage qu’on n’enseigne pas ces choses aux enfants, à la maison et au primaire…

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Suggestion pour les lecteurs qui ne l’ont pas essayé : utilisez le gadget de recherche par mots-clés exclusif au site (en haut à gauche du premier message), par ex. attentes, détachement, illusion  – une fenêtre s’ouvre à l’intérieur du message d’entête avec une liste de tous les articles où le mot apparaît. Une astucieuse googlerie, ma foi.

7 juillet 2011

Que «ma» volonté soit faite

«Les actions du méchant lui sont inspirées par la crainte de souffrir ou par le désir d'accroître sa jouissance, sans qu'il s'aperçoive qu'en les commettant il risque au contraire d'attirer plus de souffrance sur lui et introduit, dans sa joie, le poison de l'insécurité.»
~ Alexandra David-Néel

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La logique de l'échange

«Nous serions prêts à n'importe quoi pour affirmer le bien-fondé de nos idées : on irait jusqu'à ruiner sa famille ou à précipiter la perte de nations entières... Derrière toutes les guerres, on trouve l'idéologie d'une nation qui prétend détenir la Vérité et l'imposer aux autres.
      Le mental dualiste se conduit toujours en dictateur; incapable de s'ouvrir à la réalité de la situation, il veut à tout prix manipuler le monde pour lui faire avaler «sa» vérité. À chaque fois que l'ordre des priorités est renversé - en faisant passer l'idée avant la réalité -, il y a forcément manipulation du réel.
      Lorsqu'on vit de cette façon-là, tout notre univers tourne autour de deux syllabes : «je veux». C'est la logique du désir qui domine tout, quels qu'en soient les objets, - multiples et changeants, à l'infini. Cependant, la racine même du désir est toujours la même : le besoin d'affirmer et de conforter l'idée du moi, que nous prenons pour une entité réelle. Voilà pourquoi nous sommes obligés de manipuler la vie pour la faire cadrer avec notre projection du «moi».
      À vrai dire, nous ne faisons jamais rien gratuitement; le moindre de nos actes s'inscrit dans la logique de l'échange : je fais ceci, d'accord, mais en échange de cela. La vie devient une série de transactions commerciales, sauf que les termes de l'échange sont beaucoup moins clairs que dans nos achats ordinaires.
      Ainsi, si vous voulez passer pour un grand altruiste, vous ferez tout pour donner l'impression que vous n'êtes pas égoïste - même si c'est loin de correspondre à la réalité!
      Si vous vous dévouez à une cause ou à une association, vous en attendez quelque chose en retour : la reconnaissance de vos bons et loyaux services, un certain respect, un traitement de faveur. Nous sommes incapables d'un geste gratuit; il y a toujours un échange, quelque chose à gagner. Nous ferions bien d'afficher nos prix dès le départ!
      Une bonne partie des rapports familiaux s'inscrivent d'ailleurs dans cette logique vicieuse de l'échange, sous une forme plus subtile - celle du chantage affectif : «Comment, après tout ce que j'ai fait pour toi!»
      Cependant, il est rare que la vie nous apporte ce que nous attendons, et, avec un peu de maturité dans la pratique - zazen -, on se rend bien compte qu'on a toujours fait fausse route en envisageant ses rapports avec l'existence en termes d'échanges. Le monde n'est pas là pour satisfaire mes désirs et confirmer mes idées. Il est donc indispensable de se rendre compte à quel point la logique de l'échange domine nos vies, même si cette prise de conscience est douloureuse.
      La vraie pratique, la spiritualité authentique, commence quand on constate la faillite de l'échange et de l'attente. Il n'y a pas de meilleur véhicule pour avancer sur la voie. La déception est un ami précieux et un guide infaillible, même si ce n'est pas tout à fait le genre d'amitié dont nous avions rêvé!
      Résumons-nous : lorsque nous agissons à partir d'une expérience immédiate - comme quand on ramasse un grain de raisin tombé par terre -, nos actes répondent aux nécessités du moment. Ce sont donc des actes spontanés, sans manipulation de la réalité. À l'inverse, les actes qui découlent de la volonté du moi ressemblent aux diktats d'un tyran qui voudrait soumettre le monde entier à ses désirs. En voulant plaquer ses idées et ses désirs sur la réalité, on manipule le monde et les autres pour arriver à ses fins. C'est une vie de calcul, étrangère à la compassion qui, elle, donne sans rien attendre de personne. La compassion ne connaît pas l'échange.»
~ Charlotte Joko Beck

La Convention

Bientôt le 14 juillet…
Beaucoup de révoltes sur la planète.
L’histoire se répète en boucle. Ou fait penser aux battants d'une porte tournante rivés sur un axe immobile.
Seuls les individus, les costumes, les décors, les armes, les nations et la période historique changent.


***
Quatre-vingt-treize, publié en 1873, est le dernier roman de Victor Hugo (1802-1885). Cette vaste fresque de la Révolution française, à travers l’opposition tumultueuse de trois hommes – un aristocrate royaliste, un républicain intransigeant et un noble passé dans les rangs du peuple – est une incontestable réussite romanesque.

Quatre-vingt-treize
Victor Hugo

Livre troisième
La Convention

Extraits

Nous approchons de la grande cime.
Voici la Convention.
Le regard devient fixe en présence de ce sommet.
Jamais rien de plus haut n’est apparu sur l’horizon des hommes.
Il y a l’Himalaya et il y a la Convention
La Convention est peut-être le point culminant de l’histoire.

Du vivant de la Convention, car cela vit, une assemblée, on ne se rendait pas compte de ce qu’elle était. Ce qui échappait aux contemporains, c’était précisément sa grandeur; on était trop effrayé pour être ébloui. Tout ce qui est grand a une horreur sacrée. (…)

II
Le 14 juillet avait délivré.
Le 10 août avait foudroyé.
Le 21 septembre fonda.

Le 21 septembre, l’équinoxe, l’équilibre. Libra. La balance. Ce fut, suivant la remarque de Romme, sous ce signe de l’Égalité et de la Justice que la république fut proclamée. Une constellation fit l’annonce.

La Convention est le premier avatar du peuple. C’est par la Convention que s’ouvrit la grande page nouvelle et que l’avenir d’aujourd’hui commença.

À toute idée il faut une enveloppe visible, à tout principe il faut une habitation; une église, c’est Dieu entre quatre murs; à tout dogme, il faut un temple. Quand la Convention fut, il y eut un premier problème à résoudre, loger la Convention. (…)

Aux Tuileries, où la Convention vint siéger le 10 mai 1793, et qui s’appelèrent le Palais-National, la salle des séances occupait tout l’intervalle entre le pavillon de l’Horloge appelé pavillon-Unité et le pavillon Marsan appelé pavillon-Liberté.

IV
Qui voyait l’Assemblée ne songeait plus à la salle. Qui voyait le drame ne pensait plus au théâtre. Rien de plus difforme et de plus sublime. Un tas de héros, un troupeau de lâches. Des fauves sur une montagne, des reptiles dans un marais. Là fourmillant, se coudoyaient, se provoquaient, se menaçaient, luttaient et vivaient tous ces combattants qui sont aujourd’hui des fantômes. Dénombrement titanique. (…)

V
Au-dessous se courbaient l’épouvante, qui peut être noble, et la peur, qui est basse. Sous les passions, sous les héroïsmes, sous les dévouements, sous les rages, la morne cohue des anonymes. Les bas-fonds de l’Assemblée s’appelaient la Plaine. Il y avait là tout ce qui flotte; les hommes qui doutent, qui hésitent, qui reculent, qui ajournent, qui épient, chacun craignant quelqu’un. La Montagne, c’était l’élite La Gironde, c’était une élite; la Plaine, c’était la foule. (…)

VI
À ces hommes pleins de passions étaient mêlés les hommes pleins de songes. L’utopie était là sous toutes ses formes, sous sa forme belliqueuse qui admettait l’échafaud, et sous sa forme innocente qui abolissait la peine de mort; spectre du côté des trônes, ange du côté des peuples. (…)

VII
Au moment où ils condamnèrent à mort Louis XVI, Robespierre avait encore dix-huit mois à vivre, Danton quinze mois, Vergniaud neuf mois, Marat cinq mois et trois semaines, Le Peletier de Saint-Fargeau un jour. Court et terrible souffle des bouches humaines!

VIII
Le peuple avait sur la Convention une fenêtre ouverte, les tribunes publiques, et, quand la fenêtre ne suffisait pas, il ouvrait la porte, et la rue entrait dans l’assemblée. Ces invasions de la foule dans ce sénat sont une des plus surprenantes visions de l’histoire. Habituellement, ces irruptions étaient cordiales. Le carrefour fraternisait avec la chaise curule. Mais c’est une cordialité redoutable que celle d’un peuple qui, un jour, en trois heures, avait pris les canons des Invalides et quarante mille fusils.

IX
En même temps qu’elle dégageait de la révolution, cette assemblée produisait de la civilisation. Fournaise mais forge. Dans cette cuve bouillonnait la terreur, le progrès fermentait. De ce chaos d’ombre et de cette tumultueuse fuite de nuages, sortaient d’immenses rayons de lumière parallèles aux lois éternelles. Rayons restés sur l’horizon, visibles à jamais dans le ciel des peuples, et qui sont, l’un la justice, l’autre la tolérance, l’autre la bonté, l’autre la raison, l’autre la vérité, l’autre l’amour. La Convention promulguait ce grand axiome : La liberté du citoyen finit où la liberté d’un autre citoyen commence; ce qui résume en deux lignes toute la sociabilité humaine. Elle déclarait l’indigence sacrée; elle déclarait l’infirmité sacrée dans l’aveugle et dans le sourd-muet devenus pupilles de l’État, la maternité sacrée dans la fille-mère qu’elle consolait et relevait, l’enfance sacrée dans l’orphelin qu’elle faisait adopter par la patrie, l’innocence sacrée dans l’accusé acquitté qu’elle indemnisait. Elle flétrissait la traite des noirs; elle abolissait l’esclavage. Elle proclamait la solidarité civique. Elle décrétait l’instruction gratuite. Elle organisait l’éducation nationale par l’école normale à Paris, l’école centrale au chef-lieu, et l’école primaire dans la commune. Elle créait les conservatoires et les musées. Elle décrétait l’unité de code, l’unité de poids et de mesures, et l’unité de calcul par le système décimal. Elle fondait les finances de la France, et à la longue banqueroute monarchique elle faisait succéder le crédit public. Elle donnait à la circulation le télégraphe, à la vieillesse les hospices dotés, à la maladie les hôpitaux purifiés, à l’enseignement l’école polytechnique, à la science le bureau des longitudes, à l’esprit humain l’institut. En même temps que nationale, elle était cosmopolite. Des onze mille deux cent dix décrets qui sont sortis de la Convention, un tiers a un but politique, les deux tiers ont un but humain. Elle déclarait la morale universelle base de la loi. Et tout cela, servitude abolie, fraternité proclamée, humanité protégée, conscience humaine rectifiée, loi du travail transformée en droit et d’onéreuse devenue secourable, richesse nationale consolidée, enfance éclairée et assistée, lettres et sciences propagées, lumière allumée sur tous les sommets, aide à toutes les misères, promulgation de tous les principes, la Convention le faisait, ayant dans les entrailles cette hydre, la Vendée, et sur les épaules ce tas de tigres, les rois.

X
Lieu immense. Tous les types humains, inhumains et surhumains étaient là. (…) Apostrophes, injures, défis. Regards furieux d’un côté à l’autre, poings montrés, pistolets entrevus, poignards à demi tirés. Énorme flamboiement de la tribune. Quelques-uns parlaient comme s’ils étaient adossés à la guillotine. Les têtes ondulaient, épouvantées et terribles. Tous ces hommes! tas de fumées poussées dans tous les sens.

XI
Esprits en proie au vent.
Mais ce vent était au vent de prodigue.

Être membre de la Convention, c’était être une vague de l’Océan. Et ceci était vrai des plus grands. La force d’impulsion venait d’en haut. Il y avait dans la Convention une volonté qui était celle de tous et n’était celle de personne. Cette volonté était une idée, une idée indomptable et démesurée qui soufflait dans l’ombre du haut du ciel. Nous appelions cela la Révolution. Quand cette idée passait, elle abattait et soulevait l’autre; elle emportait celui-ci en écume et brisait celui-là aux écueils. Cette idée savait où elle allait, et poussait le gouffre devant elle. Imputer la révolution aux hommes, c’est imputer la marée aux flots.

La révolution est une action de l’Inconnu. Appelez-la bonne action ou mauvaise action, selon que vous aspirez à l’avenir ou au passé, mais laissez-la à celui qui l’a faite. Elle semble l’œuvre en commun des grands événements et des grands individus mêlés, mais elle est en réalité la résultante des événements. Les événements dépensent, les hommes payent. Les événements dictent, les hommes signent. Le 14 juillet est signé Camille Desmoulins, le 10 août est signé Danton, le 2 septembre est signé Marat, le 21 septembre est signé Grégoire, le 21 janvier est signé Robespierre; mais Desmoulins, Danton, Marat, Grégoire et Robespierre ne sont que des greffiers. Le rédacteur énorme et sinistre de ces grandes pages a un nom, Dieu, et un masque, Destin. Robespierre croyait en Dieu. Certes!

La Révolution est une forme du phénomène immanent qui nous presse de toutes parts et que nous appelons la Nécessité.

Devant cette mystérieuse complication de bienfaits et de souffrances se dresse le Pourquoi? de l’histoire.

Parce que. Cette réponse de celui qui ne sait rien est aussi la réponse de celui qui sait tout.

En présence des catastrophes climatériques qui dévastent et vivifient la civilisation, on hésite à juger le détail. Blâmer ou louer les hommes à cause du résultat, c’est presque comme si on louait ou blâmait les chiffres à cause du total. Ce qui doit passer passe, ce qui doit souffler souffle. La sérénité éternelle ne souffre pas des aquilons. Au-dessus des révolutions la vérité et la justice demeurent comme le ciel étoilé au-dessus des tempêtes.

XII
Telle était cette Convention démesurée; camp retranché du genre humain attaqué par toutes les ténèbres, immense bivouac d’esprits sur un versant d’abîme. Rien dans l’histoire n’est comparable à ce groupe, à la fois sénat et populace, conclave et carrefour, aréopage et place publique, tribunal et accusé.

La Convention a toujours ployé au vent; mais ce vent sortait de la bouche du peuple et était le souffle de Dieu.

Et aujourd’hui, après quatre-vingts ans écoulés, chaque fois que devant la pensée de l’homme, quel qu’il soit, historien ou philosophe, la Convention apparaît, cet homme s’arrête et médite. Impossible de ne pas être attentif à ce grand passage d’ombres.