27 mai 2011

Prolongation indue de la vie

Suite du message «Dans les chaussures de…», 23 mai.

Plus de 10 jours que ma mère se morfond, complètement dopée et parfois attachée à son grabat – protection oblige! Mais qui protège-on : le personnel (pour éviter des poursuites pour négligence) ou ma mère? Combien de temps vont-ils prolonger l’agonie?

J’ai pourtant transmis explicitement les volontés de ma mère (dument notariées en janvier 2000) : aucun acharnement thérapeutique ni prolongement de la vie. Faudrait-il partir en Suisse?

Dessin : DELUCQ

Meurtre par omission ou meurtre par compassion?
C’est à croire que les humains éprouvent un plaisir sadique à faire souffrir et/ou à regarder souffrir autrui.

En désespoir de cause, j’ai cherché inspiration/conseil dans le site de l’AQDMD. Voici un excellent résumé de l’aspect légal/éthique du «droit de mourir dans la dignité» au Canada – tiré d’un document pdf - site http://www.aqdmd.qc.ca/page17.php

J’apprécie particulièrement la conclusion du Dr Beauchamp; je me doutais bien qu’il y avait encore des médecins intelligents, humains et bienveillants…

Suicide assisté, euthanasie, sédation
Par Yvon Beauchamp M.D., C.C.F.P.; Services de soins palliatifs, Hôpital Sacré-Cœur de Montréal, CSSS Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent; Professeur-adjoint de clinique, Université de Montréal
2009-05

Introduction
• C’est mon impression qu’avec les années au Canada les soins palliatifs se sont donnés la mission d’être les champions de la Non-Euthanasie et d’être l’alternative universelle à un acte punissable au regard de la loi de Dieu, de la loi des Hommes et du Collège des Médecins.
• Il y a des gens qui pensent qu’«un développement accéléré des soins palliatifs est synonyme de non-besoin de suicide, de suicide assisté et d’euthanasie».
• Les soins palliatifs sont une chose et l’euthanasie est un autre sujet; le suicide et l’aide au suicide sont aussi des sujets différents mais qui sont toujours liés lors de nos discussions. L’un doit-il obligatoirement être en opposition avec l’autre ?
• La religion est affaire d’Églises, de foi non rationnelle et d’obéissance surtout
• Nos codes, civil et criminel, sont affaires de sociétés civiles laïques ici au Canada, de droits, de responsabilités et d’obligations légales et sociales mais aussi d’obéissance
• Le code de déontologie est affaire de professionnalisme, de connaissances, de savoir être, de savoir faire et encore d’obéissance
• Trois niveaux d’interpellation d’un médecin ou d’une infirmière qui sous-entendent des droits, des devoirs, des obligations, des acceptations et une obéissance aux règles.
Trois créneaux différents du même individu, créneaux dont l’importance relative varie d’un individu à l’autre.

Même débat; sujets différents
Sujets différents; même débat

• La société canadienne n’est pas statique, elle a cheminé, elle change sa pensée.
Un individu vient au monde, vit plus ou moins longtemps et meurt.
• Ces trois étapes de développement se sont traduites et se traduisent encore dans notre société par de délicates discussions, parfois des affrontements.
• Nous avons eu nos affrontements lors des décisions à prendre au regard de l’avortement et nous en avons encore au regard du fœtus et son existence en tant que personne légale; nous en avons sur le suicide (fin de vie décidée par l’individu) et sur l’aide au suicide ainsi que sur l’euthanasie ou encore sur la fin de la vie lors d’une sédation palliative.
• Je ne veux pas parler des religions et des Églises ce matin; elles ont leur propres règles concernant ces sujets.

L’histoire légale de l’avortement
Date/commentaire  

- Avant 1869 : Aucune loi ne fait mention de l’avortement
- 1869 : «Loi sur les infractions contre la personne».
Criminalisation de l’avortement et peine possible de la prison à perpétuité pour toute personne qui tente de s’avorter ou de procurer un avortement à une femme.
- 1892 : La diffusion d’information sur la contraception devient une activité criminelle.
- 1969 : Loi C-150 : donne la permission d’avorter si effectué dans un hôpital accrédité et si un comité thérapeutique composé de trois médecins responsables d’évaluer si la vie ou la santé de la femme est en danger, l’autorise. Sans ces conditions le geste demeure un crime. La loi permet aussi la diffusion d’information sur la contraception et la vente de moyens contraceptifs.
- 1969-1980 : Poursuites et acquittements à plusieurs reprises et dans plusieurs provinces du Dr Morgentaler.
- 1988 : Jugement de la cour suprême du Canada : Décriminalisation de l’avortement sans reconnaissance constitutionnelle du droit à l’avortement; ceci laisse la porte entrouverte à la possibilité pour l’État de restreindre ce droit dans le but de protéger le fœtus.

Euthanasie: mot inconnu dans le code criminel
Article/teneur

- 14 : «Nul n’a le droit de consentir à ce que la mort lui soit infligée»
- 215 : «…devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence»
- 219 : «…négligence criminelle»
- 220 : «le fait de causer la mort par négligence criminelle»
- 222 : Homicide
- 229 : Meurtre
- 234 : Homicide involontaire coupable
- 245 : Le fait d’administrer des substances délétères
- 241 : Coupable quiconque conseille ou aide qu’un à se donner la mort
Meurtre au premier degré car l’intention de causer la mort est présente et il y a préméditation

Histoire légale du suicide et du suicide assisté au Canada
Date/article/commentaire

- Avant 1892 – Draft code – Pensées suicidaire passibles d’emprisonnement
Suicide et Aide au suicide punissables de mort
- 1892 – 238 et 237 – Allègement des peines :  
Tentative de suicide :  diminuée à 2 ans de prison,
Aide au suicide : demeure la prison à perpétuité
- 1906, 1927, 1953, 1970 – Réformes de la loi 
Aucun changement lors des révisions mais allègement de la peine pour l’Aide au suicide qui passe à 14 ans de prison. La tentative de suicide passe à un statut de «sérieux» à «moins grave» comme acte criminel
- 1972 – Abolition dans le code criminel canadien de l’aspect criminel de la tentative de suicide, mais non de l’aide au suicide

L’histoire légale d’un mot qui n’existe pas dans le code pénal
Date/conclusion

- 1983 – Commission de réforme du droit du Canada :
Consensus canadien sur 3 principes :
1. La protection de la vie humaine est une valeur fondamentale
2. Un malade a droit à l’autonomie et à l’autodétermination à propos de ses soins médicaux
3. La vie humaine doit être envisagée dans une perspective à la fois quantitative et qualitative
L’aide au suicide demeure un crime mais on supprime les ambigüités qui semblaient obliger un MD, de façon absolue, à poursuivre un traitement commencé
- 1994 – Commission sénatoriale sur l’euthanasie Rapport en 1995 :  
Ne suggère aucun changement dans la loi pour le suicide assisté (il y a des membres dissidents).
Définition de l’euthanasie : «un acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d’autrui pour mettre fin à ses souffrances»
Subdivisions:
1. volontaire (demande du patient)
2. non volontaire (sans qu’on connaisse les vœux du patients)
3. involontaire (à l’encontre des vœux du patient)
Les trois formes d’euthanasie demeurent illégales et les seules ouvertures sont au regard de la forme volontaire et non volontaire pour lesquelles on suggère une diminution des peines lorsque l’élément de compassion est présent.
Définition sénatoriale de la «sédation palliative»

Le code de déontologie
Article/libellé

- 7 : Le médecin doit ignorer toute intervention qui ne respecte pas sa liberté professionnelle
- 28 : Obtention d’un consentement libre et éclairé du patient ou de son représentant légal avant d’entreprendre une investigation ou un traitement
- 55 : Le médecin ne doit pas diminuer les capacités physiques, mentales ou affectives d’un patient, sauf si cette diminution est requise pour des motifs préventifs, diagnostiques ou thérapeutiques
- 58 : Le médecin doit agir de telle sorte que le décès d’un patient qui lui paraît inévitable survienne dans la dignité. Il doit assurer à ce patient le soutien et le soulagement appropriés.
- 59 : Le médecin doit collaborer avec les proches du patient ou toute autre personne qui démontre un intérêt significatif pour celui-ci
- 60 : Le médecin doit refuser sa collaboration ou sa participation à tout acte médical qui irait à l’encontre de l’intérêt du patient, eu égard à sa santé.

La sédation palliative

• 1. «Atténuation ou disparition des manifestations pathologiques»
Dictionnaire Larousse
• 2. «La sédation complète est le fait de rendre une personne totalement inconsciente en lui administrant des médicaments non susceptibles d’abréger la vie»
Comité sénatorial spécial sur l’euthanasie et l’aide au suicide (1993)
• 3. «La sédation profonde, ou sédation terminale, se définit par l’induction et le maintien intentionnel d’un sommeil léger à profond, mais ne causant pas délibérément la mort, chez des patients en phase terminale de leur maladie»
Le Regroupement des Pharmaciens ayant un Intérêt pour les Soins Palliatifs (RPISP, 1995)
• 4. «Administration intentionnelle de substances sédatives au dosage minimal nécessaire dans le but d’obtenir le soulagement d’un ou plusieurs symptômes réfractaires en réduisant l’état de conscience temporairement ou définitivement d’un patient porteur d’une maladie avancée dont l’espérance de vie estimée est courte (jours ou semaines), ceci en collaboration avec une équipe multidisciplinaire compétente»
• Symptôme réfractaire: symptôme vécu par le patient comme insupportable et ne pouvant être contrôlé de manière satisfaisante pour le patient en dépit d'une prise en charge palliative correctement menée qui jusqu'alors ne compromettait pas la communication de la personne malade avec autrui.
Broeckart et Olarte (2000-2002-2004)

Ce que ce n’est pas

• 1. La sédation terminale devrait être distinguée de l’état d’altération progressif de la conscience qui accompagne spontanément l’évolution de la maladie vers la mort. Cette dernière résulte de l’addition des conditions métaboliques du mourir et des traitements utilisés.
• 2. La sédation terminale se distingue également de la sédation survenant occasionnellement comme effet secondaire non désiré des dérivés opioïdes utilisés à forte dose dans le cadre du soulagement de douleurs sévères. La sédation terminale consiste donc en une décision explicite de provoquer l’inconscience chez un patient pour prévenir ou répondre à une quelconque situation de détresse physique ou psychologique incontrôlable.

Qui sédater?

• Les situations singulières et complexes dont la réponse ne peut se réduire au seul domaine médical sortent du domaine des indications.
• Elles s’inscrivent dans un contexte de détresse persistante, vécue comme insupportable par le patient, comportant parfois une demande d’euthanasie. Elles ne peuvent s'envisager en termes de «maîtrise» au sens médical du terme.
• Parfois résumée par le terme de «souffrance existentielle», elle ne peut constituer en tant que telle une «indication» à la sédation.
• La prise en compte de ce type de souffrance ne peut être réduite à une prise en charge médicale ou pharmacologique.

Conclusion

• Débats persistants, la loi n’a pas encore changé. Le terme «euthanasie» n’existe pas dans le code criminel; on parle de meurtre au premier ou au second degré et tous les termes que l’on veut introduire n’y changent rien.
• La loi va changer si la société en fait vraiment la demande, de façon soutenue comme pour l’avortement et le suicide. Le terme «euthanasie», apparaitra-il dans nos codes de loi? L’aide au suicide sera-t-il décriminalisé? Il faut y penser, c’est une question de temps.
• Le médecin acceptera-t-il de poser ces gestes? Affaire de conscience, de religion peut-être et de code de déontologie. Ce qui est légal est-il nécessairement moral ou ce qui est moral est-il nécessairement légal?
• Sommes-nous une société meilleure religieusement ou culturellement que la société belge ou que celle des Pays-Bas ou des États de Washington et d’Oregon qui ont légiféré pour permettre et encadré ce fameux mot «aide au suicide médicalement assisté»? Ou bien est-ce que nous n’avons pas poussé aussi loin le débat?
• Pourquoi l’aide au suicide et l’euthanasie volontaire ne seraient-il pas d’autres gestes médicaux adéquats dans certaines circonstances ?
• Pourquoi est-ce moralement et légalement acceptable de sédater profondément et sans retour un malade en « disant laisser faire la nature et la maladie » (discours officiel) en sachant que la privation de nourriture et d’hydratation, conséquence du geste médical de sédater, est tout à fait en cause aussi dans un processus de décès qui s’étalera sur 6-7-8 jours et plus parfois, mettant souvent les familles dans des états émotionnels très affligeants ainsi que l’équipe soignante?
• On peut toujours argumenter que c’est le patient qui est prépondérant lors de la prise de décision des gestes que nous posons!
Pourtant c’est l’essence même des «soins palliatifs» que d’englober continuellement les familles et leur vécu dans nos décisions.
• Pourquoi est-ce illégal et criminel de faire une même sédation qui ne durerait pas de façon indue avec les mêmes médicaments, avec le même idéal de soulager une souffrance physique ou psychologique réfractaire?
Pourquoi la prise de décision du choix des médicaments qui obéit aux mêmes règles que pour une sédation palliative ne nous permettrait-elle pas de viser un processus de décès de durée moindre ?
• Sommes-nous hypocrites, de bonne foi ou naïfs?

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