25 septembre 2015

De l’économie jusqu’à la nausée

Pour que l’économie roule bien, l’argent doit circuler. Il circule en effet, mais uniquement entre les propriétaires des grandes industries et les paradis fiscaux. Voilà où le bât blesse. Je suis plus que lasse d’entendre le baratin électoral des chefs politiques de façade. L’environnement devrait avoir l’importance qu’il mérite : sa qualité déterminera la survie de l’espèce.

L’enrichissement personnel : une valeur sûre?

«Qu'est-ce que la richesse? D'où vient-elle? Pouvons-nous associer abondance et durabilité? Notre économie actuelle a-t-elle créé de la richesse? 
     Pendant qu'une minorité accumule les possessions matérielles, la vaste majorité des gens vivent dans de terribles conditions de pauvreté, et de vastes zones de la planète sont devenues des déserts. Tandis que j’étudiais les écosystèmes il m’était impossible de dissocier les conséquences écologiques des systèmes économiques. J’ai pleinement réalisé la valeur des écosystèmes. 
     La source de la richesse est l'écosystème fonctionnel. Les produits et services que nous en tirons sont des dérivés. Il est impossible que les dérivés soient plus précieux que la source. Et pourtant, dans notre système économique actuel, les produits et services ont une valeur monétaire et la source, l'écosystème fonctionnel, n’en a aucune. Nous avons donc créé une institution économique, une théorie économique fondée sur une erreur de logique. Donc, si nous perpétuons cette erreur, de génération en génération, nous aggravons le problème.» ~ John D. Liu

Loess Plateau, Chine – avant restauration

Loess Plateau, Chine – après restauration

Selon l'expérience du documentariste à travers le monde, la régénération des écosystèmes est possible partout, même dans les endroits les plus dévastés. Cela s’est fait en Jordanie et en Éthiopie, notamment. Et comme les endroits dévastés sont très nombreux, restaurer les écosystèmes créerait beaucoup d’emplois. «Nous pourrions enfin vivre dans un paradis terrestre, c’est possible!», dit-il.

À voir : Green Gold 47 min.
https://www.youtube.com/watch?v=YBLZmwlPa8A

Gishwati Forest, Rwanda

Environmental Education Media Project: http://eempc.org/
What If We Change restoration media project: http://www.whatifwechange.org

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Un vœu maintes fois exprimé, voire une conjuration :
Les assemblées parlementaires de tous les États devraient obligatoirement inclurent des humanistes et des philosophes (dépourvus d’allégeance politique) ayant le bien-être de l’humanité à cœur puisque les politiciens et les économistes n’ont que l’argent à cœur. Une contrebalance indispensable, si notre civilisation devait survivre.  
     Curieusement le Japon fait le contraire : vingt-six universités ont annoncé vouloir fermer leurs facultés de sciences humaines et sociales, ou du moins diminuer leur activité. Une décision qui fait suite à une lettre que le ministre de l’éducation, Hakubun Shimomura, a adressée le 8 juin aux présidents des 86 universités du pays, leur demandant «d’abolir ou de convertir ces départements pour favoriser des disciplines qui servent mieux les besoins de la société».

«Si les gens d’aujourd’hui ne sont pas convaincus du caractère fâcheux d’un système qui les a menés de crise en krach, de faillite en révolte, de révolution en conflagration; qui gâte la paix, la rend affairée et soucieuse; qui fait de la guerre un cataclysme universel, presque aussi désastreux pour les vainqueurs que pour les vaincus; qui ôte son sens à la vie et sa valeur à l’effort; qui consomme l’enlaidissement du monde et l’abrutissement du peuple; si les gens d’aujourd’hui accusent n’importe qui des grands maux qui les accablent, en attribuent la cause à n’importe quoi plutôt qu’au développement de la machine, c’est qu’il n’est pas de sourd mieux bouché que celui qui ne veut rien entendre
     Il faut que la puérile admiration pour les brillants jouets qui les amusent, il faut que l’exaltation fanatique pour l’idole qu’ils se sont forgée, et à laquelle ils sont prêts à sacrifier leurs enfants, leur ait tourné la tête et fermé les yeux à l’évidence pour qu’ils continuent d’espérer du progrès indéfini de la machine l’avènement d’un âge d’or. 
     Ne parlons pas des bouleversements que le progrès des machines fait sans cesse subir aux institutions humaines, parlons seulement des avantages par lesquels elles allèchent le sot : elles épargnent du temps, elles épargnent des peines, elles produisent l’abondance, elles multiplient les échanges entre les peuples, elles finiront bientôt par assurer à tous les hommes un loisir perpétuel. 
     S’il est vrai qu’elles épargnent du temps, comment se fait-il que dans les pays où les machines règnent on ne rencontre que des gens pressés et qui n’ont jamais le temps? Alors que dans ceux où l’homme fait tout de ses mains, il trouve le temps de tout faire et du temps en outre, autant qu’il en veut, pour ne rien faire. ... Mais pour lui l’unique intérêt de l’économie c’est celui que les grands économistes  ne considèrent jamais (Karl Marx pas plus que les autres) : l’unique intérêt de l’économie ce n’est pas le développement économique, mais le développement de la personne humaine, sa paix, son élévation, son affranchissement. ... 
     Quand vous aurez fait de l’État une machine, comment empêcherez-vous un fou quelconque de s’emparer du guidon et de pousser la machine au précipice? 
     Quand vous aurez fait de l’État une machine, il faudra que vous lui serviez vous-même de charbon.»

~ Lanza del Vasto (Le pèlerinage aux sources, Chapitre IV, 1943)  
(Extrait de l’article De faillite en révolte; 25 mars 2011)

La Grèce, un exemple concret de la destruction de l’état social

Photo : Athènes, une tragédie grecque, quartier historique de Monastiraki 
INEDIZ, F. Catérini / C. Jeantet

Agora, de la démocratie aux marchés : un documentaire qui retrace les événements qui ont mené à la crise financière que traverse présentement la Grèce, pays où 1% de la population possède plus de la moitié de sa richesse alors qu’un Grec sur quatre vit sous le seuil de la pauvreté. Les deux épisodes couvrent la période 2010-2014. Réalisation : Yorgos Avegeropoulos. 

À voir si vous avez accès à la zone (j’ignore combien de temps il sera à l’affiche)
http://ici.tou.tv/les-grands-reportages/S2015E276?lectureauto=1

Noté :

Une femme dont le conjoint s’est suicidé parce qu’il ne voulait pas se retrouver à la rue et perdre sa dignité en fouillant les poubelles, dit : «La banque c’est Dracula.» Lors du tournage, la maison familiale était menacée de saisie.

«Nous avons travaillé et payé des taxes pour faire vivre des golden boys (référence à l’élite), et c’est nous qui devons rembourser leur dette, c’est injuste», déclare une autre victime des politiques d’austérité.

Pendant la crise économique, le taux de suicide en Grèce a augmenté de 27%.
Entre 2009 et 2012, 3124 personnes se sont suicidées.

Un homme dans la quarantaine a perdu son emploi (l’entreprise a mis la clé sur la porte) ainsi que sa maison. Ne recevant aucun revenu de chômage il s’est retrouvé à la rue avec sa fillette d’une dizaine d’années. Il a pensé au suicide. Sa fille est son unique raison de vivre. Un sans-abri parmi des milliers d’autres dont le cinéaste a finalement perdu la trace (il en a suivi quelques-uns).

Les nouveaux sans-abris sont des personnes de niveau scolaire moyen et supérieur. Leur nombre a augmenté de 25% en seulement deux ans (2009-2011).

En 2007, 1% des Grecs les plus riches possèdent 48,6% de la richesse.
En 2014, 1% des Grecs les plus riches possèdent 56,1% de la richesse.

Après des années de sacrifices qui ont appauvri les plus faibles, détruit l’état social, creusé les inégalités et nourri le fascisme, la dette, au lieu de diminuer ne fait qu’augmenter.

En 2009, la dette de la Grèce s’élevait à 129,7% du PIB.
En 2013, la dette de la Grèce s’élevait à 175,1% du PIB.
L’élite veut imposer la politique d’austérité sur tout le continent.

Propos du financier Stelios Stavidris, président de TAIPED (décédé en février 2014), un virulent promoteur de la privatisation :
«Nous vendons tout. Tous les biens publics. Les aéroports, les autoroutes, les immeubles, les terrains, les plages, de Rhodes à Corfou. Où est le problème? Parmi les plus grands avantages de la Grèce mis à part son climat c’est son littoral. D’où voulez-vous que l’argent vienne? Des cultures de tomates? La richesse vient de la croissance. C’est ainsi que les nations progressent. Ils n’avancent pas s’ils ont peur de brader. Ça n’existe nulle part ailleurs. Brader c’est un terme métaphysique. On me demande pourquoi je vends des entreprises rentables. Qui peut dire si une entreprise peut devenir davantage rentable?

Naomi Klein :
«L’Europe et l’Amérique du Nord imposent aux pays en développement des politiques sociales qui n’ont même pas été mises en place chez nous. La libération du capital consiste à se débarrasser de tout ce qui empêche de faire du profit. Mais qui a encore quelque chose à vendre? Qui peut encore faire des économies? Ce sont les États providence de l’Europe. Et les Allemands sont les prochains. Ils se pensent à l’abri? Non. Ce sera au tour de l’Allemagne quand ce sera fini avec les États du sud. Ensuite ce sera le tour de la France. Personne n’est à l’abri.»

2013/14 : L’ancien ministre des finances Papaconstantinou est accusé d’avoir effacé des noms de la «liste Lagarde». Cette liste énumère 2000 exilés fiscaux grecs présumés détenir des comptes en Suisse.

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«Le même Diogène écrivit au roi des Perses : «Il n'est pas plus en ton pouvoir de réduire les Athéniens en servitude, que d'y réduire des poissons. Un poisson vivra plus longtemps hors de l'eau, qu'un Athénien dans l'esclavage».  

«Ah! Quand reverrai-je Athènes et l’Acropole? -- Mon ami, peux-tu rien voir de plus beau que le ciel, ce soleil, cette lune, ces étoiles, cette terre, cette mer? Si tu es si affligé pour avoir perdu Athènes de vue, eh! que feras-tu quand il te faudra perdre de vue le soleil?»

~ Épictète (Entretiens)

Ne pleure pas sur la Grèce
La voici de nouveau qui s’élance, impétueuse et sauvage,
pour harponner la bête avec le trident du soleil.
~ Yannis Ritsos

Autant que possible
Et si tu ne peux pas mener la vie que tu veux,
essaie au moins de faire en sorte, autant
que possible : de ne pas la gâcher
dans trop de rapports mondains,
dans trop d’agitation et de discours.
~ Constantin Cavafis

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Des scénarios similaires à celui de la Grèce se sont produits dans quantité de pays du Tiers Monde, qu’on appelle aujourd’hui pays émergeants. Les pays qui ont perdu au change au libre-échange de la mondialisation sont sommés de payer.

«Les financiers [de la mondialisation] ne voient pas le monde comme étant constitué de démocraties individuelles et de pays distincts. Ils ne connaissent pas les frontières. Les lois ne les préoccupent pas parce qu’ils font la loi. Ils possèdent le monde parce qu’ils contrôlent l’argent, qui mène le monde. 
   Les banquiers affirment prêter de l’argent à ces pays dans un effort pour les mettre à niveau, pour les relever économiquement. Dans la plupart des pays, les gens aspirent à la démocratie. ... Ils sont mûrs pour la révolution. C’est alors que les insurgés entrent en scène. Les banquiers concoctent aussitôt un gouvernement militaire et vous obtenez ainsi les polarités nécessaires. Dès lors, vous avez un motif pour développer ce pays : appuyer ces gens qui réclament la démocratie. Bien sûr, le gouvernement militaire n’est là que temporairement. Sa raison d’être est d’alimenter et même d’intensifier le désir de liberté. Comprenez-vous le procédé? Les vendeurs d’armes font beaucoup d’argent. Les munitions arrivent de divers pays, de partout dans le monde. Bien entendu, tout cela est fait pour appuyer les combattants de la démocratie! ... 
   Et de quoi a besoin le jeune pays qui fait ses premiers pas? De prêts substantiels pour se développer. ... Dès que les insurgés quittent la scène, les banquiers s’amènent, trop heureux de distribuer des milliards. Ils prêtent des milliards, sachant très bien que ces merveilleux dirigeants catapultés à la tête de ce nouveau gouvernement démocratique, dilapideront cet argent et que le petit pays sera incapable de rembourser sa dette. 
   Alors, les banques demandent le remboursement du prêt. Le leader du pays plaide sa cause : ‘Mais nous n’avons tout simplement plus suffisamment d’argent pour vous rembourser.’ Le représentant de la banque sourit et dit : ‘Monsieur, ne vous en faites pas. Vous savez, je suis certain que nous pourrons arriver à nous entendre. Nous allons échanger votre dette substantielle contre les droits miniers de votre pays ainsi que le pétrole trouvé sur le littoral côtier et à l’intérieur de votre pays. Nous prendrons cela en échange.’ Le dirigeant du pays est alors si content qu’il s’exclame : ‘Quelle aubaine!’ Aussitôt dit, aussitôt fait. Et le petit pays cesse d’être un pays, il est absorbé par l’organisation sans frontière qui grandit sans cesse aujourd’hui. ... 
   Vous seriez médusé de voir avec quelle rapidité ils prennent les affaires en mains. L’industrie s’installe. Les fiers indigènes du pays sont évincés de leurs terres et parqués comme un troupeau dans les villes. Ça n’a pas d’importance si les fermiers ne cultivent plus dorénavant. Ça n’a pas d’importance si la forêt vierge est transformée en copeaux. Ça n’a aucune importance. Car les promoteurs arrivent et rasent les forêts, financés par les grandes banques, tout cela au nom de ce que vous appelez le progrès.»

Source : The Last Waltz of The Tyrans, The Prophecy, Judi Pope Koteen; Beyond Words Publishing Inc. 1989. Prophétique en effet!
(Extrait de l’article Hérésie verte; 15 août 2015) 

Dans la même veine : La logique de l’argent/dette (19 juillet 2015)

11 septembre 2015

Blogopause

En mode veille, le temps de réexaminer mes motivations.

«Ma base de données est dans le cyberespace, donc je suis interactive, je suis hyperactive, et de temps en temps, je suis radioactive.» (Emprunté à George Carlin)

Sleep Mode for awhile.


9 septembre 2015

Je lave mon cerveau à chaque jour

Oui, à chaque jour. Pour minimiser les effets du lavage de cerveau médiatique – bulletins de nouvelles, marketing, propagande économique, politique, religieuse, etc. (une liste sans fin). Ce qui ne m'empêche pas de parfois quasiment me noyer dans cet océan. À moins de vivre dans une caverne en forêt, il est difficile de s’en soustraire totalement. Mais ce peut être une occasion de développer notre discernement et notre pensée critique. J’ai balancé beaucoup de croyances au cours de ma vie, même depuis la création de ces blogues (j’ai publié des choses avec lesquelles je n’ai plus aucune résonance). Douter de nos valeurs les plus chères est le moyen le plus efficace de détecter nos préjugés (parfois subtils, juste en périphérie de la conscience), et c’est un job à vie.


Sommes-nous tous conditionnés?
Peut-on parler de «lavage de cerveau» dans le cas d’apprentissage de savoirs avérés?

La notion de «lavage de cerveau» sous-tend l’idée d’une contrainte exercée sur un individu afin de lui faire adopter un système de pensée notoirement faux et absurde. Est-il juste de parler de lavage de cerveau lorsque l’enseignement prodigué se fonde sur des valeurs rationnelles et largement reconnues? Les convictions peuvent être attribuées à l’éducation reçue et d’une certaine façon résulter d’un conditionnement.

Qu’est-ce qu’un lavage de cerveau?

Un lavage de cerveau suppose, il est vrai, un recours à des techniques psychologiques particulières – comme l’isolation sensorielle ou la manipulation émotionnelle – afin d’amener un individu à croire certaines choses. Il peut cependant recouvrir d’autres réalités. Le scientifique Richard Dawkins et le philosophe Anthony Crayling, parmi d’autres, soutiennent que les cours de religion offerts par les églises, les mosquées ou les synagogues équivalent à des «lavages de cerveau». 
    Ce conditionnement impliquerait donc une transmission de croyances présentées comme des vérités indiscutables – une définition qui engloberait la religion et plus encore. Au cours du XXe siècle, l’enseignement de l’histoire reposait, la plupart du temps, sur une succession de faits et de dates, sans remise en question ni analyse qui permettent de contester certains détails. Peut-être était-ce une forme de lavage de cerveau. 
    La seule parade à un éventuel conditionnement serait sans doute de veiller à préserver chez les enfants un esprit curieux et indépendant au cours de leur apprentissage. (...)

[Hypothèses] 

Les croyances, les certitudes et les valeurs seraient largement déterminées par des processus de socialisation et d’éducation, et ne seraient donc pas librement choisies.

Le «lavage de cerveau» au sens large de l’expression pourrait s’appliquer à toute forme de croyances ou de comportements.

L’expression «lavage de cerveau» serait réservée à certains procédés visant à formater les esprits par le biais de méthodes psychologiques.

Un esprit curieux et indépendant, cherchant sans cesse à vérifier la véracité des informations qu’il reçoit, serait à l’exact opposé d’un esprit conditionné par un lavage de cerveau, ne remettant jamais en question ce qu’on lui apprend.

(POLITIQUE ET SOCIÉTÉ, Sommes-nous conditionnés?, p.127-128)

MANGERIEZ-VOUS VOTRE CHAT?
25 dilemmes éthiques et ce qu’ils révèlent sur vous
Auteur : Jeremy Stangroom
Traduction : Valérie Feugeas
Les Éditions de l’Homme, juin 2015
(Would you eat your cat?, New Holland Publishers Ltd, 2010)


En complément 

Richard Dawkins (1941 - ) 
In Pour en finir avec Dieu, trad. Marie-France Desjeux-Lefort Robert Laffont, 2008

Je sais gré à mes parents d'avoir adopté l'idée qu'il ne faut pas tant apprendre aux enfants «quoi» penser que «comment» penser.
(p.339)

[...] L'opinion religieuse est le seul genre d'opinion parentale qui - par un consensus quasi universel - peut être collée à l'enfant qui est, à la vérité, trop jeune pour savoir ce qu'il pense vraiment. Un enfant chrétien, ça n'existe pas, ce n'est qu'un enfant de parents chrétiens.
(p.396)

Voltaire voyait juste il y a bien longtemps quand il disait que ceux qui vous font croire des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités. De même Bertrand Russell disait : «Beaucoup de gens seraient prêts à mourir plutôt que de penser. Et ils meurent.»
(p.319)

"La religion a en fait persuadé les individus qu'il y a un homme invisible – vivant dans le ciel – qui observe tout ce que tu fais à chaque instant de chaque jour. Et cet homme invisible a une liste de dix choses qu'il ne veut pas que tu fasses. Et si tu fais une de ces dix choses, il a un endroit spécial, plein de feu et de fumée où l'on brûle, torture et supplicie, et où il t'enverra pour y vivre, souffrir, brûler, t'étouffer, hurler et pleurer pour toujours jusqu'à la fin des temps. [...] Mais Il t'aime!" [George Carlin]
(p.291)

La religion est une étiquette marquant l'hostilité et la vendetta entre groupe intérieur et groupe extérieur; elle n'est pas nécessairement pire que d'autres étiquettes comme la couleur de la peau, la langue ou l'équipe favorite de football, mais elle est souvent là quand les autres font défaut.
(p.269)

On peut dire que, de toutes les oeuvres de fiction, le Dieu de la Bible est le personnage le plus déplaisant : jaloux, et fier de l'être, il est impitoyable, injuste et tracassier dans son obsession de tout régenter; adepte du nettoyage ethnique, c'est un revanchard assoiffé de sang; tyran lunatique et malveillant, ce misogyne homophobe, raciste, pestilentiel, mégalomane et sadomasochiste pratique l'infanticide, le génocide et le «fillicide».
(p.38)

Les efforts des apologistes pour trouver des scientifiques modernes authentiquement brillants qui soient croyants font penser à une quête désespérée dans un bruit de raclement de fond de tiroir.
(p.109)

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Milan Kundera (1929 - ) 
In La valse aux adieux, trad. François Kérel, Folio n°1043

[...] je dois me demander dans quel monde j'enverrais mon enfant. L'école ne tarderait pas à me l'enlever pour lui bourrer le crâne de contre-vérités que j'ai moi-même vainement combattues pendant toute ma vie. Faudrait-il que je voie mon fils devenir sous mes yeux un crétin conformiste? ou bien, devrais-je lui inculquer mes propres idées et le voir souffrir parce qu'il serait enchaîné dans les mêmes conflits que moi?
(p.157)

Source des citations : http://www.gilles-jobin.org

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Pensée du jour 

Vous n’avez pas peur de la noirceur.
Vous avez peur de ce qu’elle contient.

Vous n’avez pas peur des hauteurs.
Vous avez peur de tomber.

Vous n’avez pas peur des gens autour de vous.
Vous avez peur du rejet.

Vous n’avez pas peur de l’amour.
Vous avez peur de ne pas être aimé en retour.

Vous n’avez pas peur de lâcher prise.
Vous avez peur de la fin.

Vous n’avez pas peur de réessayer.
Vous avez peur d’être blessé pour la même raison.

(Auteur inconnu)

7 septembre 2015

Le chic conservateur Jerry Bance : pouah!

Ça confirme ce que j’ai toujours pensé : ne laissez jamais les réparateurs seuls...
Voyez le lien CBC à la fin.

Le conservateur filmé en train d'uriner dans la tasse d'un propriétaire n'est plus candidat

Lundi 7 septembre 2015, Radio-Canada avec CBC

Une vidéo compromettante filmée par l'équipe de l'émission Marketplace, à CBC, a finalement eu des conséquences pour le conservateur Jerry Bance, qui n'est plus candidat dans la circonscription de Scarborough-Rouge Park, a confirmé le Parti conservateur du Canada.

Les images filmées à l'aide de caméras cachées montraient Jerry Bance en train d'uriner dans une tasse, puis jeter le contenu dans le lavabo alors qu'il effectuait des réparations dans un domicile de Toronto.

L'épisode portait sur les comportements louches de certains réparateurs lorsqu'ils sont laissés seuls par les propriétaires. M. Bance était un des réparateurs visés par l'enquête.

«Je regrette profondément mes actions ce jour-là. Je suis très fier de mon travail et les images tournées cette journée-là ne reflètent pas ma personnalité ni mes compétences professionnelles», a déclaré M. Bance.

Ah non?

Well... as one might say:


Risque d’être viral ce machin... https://www.youtube.com/watch?v=7BdejLG6SU4

More about When The Repairman Knocks
http://www.cbc.ca/marketplace/episodes/2012-episodes/when-the-repairman-knocks

6 septembre 2015

Pour qui voter?

Joël Le Bigot a partagé cette note trouvée sur le bureau du recherchiste Laurent Boursier (Samedi et rien d’autre, ICI Radio-Canada Première, 5 sept. 2015) : 

Pour qui faut-il ne pas voter pour que le parti pour qui tu ne veux pas voter ne soit pas celui qui va gagner parce que tout le monde aura voté pour un autre parti sauf lui.

Voilà comment ça marche avec notre mode de scrutin alambiqué!

Ah mais, j’ai trouvé une solution pour ceux qui ne savent plus où donner du vote (trop drôle) :

Street art

VOTEZ POUR PERSONNE
PERSONNE tiendra ses promesses électorales
PERSONNE écoutera vos doléances
PERSONNE aidera les pauvres et les chômeurs
PERSONNE... s’en occupe!
Si PERSONNE est élu les choses iront mieux pour tout l’monde 
PERSONNE DIT LA VÉRITÉ

Documentaires d’appoint à voir ou revoir (un peu de lumière dans l’épais brouillard d’ignorance ou d’indifférence) :

1. Le prix à payer, Harold Crooks et Brigitte Alepin (2014) 

    [La] fuite massive de capitaux se fait évidemment au détriment de la classe moyenne qui doit absorber le manque à gagner. Mais il y a pire. Si l’évasion fiscale permet d’une part aux multinationales d’accumuler un pécule colossal, d’autre part, il consomme la naissance d’un nouveau levier politique, voire d’une refonte fondamentale de l’État. En effet, Crooks explique que la finance a gagné une telle force que la politique ne peut plus s’articuler en fonction des intérêts sociaux, mais doit désormais s’inscrire dans une logique d’entreprise, de commerce et de concurrence.
    Le réalisateur soutient alors peut-être la thèse la plus forte du film, à savoir que le contrat social, fondement de la démocratie moderne, a été brisé.
    Il ne faudrait pas croire que Crooks tourne les coins ronds et présente un portrait cliché des méchants banquiers en s’appuyant sur des lieux communs. La recherche documentaire est remarquable et propose des entrevues avec des grands mandarins de la finance, des essayistes et des avocats internationaux notamment. Bref, des partisans de la déréglementation comme des opposants farouches. (Arthur Paquet)

Blogue de Gérald Fillion (ICI Radio-Canada, Info, 4 sept. 2015) : 
http://blogues.radio-canada.ca/geraldfillion/2015/09/04/paradis-fiscaux-le-prix-a-payer/

    (...) Je sais que l’enjeu des paradis fiscaux vous préoccupe. Je reçois beaucoup de messages à ce sujet. Avec raison, puisque les gouvernements éprouvent de plus en plus de difficulté à trouver de nouveaux revenus fiscaux et à équilibrer leur budget. Par conséquent, les charges fiscales augmentent, le financement des services publics est réduit, les États abandonnent certaines missions, autrefois jugées essentielles.
    Quand on exige d’une partie de la population des sacrifices, que les gens doivent se serrer la ceinture en acceptant des mesures d’austérité, il n’est pas étonnant d’assister à des mouvements de colère et de frustration de la part de ceux qui subissent ces compressions. C’est entre 20 000 et 30 000 milliards de dollars qui se trouvent dans les paradis fiscaux du monde, selon différentes estimations. C’est au moins 10 fois l’économie du Canada! Imaginez ce qu’on pourrait faire avec autant d’argent!
    Dans son livre La crise fiscale qui vient, qui a inspiré le film [Le prix à payer] qu’on présente samedi soir, la fiscaliste Brigitte Alepin rappelle qu’un «fardeau fiscal trop lourd a été un élément déclencheur important de guerres civiles, voire de guerres entre États.» Elle ajoute qu’un «régime d’imposition, perçu comme injuste, peut entraîner la révolte des contribuables».
    Or, non seulement les paradis fiscaux privent les États d’importants revenus, mais les pays et les régions du monde sont entrés dans une véritable concurrence fiscale pour attirer des entreprises, des investissements et des emplois. «À force de réduire les taux d’imposition des sociétés, écrit Brigitte Alepin, les États n’auront plus assez de revenus pour assumer les dépenses minimales qui leur incombent.»
    Résultat, selon l’auteure : «des milliards s’accumulent à l’abri de l’impôt dans les paradis fiscaux et la classe moyenne continue de renflouer les caisses de l’État, appauvries par ce manque à gagner».

Le documentaire si vous avez accès à la zone :

 
2. Survivre au progrès (Surviving Progress), Harold Crooks et Mathieu Roy (2011) 

    Ce long métrage documentaire de Mathieu Roy et d'Harold Crooks est un requiem cinématographique à «la routine de l’évolution» inspiré du succès en librairie Brève histoire du progrès, de Ronald Wright. Au fil de l’histoire humaine, des innovations associées au progrès se sont souvent révélées destructrices. Margaret Atwood, le généticien David Suzuki, et bien d’autres chercheurs, penseurs et militants, dont quelques «repentis» du système financier, estiment que la course au profit et la loi du court terme, en détruisant l’environnement et les liens sociaux, conduisent l’humanité à sa perte. Leurs propos, aussi limpides que convaincants, replacent notre crise écologique et économique dans le temps tout au long de l’évolution humaine. Les questions du progrès, de la dette, du partage des richesses et de l’épuisement des ressources sont ainsi radicalement mises en perspective.

Margaret Atwood,  écrivaine : «Plutôt que de penser que la nature est une gigantesque banque, une carte de crédit sans limite que nous pouvons utiliser de façon permanente, nous devons considérer la finitude de cette planète et réfléchir à la manière de la garder en vie pour que nous puissions nous aussi rester en vie. À moins de préserver la planète, il n’y aura plus « d’économie».

Jane Goodall,  primatologue : «Nous sommes sans doute les créatures les plus intelligentes qui aient jamais foulé la planète Terre. Comment se fait-il alors que cet être si intelligent détruise son unique habitat?»

Michael Hudson,  historien de l’économie, ancien économiste de Wall Street : «Progrès voulait dire : «Vous ne récupérerez jamais ce que nous vous prenons». C’est ce qui a amené l’âge des ténèbres et c’est ce qui menace de nous apporter à nouveau l’âge des ténèbres.»

Simon Johnson, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international : «Les banquiers ne peuvent s’en empêcher. C’est dans leurs gènes, les gènes de leurs organisations, de prendre des risques énormes, de s’octroyer des salaires ridicules et de s’écrouler...»

Kambale Musavuli, association Amis du Congo : «Ce qui est remarquable, c’est que tout l’argent pillé des dettes internationales se trouve dans les banques de l’Occident.»

Photo promotionnelle

Ronald Wright, essayiste et écrivain canadien : «... nous traitons les données logicielles du 21e siècle, c’est-à-dire nos connaissances, avec une machine [notre cerveau] qui n’a pas été mise à jour depuis 50 000 ans, et c’est là l’origine de plusieurs de nos problèmes.» Le
documentaire s’inspire de son essai Brève histoire du progrès (Éditions Hurtubise, 2006) : 
    Épuisement des ressources naturelles, surpopulation, désertification, désastres écologiques et économiques, systèmes politiques à bout de souffle, appauvrissement des classes moyennes et populaires. L’accumulation des crises annonce-t-elle l’anéantissement de notre civilisation? Est-il urgent de renoncer à «l’illusion du progrès» qui s’est imposée à toutes les sociétés depuis les débuts de la révolution industrielle, avec ses espoirs de croissance et d’avancées technologiques illimitées?

English version: Surviving Progress, Harold Crooks and Mathieu Roy 
    The dominant culture measures itself by the speed of “progress”. But what if this so-called progress is actually driving us full force towards collapse? Surviving Progress shows how past civilisations were destroyed by “progress traps” — alluring technologies and belief systems that serve immediate needs, but ransom the future. As pressure on the environment accelerates and financial elites bankrupt nations, can our globally-entwined civilisation escape a final, catastrophic progress trap?
https://thoughtmaybe.com/surviving-progress/

2 septembre 2015

Retour de l’intégrisme catholique?

Le Mouvement Tradition Québec 
    (Québec) Le Mouvement Tradition Québec est «composé de soldats du Christ» de «race» canadienne-française, dixit le site Web. La Fraternité offre des «conférences sur les erreurs du mouvement féministe et le vrai rôle de la femme»
    Selon le conférencier Daniel Couture il est le temps de définir le rôle des femmes dans la société canadienne-française : «La mère de famille. C'est fondamental. Si la femme n'est plus à la maison pour être mère, qui va s'occuper des enfants? Et, il y aura moins d'enfants. Tout s'enchaîne. L'homme, pourvoyeur au travail, la femme, mère, reine du foyer. C'est elle qui s'occupe de la maison. [...] C'est un travail à plein temps s'occuper des enfants. Tout se tient.»

Une autre journée au paradis... 


    Le groupe prône un retour à une église traditionnelle. «Nous voulons soutenir une société catholique, ici dans notre pays, comme ça l'était avant la Révolution tranquille.» Ce qui impliquerait une présence beaucoup plus importante de l'Église : «Aux évêques de se battre pour contrer la ‘décatholisation’. Aujourd'hui, on n'entend pas les évêques. Il y a un silence très dommageable.»
    La Fraternité sacerdotale Saint Pie X (FSSPX) compte quelques centaines de prêtres, de religieuses et de frères dans 65 pays. Au Québec, on compte à peu près 600 à 700, fidèles, peut-être 1000. Le siège canadien est à Saint-Césaire, en Montérégie. 
    (Source : Journal Le Soleil)

Des centres Lebensborn avec ça?! (Voyez Lebensborn sur Wikipedia)

Une lettre intitulée «Je me souviens» a circulé pendant les débats sur la charte de la laïcité. Les gens questionnaient son authenticité et l’identité de l’auteur. En ce qui me concerne, que ce soit un manifeste individuel ou collectif ne m’importe pas car il inclut des vérités. Étant de la génération des baby-boomers j’ai été témoin de l’omniprésent pouvoir clérical jusque dans les aspects les plus insignifiants de la vie des gens. Tous les États, même laïques, ont leur lot de lois restrictives, mais le volet religion amplifie l’intrusion dans la vie privée, notamment sexuelle – les pratiquants allaient raconter leur vie de couple aux curés. La confession fournissait aux prêtres de subtils outils de chantage auprès des paroissiens ou des élèves de collèges. Contrôle, contrôle... par la peur. 
    Il semble que le pape François entend accorder le pardon et l’absolution aux femmes qui se sont fait avorter (l’avortement est automatiquement passible d’excommunication) à la condition qu’elles soient repentantes. Ouf, Dieu soit loué ... meublé ou non meublé, elles auront droit au paradis.

Je me demande ce que le pape a proposé aux prêtres pédophiles...  

Extraits de la lettre «Je me souviens» : 
    «Je me souviens que, dans mon jeune âge, nous ne pouvions pas rentrer à l’église sans avoir un voile ou un chapeau sur la tête. A cette époque, je me souviens aussi que c’était un péché mortel de manger de la viande le vendredi.» 
    «... La messe tous les matins, une prière avant le déjeuner, une prière en entrant en classe, une au dîner sous le coup de l'Angélus, une autre avant la classe de l'après-midi, les grâces au souper, le chapelet en famille avec le Cardinal Léger et une dernière prière avant d'aller au lit. Il y avait le mois de Marie, les Vêpres, etc. Nous avions aussi de longues périodes de jeûne avant Noël (l'Avant), avant Pâques (le Carême).» 
    «... Je me souviens que ma mère a été chassée de l’Église, parce qu’après avoir mis au monde 4 enfants, elle ne voulait plus en avoir d’autres. Je me souviens que pour cette raison, le pardon de ses fautes lui était refusé par l’Église à moins qu’elle laisse son corps à son mari, avec ou sans plaisir, au risque d’atteindre la douzaine. Je me souviens qu'elle a refusé et qu'elle a quitté l'Église comme beaucoup d'autres femmes de sa génération.»

Dix rejetons! C’était le lot de beaucoup de femmes des milieux pauvres : des machines à procréation. En milieux bourgeois, les hommes avaient des maîtresses, ce qui limitait la progéniture officielle... «L’homme bien élevé vit chez sa maîtresse et meurt chez sa femme», disait Henri Becque. Bien sûr. 

    «Devenue adulte, je me souviens que grâce aux pressions de la génération précédente, j'ai eu accès aux premiers moyens de contraception qui m'ont permis de restreindre le nombre de mes propres rejetons.»
    «Je me souviens que, tour à tour, ma mère et ma belle-mère ont vu une opération urgente retardée en attendant que leur mari respectif, de qui elles étaient séparées
de fait et non légalement, apposent leur signature pour autoriser leur intervention chirurgicale.»

[Pour ma part, je me souviens que dans les années 70, une femme mariée n’avait pas le droit d’avoir une carte de crédit à son nom personnel sans le consentement de son conjoint même si elle était financièrement indépendante – valait mieux ne pas être mariée!] 
    «Je me souviens du militantisme de beaucoup de femmes qui ont travaillé d'arrache-pied pour obtenir l'équité dans notre pays comme politicienne,  au sein des chambres de commerce, des syndicats, du Conseil du statut de la femme, etc. (...) pour nous libérer de l'emprise de l'Église et de la religion sur nos vies. Je me souviens qu'il a fallu plus de 60 ans (1940 à 2006) pour obtenir l'équité salariale et que ce n'est pas encore fini.»
    «Que l'on prie Jésus, Mahomet ou Bouddha m'importe peu, mais nous nous sommes battus, québécois et québécoises, pour que notre société soit laïque. Nous nous sommes battues, québécoises, pour obtenir l'égalité du droit de parole entre les hommes et les femmes autant que pour l'égalité des chances au travail.»

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Citaquote du jour : Thomas Paine (1737-1809)

«C'est à travers la Bible que l'homme a appris la cruauté, le viol et le meurtre. La croyance en un Dieu cruel produit l’homme cruel. Et la Bible est une histoire de méchanceté qui a servi à corrompre et à brutaliser l'humanité.»

«Toutes les institutions nationales religieuses – juives, chrétiennes ou turques – sont pour moi des inventions humaines implantées pour terrifier et asservir l'humanité, et monopoliser le pouvoir et le profit.»

«Que Dieu ne puisse pas mentir ne valide pas votre argument car il n'y a pas de preuve que les prêtres et la Bible ne mentent pas.»

«De toutes les tyrannies qui frappent l'humanité, la pire est la tyrannie en matière de religion.»
(Faut-il avoir peur de l’Amérique?, Nicole Bacharan, éd. Seuil, 2005, p. 87)

«Ce n'est pas un Dieu juste et bon que la Bible décrit, mais un diable portant le nom de Dieu.»

«La peur de la résistance est à l’origine du pouvoir et de la puissance du despotisme.»

«La persécution n'est pas une caractéristique fondamentale des religions; mais elle est toujours fortement ancrée dans toutes les religions établies par la loi.»

«J'ai toujours vigoureusement défendu le droit de chaque homme à sa propre opinion, aussi différente qu'elle puisse être de la mienne. Celui qui refuse à un autre ce droit se rend lui-même esclave de son opinion présente, car il se prive du droit d'en changer... L'infidélité ne consiste pas à croire ou à ne pas croire, mais à affirmer croire ce que l'on ne croit pas. Il est impossible d'évaluer les dégâts moraux que le mensonge à soi-même provoque dans une société.»
(Faut-il avoir peur de l’Amérique?, Nicole Bacharan, éd. Seuil, 2005, p. 20)

Dans la même veine :

http://artdanstout.blogspot.ca/2015/04/lautocratie-confessionnelle-en.html

http://artdanstout.blogspot.ca/2015/03/lart-de-devoiler.html

29 août 2015

Ce piratage Wifi si répandu...

L’article qui suit a largement été relayé en octobre dernier, mais on dirait que personne n’a lu ou compris... L’expérience est pourtant concluante et devrait inciter les utilisateurs à redoubler de vigilance. (Voyez aussi «Surveillance intrusive») 

L’affaire Ashley Madison nous donne une autre bonne leçon. Le thème du site est sans importance – je ne parlerai pas des nonos qui se croyaient à l’abri alors que les gouvernements se font eux-mêmes pirater.

Le cybercrime est un business lucratif, et les pirates peuvent se servir à volonté au bar ouvert Wifi. Mais, il existe des «pirates éthiques» qui enseignent aux individus et aux entrepreneurs à se garer des intrusions. Comme le mentionne l’auteur de l'article, on ne le répétera jamais assez : ne vous branchez pas sur les réseaux Wifi des espaces publics sans protection adéquate.

Illustration : Kristina Collantes

Auteur : Maurits Martijn, De Correspondent; octobre 2014
Traduction néerlandais/anglais : Jona Meijers
 
(Traduction/adaptation maison)

Nous avons amené un pirate dans un café et, en 20 minutes, il savait où chaque client était né, quels collèges il avait fréquentés et les cinq dernières choses qu'il avait googlé.

Wouter Slotboom, 34 ans, transporte dans son sac-à-dos un appareil noir, à peine plus gros qu'un paquet de cigarettes, gréé d’une antenne. Je le rencontre dans un café au centre-ville d'Amsterdam. C'est une journée ensoleillée et presque toutes les tables sont occupées. Certaines personnes causent, d'autres travaillent sur leurs ordinateurs portables ou jouent avec leurs smartphones.

Wouter sort son ordinateur portable, place le dispositif noir sur la table et le camouffle sous un menu. Nous demandons à la serveuse deux cafés et le mot de passe de connexion Wifi. Entre-temps, Wouter branche le dispositif à son portable et lance certains programmes; bientôt l'écran commence à afficher des lignes de texte vertes. Il devient peu à peu évident que le dispositif de Wouter se connecte aux ordinateurs portables, smartphones et tablettes des clients du café.

Sur son écran, des expressions comme «iPhone Joris» et «Simone's MacBook» apparaissent. L'antenne du périphérique intercepte les signaux envoyés par les ordinateurs, smartphones et tablettes autour de nous.

Plus de texte commence à s’afficher sur l'écran. Nous pouvons voir à quels réseaux Wifi les périphériques avaient été précédemment connectés. Parfois, les noms de réseaux sont composés principalement de chiffres et de lettres aléatoires, ce qui rend difficile de les situer à un endroit précis, mais plus souvent qu'autrement, les réseaux Wifi divulguent leur localisation.

Nous apprenons que Joris est allé chez McDonald's auparavant, qu’il a probablement passé ses vacances en Espagne (beaucoup de noms de réseaux en espagnol), et qu’il a fait du kart-racing (il s’était connecté au réseau local du Kart-Racing Center bien connu). Martin, un autre client du café, s’était connecté au réseau de l'aéroport d'Heathrow et de la compagnie American Airline Southwest. À Amsterdam, il séjourne probablement à l’hôtel White Tulip. Il a également visité le café Bulldog.

Session 1 : Que chacun se connecte à notre réseau fictif!

Une fois connecté au Wifi du café, Slotboom peut fournir à tous les clients une connexion internet fictive et rediriger le trafic vers son petit appareil.

La plupart des smartphones, ordinateurs portables et tablettes cherchent automatiquement à se connecter aux réseaux Wifi. Ils sélectionnent préférablement un réseau où une connexion a déjà été établie. Si vous avez ouvert une session sur le réseau T-Mobile, dans un train par exemple, votre appareil recherchera un réseau T-Mobile dans la région.

L’appareil de Slotboom peut enregistrer ces recherches et prendre l’apparence d’un réseau Wifi fiable. Soudain je vois le nom de mon réseau domestique apparaître sur la liste de disponibilités de mon iPhone, incluant mon lieu de travail, une liste de cafés, de halls d'hôtel, de gares et d’autres lieux publics que j'ai visités. Mon téléphone se connecte à l'un de ces réseaux automatiquement redirigé vers le périphérique noir.

Slotboom peut également lancer un nom de réseau fictif pour faire croire aux utilisateurs qu'ils sont réellement connectés à celui du lieu qu'ils visitent. Si le réseau Wifi de l’endroit est composé de lettres et de chiffres aléatoires (Fritzbox Slotboom XYZ123) il peut changer le nom du réseau pour Starbucks par exemple. Les gens, dit-il, seront beaucoup plus enclins à s’y connecter.

Nous voyons de plus en plus de gens se connecter à notre réseau fictif. Le chant de la sirène du petit périphérique noir semble irrésistible. Déjà 20 smartphones et ordinateurs nous appartiennent. S'il le voulait, Slotboom pourrait maintenant ruiner totalement la vie des gens connectés : il peut récupérer leurs mots de passe, voler leur identité et piller leurs comptes bancaires. Plus tard aujourd'hui, il me montrera comment procéder. Je lui ai donné la permission de me pirater pour montrer ce dont il est capable, mais cela pourrait se faire à l’insu de n’importe quelle personne disposant d'un smartphone ou d’un ordinateur portable en quête d’une connexion Wifi.

Mis à part quelques rares exceptions, tout peut être craqué.

L'idée que les réseaux Wifi publics ne sont pas sécuritaires n'est pas nouvelle. Toutefois, c’est une chose qu’on ne répétera jamais assez. On estime qu’il a plus de 1,43 milliard d'utilisateurs de smartphones dans le monde entier, dont plus de 150 millions aux États-Unis; plus de 92 millions d’Américains ont une tablette et plus de 155 millions un ordinateur portable. La demande mondiale pour les ordinateurs portables et les tablettes augmente à chaque année. En 2013, 206 millions de tablettes et 180 millions d'ordinateurs ont été vendus dans le monde. Quiconque possède un appareil portatif s’est sans doute connecté au moins une fois à un réseau Wifi dans un café, un train ou un hôtel.

La bonne nouvelle est qu’il existe des réseaux mieux protégés que d'autres; certains services de courrier électronique et de médias sociaux utilisent des méthodes de cryptage plus sécuritaires que leurs concurrents. Mais, passez une journée en ville avec Wouter Slotboom et vous verrez que presque tout ce qui est connecté à un réseau Wifi peut être piraté. Une étude menée par l’agence de sécurité Risk Based Security estime que plus de 822 millions de données confidentielles ont été divulguées à travers le monde en 2013 : numéros de cartes de crédit, dates de naissance, renseignements médicaux, numéros de téléphone, numéros de sécurité sociale, adresses, noms d'utilisateurs, courriels, noms et mots de passe. Soixante-cinq pour cent de ces données provenait des États-Unis. Selon la société de sécurité informatique Kaspersky Lab, en 2013, 37,3 millions d'utilisateurs dans le monde et 4,5 millions d'Américains ont été victimes d’hameçonnage – ou de fraude – les détails de comptes bancaires ayant été saisis via des ordinateurs portables, des smartphones ou des sites web piratés.

L’un après l’autre, tous les rapports indiquent que le vol d'identité est un problème de plus en plus fréquent. Les pirates et les cybercriminels disposent actuellement de plusieurs outils différents. Mais la prévalence des réseaux Wifi ouverts et non sécuritaires leur rendent la tâche extrêmement facile. Les Centre national de cyber-sécurité des Pays-Bas, une division du ministère de la sécurité et de la justice, n'a pas diffusé cet avertissement en vain : «Il n'est pas recommandé d'utiliser les réseaux Wifi ouverts dans les lieux publics. Il vaut mieux éviter de les utiliser pour le travail ou les activités financières.»

Slotboom se voit comme un «pirate éthique», un bon gars, un mordu de technologie qui divulgue les dangers potentiels d'Internet et de la technologie. Il enseigne aux particuliers et aux entreprises comment mieux protéger leurs données. Comme avec moi aujourd’hui, il le fait habituellement en démontrant à quel point il est facile de causer des dommages. C'est en effet un jeu d'enfant : l'appareil n'est pas cher, le logiciel pour intercepter le trafic est très facile à télécharger et à utiliser. «Vous avez besoin de 70 euros, d'un QI moyen et d’un peu de patience, c’est tout», dit-il. Je m'abstiens d'élaborer sur certains aspects plus techniques, tels que l’équipement, les logiciels et les applications nécessaires pour pirater les gens.

Session 2 : Scanner le nom, les mots de passe et l'orientation sexuelle

Nous nous rendons à un café réputé pour la beauté de ses fleurs dessinées dans la mousse des lattes; un endroit très fréquenté par les pigistes qui travaillent avec des ordinateurs portables. L’endroit est bourré de clients concentrés sur leurs écrans.

Slotboom installe son équipement. Il refait les mêmes étapes et au bout de quelques minutes, une vingtaine de périphériques sont connectés au nôtre. Nous voyons à nouveau défiler des adresses MAC et des historiques de connexion, et dans certains cas des noms de propriétaires. À ma demande, nous passons à une autre étape.

Slotboom lance un autre programme (également facile à télécharger) qui lui permet d'extraire encore plus d'information sur les ordinateurs et les smartphones connectés. Nous pouvons voir les spécifications des modèles de téléphone mobile (Samsung Galaxy S4), les paramètres de langue des différents périphériques, et la version du système d'exploitation utilisée (iOS 7.0.5). Si le système d’exploitation du périphérique est obsolète par exemple, on sait qu’il y a des «bugs» ou des trous dans le système de sécurité facilement exploitables. Avec ce genre d'information, vous avez tout ce qu’il faut pour entrer dans le système d'exploitation et prendre les rênes de l'appareil. Un échantillonnage des clients du café révèle que personne n’a la dernière version du système d'exploitation. Tous ces systèmes ont donc un bug connu répertorié en ligne.

Nous pouvons maintenant voir le trafic Internet des gens qui nous entourent. Quelqu’un navigue avec un MacBook sur le site NU.nl. Plusieurs  périphériques envoient des documents par WeTransfer, certains utilisent à Dropbox et d’autres Tumblr. Nous voyons quelqu'un qui vient de se connecter à FourSquare. Le nom de cette personne est également indiqué, et après l’avoir googlé, nous reconnaissons la personne, assise à quelques mètres de nous.

L'information entre à flot, même sur les clients qui ne sont pas en train de travailler ou de fureter. Plusieurs applications et programmes de messagerie sont constamment en contact avec leurs serveurs – une activité nécessaire pour qu’un périphérique récupère les nouveaux courriels. Dans certains périphériques et programmes, nous pouvons voir l'information envoyée, et à quel serveur.

Et maintenant, ça devient vraiment personnel. Nous voyons l’application Gay Dating Grindr installée sur le smartphone d’un client. Ainsi que le nom et le type de smartphone qu'il utilise (iPhone 5S). Nous nous arrêtons là, mais ce serait un jeu d'enfant de savoir à qui appartient le téléphone. Nous voyons quelqu'un dont le téléphone tente de se connecter à un serveur en Russie, transmettant également le mot de passe du client que nous pourrions intercepter.

Alternative

Session 3 : Obtenir des informations sur l'occupation, les hobbies et les problèmes relationnels

Plusieurs applications, programmes, sites web, et certains types de logiciels utilisent des technologies de cryptage. On s’assure ainsi que les informations envoyées et reçues à partir d'un périphérique ne soient pas accessibles à des yeux non autorisés. Mais si l'utilisateur est connecté au réseau Wifi fictif de Slotboom, ces mesures de sécurité peuvent être contournées assez facilement à l'aide d’un logiciel de décryptage.

À notre grand étonnement, nous voyons une application envoyer des informations personnelles à une entreprise qui vend de la publicité en ligne. Entre autres choses, les données de localisation, de l'information technique sur le téléphone et le réseau Wifi. Nous voyons également l’identité (prénom et nom de famille) d'une femme utilisant le bookmarking social du site Delicious (qui permet aux utilisateurs de partager les signets qui les intéressent). En principe, les pages que les utilisateurs de Delicious partagent sont disponibles publiquement, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de nous sentir comme des voyeurs quand nous réalisons à quel point nous pouvons en apprendre sur cette femme sur la base de cette information.

Nous entrons d'abord son nom, ce qui nous permet de déterminer immédiatement à quoi elle ressemble et où elle est assise dans le café. Nous apprenons qu'elle est née dans un autre pays européen et qu’elle a déménagé récemment aux Pays-Bas. Par le biais de Delicious nous découvrons qu'elle a visité le site Web d'un cours de langue et mis un signet pour un site web offrant des cours d'intégration.

En moins de 20 minutes, voici ce que nous avons découvert sur cette femme assise à trois mètres de nous : son lieu de naissance, où elle a étudié, elle s’intéresse au yoga, elle a ajouté à ses favoris un site de mantras anti-ronflement, elle a récemment visité la Thaïlande et le Laos, et elle a un intérêt marqué pour les sites qui offrent des conseils pour sauver une relation.

Slotboom me montre quelques astuces supplémentaires de piratage. À l'aide d'une application sur son téléphone, il peut modifier des mots spécifiques sur n'importe quel site web. Par exemple, à chaque fois que le nom «Opstelten» (un politicien hollandais) est mentionné, il est remplacé par le nom «Dutroux» (un individu reconnu coupable de meurtres en série), et c’est ce que les visiteurs voient sur la page. Nous avons testé et ça fonctionne. Nous essayons un autre truc : quiconque télécharge un site Web qui inclut des photos voit une image sélectionnée par Slotboom. Tout cela peut paraître drôle quand on ne cherche pas à nuire, mais cela peut devenir dramatique si, par exemple, un pirate malicieux télécharge des images de pornographie juvénile sur le smartphone de quelqu'un d’autre – la possession de telles photos est une infraction criminelle.

Mot de passe intercepté

Nous visitons un autre café. Ma dernière requête : Slotboom me montrera ce qu’il ferait s'il voulait réellement me causer du tort. Il me demande d’ouvrir Live.com (site de messagerie Microsoft) et d’entrer un nom d'utilisateur et un mot de passe au hasard. Quelques secondes plus tard, l'information que je viens juste de taper apparaît sur son écran. «J'ai maintenant les détails de connexion de ton compte de messagerie», déclare Slotboom. «Je commencerais par changer le mot de passe de ton compte et je signalerais aux autres comptes que tu utilises que ‘j'ai oublié mon mot de passe’. La plupart des gens utilisent le même compte de messagerie pour tous leurs services. Ces nouveaux mots de passe seront ensuite envoyés à ta boîte de réception, ce qui signifie que je les aurai également à ma disposition.» Nous faisons la même chose avec Facebook : Slotboom peut intercepter le nom de connexion et le mot de passe que je viens d’enregistrer avec une relative facilité.

Un dernier truc : Slotboom détourne mon trafic Internet. Par exemple, si j'essaie d'accéder à la page web de ma banque, il demande à son programme de me réorienter vers une page qui lui appartient : un site cloné qui semble identique à Trusted Site, mais en réalité totalement contrôlé par Slotboom. Les pirates appellent ça usurpation DNS. L’information que j'ai entrée sur le site est a été stockée chez le serveur appartenant à Slotboom. En 20 minutes, il a obtenu les détails de connexion et les mots de passe de mes comptes Live.com, SNS Bank, Facebook et DigiD.

Je ne me connecterai plus jamais à un réseau Wifi non protégé sans prendre les précautions de sécurité nécessaires.

Cet article a paru initialement en néerlandais sur le site journalistique De Correspondent. Tous les noms sont fictifs, à l’exception de Wouter Slotboom. Nous avons traité les données interceptées avec le plus grand soin et elles ont été effacées immédiatement après notre dernière rencontre.

Source :
https://medium.com/matter/heres-why-public-wifi-is-a-public-health-hazard-dd5b8dcb55e6

Comment se protéger (en anglais) :
https://decorrespondent.nl/1103/How-to-safely-use-a-public-Wi-Fi-network/31096879-74f654ff

24 août 2015

Le joug boursier

Nous sommes les deux faces d’une pièce de monnaie, mais pas de la même devise...

Les tyrans financiers s’agitent et jouent au yo-yo au Casino de la Bourse – récession, dépression (crash), dégringolade du Dow Jones... à l’horizon?

Film Trading Places

Êtes-vous angoissé?

Première suggestion : voyez le vieux film Trading Places (1983), une parodie savoureuse et réaliste sur la façon dont fonctionnent les marchés boursiers (il n’a pas pris une ride). Fortement inspiré du conte The Million Pound Bank Note de Mark Twain.

Deuxième suggestion : lisez Le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie (1530-1563), ô combien pertinent! (d’après une adaptation de Claude Ovtcharenko – lien en fin de message). Le fait qu’il ait rédigé cet ouvrage à 18 ans peut donner des complexes aux écrivains et penseurs sérieux...

(Un condensé wikipedia en français contemporain, si vous n'avez pas la patience ou le temps de lire les extraits qui suivent 
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2011/12/domines-dominants.html )

Comme on dit, prenez le temps de réfléchir avant de vous jeter en bas du premier pont à cause des fluctuations boursières.

(Extraits)

Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner)! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes! Contraints à l’obéissance, obligés de temporiser, divisés entre eux, ils ne peuvent pas toujours être les plus forts. Si donc une nation, enchaînée par la force des armes, est soumise au pouvoir d’un seul (comme la cité d’Athènes le fut à la domination des trente tyrans), il ne faut pas s’étonner qu’elle serve, mais bien déplorer sa servitude, ou plutôt ne s’en étonner, ni s’en plaindre; supporter le malheur avec résignation et se réserver pour une meilleure occasion à venir.
       ... Si donc les habitants d’un pays trouvent, parmi eux, un de ces hommes rares qui leur ait donné des preuves réitérées d’une grande prévoyance pour les garantir, d’une grande hardiesse pour les défendre, d’une grande prudence pour les gouverner ; s’ils s’habituent insensiblement à lui obéir ; si même ils se confient à lui jusqu’à lui accorder une certaine suprématie, je ne sais si c’est agir avec sagesse, que de l’ôter de là où il faisait bien, pour le placer où il pourra mal faire, cependant il semble très naturel et très raisonnable d’avoir de la bonté pour celui qui nous a procuré tant de biens et de ne pas craindre que le mal nous vienne de lui. 
       Mais ô grand Dieu! qu’est donc cela? Comment appellerons-nous ce vice, cet horrible vice? N’est-ce pas honteux, de voir un nombre infini d’hommes, non seulement obéir, mais ramper, non pas être gouvernés, mais tyrannisés, n’ayant ni biens, ni parents, ni enfants, ni leur vie même qui soient à eux? Souffrir les rapines, les brigandages, les cruautés, non d’une armée, non d’une horde de barbares, contre lesquels chacun devrait défendre sa vie au prix de tout son sang, mais d’un seul. ... Appellerons-nous vils et couards les hommes soumis à un tel joug? Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul; c’est étrange, mais toutefois possible; peut-être avec raison, pourrait-on dire : c’est faute de cœur. Mais si cent, si mille se laissent opprimer par un seul, dira-t-on encore que c’est de la couardise, qu’ils n’osent se prendre à lui, ou plutôt que, par mépris et dédain, ils ne veulent lui résister? Enfin, si l’on voit non pas cent, non pas mille, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes ne pas assaillir, ne pas écraser celui qui, sans ménagement aucun, les traite tous comme autant de serfs et d’esclaves : comment qualifierons-nous cela? Est-ce lâcheté? Mais pour tous les vices, il est des bornes qu’ils ne peuvent dépasser. Deux hommes et même dix peuvent bien en craindre un, mais que mille, un million, mille villes ne se défendent pas contre un seul homme! Oh! Ce n’est pas seulement couardise, elle ne va pas jusque-là; de même que la vaillance n’exige pas qu’un seul homme escalade une forteresse, attaque une armée, conquière un royaume! Quel monstrueux vice est donc celui-là que le mot de couardise ne peut rendre, pour lequel toute expression manque, que la nature désavoue et la langue refuse de nommer?…

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Ils sont vraiment miraculeux les récits de la vaillance que la liberté met dans le cœur de ceux qui la défendent! mais ce qui advient, partout et tous les jours, qu’un homme seul opprime cent mille villes (...). Et pourtant ce tyran, seul, il n’est pas besoin de le combattre, ni même de s’en défendre; il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à la servitude. Il ne s’agit pas de lui rien arracher, mais seulement de ne lui rien donner. Qu’une nation ne fasse aucun effort, si elle veut, pour son bonheur, mais qu’elle ne travaille pas elle-même à sa ruine. Ce sont donc les peuples qui se laissent, ou plutôt se font garrotter, puisqu’en refusant seulement de servir, ils briseraient leurs liens. C’est le peuple qui s’assujettit et se coupe la gorge : qui, pouvant choisir d’être sujet ou d’être libre, repousse la liberté et prend le joug, qui consent, qui consent à son mal ou plutôt le pourchasse. S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté je ne l’en presserais point : bien que rentrer dans ses droits naturels et, pour ainsi dire, de bête de redevenir homme, soit vraiment ce qu’il doive avoir le plus à cœur. (...) ...plus les tyrans pillent, plus ils exigent; plus ils ruinent et détruisent, plus on leur fournit, plus on les gorge; ils se fortifient d’autant et sont toujours mieux disposés à anéantir et à détruire tout; mais si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point; sans les combattre, sans les frapper, ils demeurent nus et défaits : semblables à cet arbre qui ne recevant plus de suc et d’aliment à sa racine, n’est bientôt qu’une branche sèche et morte.

Traders à la bourse de New York 2008; ne craignez rien, c’est juste un jeu vidéo...  

Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regardiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus qui vous épient, si ce n’est de vos rangs? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes? Vous semez vos champs, pour qu’il les dévaste; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure; vous nourrissez vos enfants, pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore!) pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités ... vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser.

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Il y a trois sortes de tyrans. Je parle des mauvais Princes. Les uns possèdent le Royaume par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, et les autres par succession de race. Ceux qui l’ont acquis par le droit de la guerre, s’y comportent, on le sait trop bien et on le dit avec raison, comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, ne sont pas ordinairement meilleurs; nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait naturel du tyran, ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires; et, selon le penchant auquel ils sont le plus enclins, avares ou prodigues, ils usent du Royaume comme de leur propre héritage. Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable, et le serait je crois, si dès qu’il se voit élevé en si haut lieu, au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi, qu’on appelle grandeur, il ne prenait la ferme résolution de n’en plus descendre. Il considère presque toujours la puissance qui lui a été confiée par le peuple comme devant être transmise à ses enfants. Or, dès qu’eux et lui ont conçu cette funeste idée, il est vraiment étrange de voir de combien ils surpassent en toutes sortes de vices, et même en cruautés, tous les autres tyrans. Ils ne trouvent pas de meilleur moyen pour consolider leur nouvelle tyrannie que d’accroître la servitude et d’écarter tellement les idées de liberté de l’esprit de leurs sujets, que, pour si récent qu’en soit le souvenir, bientôt il s’efface entièrement de leur mémoire. Ainsi, pour dire vrai, je vois bien entre ces tyrans quelque différence, mais pas un choix à faire : car s’ils arrivent au trône par des routes diverses, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Les élus du peuple, le traitent comme un taureau à dompter : les conquérants, comme une proie sur laquelle ils ont tous les droits : les successeurs, comme tout naturellement. 

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Mais [le tyran] ne voulant pas saccager une aussi belle ville, ni être toujours obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avise d’un expédient extraordinaire pour s’en assurer la possession : il établit des maisons de débauches et de prostitution, des tavernes et des jeux publics et rend une ordonnance qui engage les citoyens à se livrer à tous ces vices. Il se trouve si bien de cette espèce de garnison, que, par la suite, il n’est plus dans le cas de tirer l’épée... Ces misérables gens s’amusent à inventer toutes sortes de jeux. (...) À vrai dire, c’est assez le penchant naturel de la portion ignorante du peuple qui d’ordinaire est plus nombreuse dans les villes. Elle est soupçonneuse envers celui qui l’aime et se dévoue pour elle, tandis qu’elle est confiante envers celui qui la trompe et la trahit. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise, morde plus tôt et s’accroche plus vite à l’hameçon, que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher et conduire à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur débite ou qu’on leur fasse goûter. C’est vraiment chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille. Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèces étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. Ce système, cette pratique, ces allèchements étaient les moyens qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets dans la servitude. Ainsi, les peuples abrutis, trouvant beau tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal encore que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images enluminées. 
       Les tyrans romains renchérirent encore sur ces moyens, en festoyant souvent les hommes des décuries   en gorgeant ces gens abrutis et les flattant par où ils étaient plus faciles à prendre, le plaisir de la bouche. Aussi le plus instruit d’entre eux n’eût pas quitté son écuelle de soupe pour recouvrer la liberté de la république de Platon. Les tyrans faisaient ample largesse du quart de blé, du septier de vin, du sesterce; et alors c’était vraiment pitié d’entendre crier vive le roi! Les lourdauds ne s’apercevaient pas qu’en recevant toutes ces choses, ils ne faisaient que recouvrer une part de leur propre bien; et que cette portion même qu’ils en recouvraient, le tyran n’aurait pu la leur donner, si, auparavant, il ne l’eût enlevée à eux-mêmes. Tel ramassait aujourd’hui le sesterce, tel se gorgeait au festin public, en bénissant Tibère et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, était contraint d’abandonner ses biens à l’avarice, ses enfants à la luxure, son rang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs, ne disait mot, pas plus qu’une pierre et ne se remuait pas plus qu’une souche. Le peuple ignorant et abruti a toujours été de même. Il est, au plaisir qu’il ne peut honnêtement recevoir, tout dispos et dissolu; au tort et à la douleur qu’il ne peut raisonnablement supporter, tout à fait insensible. Je ne vois personne maintenant qui, entendant parler seulement de Néron, ne tremble au seul nom de cet exécrable monstre, de cette vilaine et sale bête féroce, et cependant, il faut le dire, après sa mort, aussi dégoûtante que sa vie, ce fameux peuple romain en éprouva tant de déplaisir (se rappelant ses jeux et ses festins) qu’il fut sur le point d’en porter le deuil.

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Mais ils ne font guère mieux ceux d’aujourd’hui, qui avant de commettre leurs crimes, même les plus révoltants les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien général, l’ordre public et le soulagement des malheureux. Vous connaissez fort bien le formulaire dont ils ont fait si souvent et si perfidement usage. Et bien, dans certains d’entre eux, il n’y a même plus de place à la finesse tant et si grande est leur impudence. (...) Ainsi tant de nations, qui furent assez longtemps sous l’empire de ces rois mystérieux, s’habituèrent à les servir, et les servaient d’autant plus volontiers qu’ils ignoraient quel était leur maître, ou même s’ils en avaient un; de manière qu’ils vivaient ainsi dans la crainte d’un être que personne n’avait vu.

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J’arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le secret et le ressort de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que les Hallebardes des gardes et l’établissement du guet garantissent les tyrans, se tromperait fort. Ils s’en servent plutôt, je crois, par forme et pour épouvantail, qu’ils ne s’y fient. Les archers barrent bien l’entrée des palais aux moins habiles, à ceux qui n’ont aucun moyen de nuire ; mais non aux audacieux et bien armés qui peuvent tenter quelque entreprise. Certes, il est aisé de compter que, parmi les empereurs romains il en est bien moins de ceux qui échappèrent au danger par le secours de leurs archers, qu’il y en eût de tués par leurs propres gardes. Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de gens à pied, en un mot ce ne sont pas les armes qui défendent un tyran, mais bien toujours (on aura quelque peine à le croire d’abord, quoique ce soit exactement vrai) quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui assujettissent tout le pays. Il en a toujours été ainsi que cinq à six ont eu l’oreille du tyran et s’y sont approchés d’eux-mêmes ou bien y ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les complaisants de ses sales voluptés et les copartageants de ses rapines. Ces six dressent si bien leur chef, qu’il devient, envers la société, méchant, non seulement de ses propres méchancetés mais, encore des leurs. Ces six, en tiennent sous leur dépendance six mille qu’ils élèvent en dignité, auxquels ils font donner, ou le gouvernement des provinces, ou le maniement des deniers publics, afin qu’ils favorisent leur avarice ou leur cruauté, qu’ils les entretiennent ou les exécutent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal, qu’ils ne puisent se maintenir que par leur propre tutelle, ni d’exempter des lois et de leurs peines que par leur protection. 
       Grande est la série de ceux qui viennent après ceux-là. Et qui voudra en suivre la trace verra que non pas six mille, mais cent mille, des millions tiennent au tyran par cette filière et forment entre eux une chaîne non interrompue qui remonte jusqu’à lui. (...) De là venait l’accroissent du pouvoir du sénat sous Jules César; l’établissement de nouvelles fonctions, l’élection à des offices, non certes pour réorganiser la justice, mais bien pour donner de nouveaux soutiens à la tyrannie. En somme, par les gains et parts de gains que l’on fait avec les tyrans, on arrive à ce point qu’enfin il se trouve presque un aussi grand nombre de ceux auxquels la tyrannie est profitable, que de ceux auxquels la liberté serait utile. (...) Dès qu’un roi s’est déclaré tyran, tout le mauvais, toute la lie du royaume, je ne dis pas un tas de petits friponneaux et de faquins perdus de réputation, qui ne peuvent faire ni mal ni bien dans un pays, mais ceux qui sont possédés d’une ardente ambition et d’une notable avarice se groupent autour de lui et le soutiennent pour avoir part au butin et être, sous le grand tyran, autant de petits tyranneaux. Ainsi sont les grands voleurs et les fameux corsaires : les uns découvrent le pays, les autres pourchassent les voyageurs; les uns sont en embuscade, les autres au guet ; les uns massacrent, les autres dépouillent; et bien qu’il y ait entre eux des rangs et des prééminences et que les uns ne soient que les valets et les autres les chefs de la bande, à la fin il n’y en a pas un qui ne profite, si non du principal butin, du moins du résultat de la fouille. 
       C’est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres. Et toutefois, quand je pense à ces gens-là, qui flattent bassement le tyran pour exploiter en même temps et sa tyrannie et la servitude du peuple, je suis presque aussi surpris de leur stupidité que de leur méchanceté. Car, à vrai dire, s’approcher du tyran, est-ce autre chose que s’éloigner de la liberté et, pour ainsi dire, embrasser et serrer à deux mains la servitude? (...) Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie!! 
       Mais ils veulent servir pour amasser des biens : comme s’ils ne pouvaient rien gagner qui fut à eux, puisqu’ils ne peuvent pas dire qu’ils sont à eux-mêmes. Et, comme si quelqu’un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent pouvoir se dire possesseurs de biens, et ils oublient que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne laisser rien qu’on puisse dire être à personne. Ils savent pourtant que ce sont les biens qui rendent les hommes plus dépendants de sa cruauté; qu’il n’y a aucun crime envers lui et selon lui plus digne de mort, que l’indépendance, ou l’avoir de quoi; qu’il n’aime que les richesses et s’attaque de préférence aux riches, qui viennent cependant se présenter à lui, comme les moutons devant un boucher, pleins et bien repus, comme pour exciter se voracité. Ces favoris ne devraient pas tant se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup de biens autour des tyrans, que de ceux qui s’y étant gorgés d’or pendant quelque temps, y ont perdu peu après et les biens et la vie. Il ne leur devrait pas venir tant à l’esprit combien d’autres y ont acquis des richesses, mais plutôt, combien peu de ceux-là les ont gardées.

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Certainement le tyran n’aime jamais et jamais n’est aimé. L’amitié, c’est un nom sacré, c’est une chose sainte : elle ne peut exister qu’entre gens de bien, elle naît d’une mutuelle estime... Ce qui rend un ami assuré de l’autre, c’est la connaissance de son intégrité. ... Il ne peut y avoir d’amitié où se trouvent la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une société. Ils ne s’entretiennent pas, mais s’entrecraignent. Ils ne sont pas amis, mais complices.
       Or, quand bien même cet empêchement n’existerait pas, il serait difficile de trouver en un tyran une amitié solide, parce qu’étant au-dessus de tous et n’ayant point de pair, il se trouve déjà au-delà des bornes de l’amitié, dont le siège n’est que dans la plus parfaite équité, dont la marche est toujours égale et où rien ne cloche. Voilà pourquoi il y a bien, dit-on, une espèce de bonne foi parmi les voleurs lors du partage du butin, parce qu’ils sont tous pairs et compagnons, et s’ils ne s’aiment, du moins, ils se craignent entre eux et ne veulent pas, en se désunissant, amoindrir leur force. Mais les favoris d’un tyran ne peuvent jamais se garantir de son oppression parce qu’ils lui ont eux-mêmes appris qu’il peut tout, qu’il n’y a, ni droit, ni devoir qui l’oblige, qu’il est habitué de n’avoir pour raison que sa volonté, qu’il n’a point d’égal et qu’il est maître de tous. 
       Ces misérables voient reluire les trésors du tyran; ils admirent tout étonnés l’éclat de sa magnificence, et, alléchés par cette splendeur, ils s’approchent, sans s’apercevoir qu’ils se jettent dans la flamme, qui ne peut manquer de les dévorer. (...) Comment se peut-il donc qu’il se trouve quelqu’un qui, à l’aspect de si grands dangers et avec si peu de garantie, veuille prendre une position si difficile, si malheureuse et servir avec tant de périls un si dangereux maître? Quelle peine, quel martyre, est-ce grand Dieu! d’être nuit et jour occupé de plaire à un homme, et néanmoins se méfier de lui plus que de tout autre au monde : avoir toujours l’œil au guet, l’oreille aux écoutes, pour épier d’où viendra le coup, pour découvrir les embûches, pour éventer la mine de ses concurrents, pour dénoncer qui trahit le maître; rire à chacun, d’entre craindre toujours, n’avoir ni ennemi reconnu, ni ami assuré; montrer toujours un visage riant et avoir le cœur transi : ne pouvoir être joyeux et ne pas oser être triste.

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Plusieurs ouvrages d’intérêt (souvent oubliés!) : http://classiques.uqac.ca/