28 février 2016

Mort indigne : on nous mène la vie dure

L’opposition à l’aide médicale à mourir ne dérougit pas. Pourquoi pénaliser la majorité qui veut en bénéficier en vertu de la vision étroite d’une minorité de médecins? On ne tient pas compte des athées et des agnostiques pour qui le paradis et l’enfer n’existent pas.

Presse Canadienne, Toronto (via La Presse) : 
     Aide à mourir : des médecins envisagent de quitter la pratique 
     La recommandation d'un comité parlementaire sur l'aide médicale à mourir, selon laquelle les médecins refusant d'accorder le service seraient contraints de référer leurs patients à un collègue volontaire, est non seulement décevante, mais elle mène des médecins à considérer quitter la pratique, soutient l'Association médicale canadienne (AMC). Le renvoi des patients a été une question épineuse parmi les membres du groupe. Plusieurs croient qu'ils ne devraient pas être contraints à fournir le service d'aide médicale à mourir, ni à faciliter la procédure lorsqu'elle entre en conflit avec leurs valeurs morales, religieuses ou éthiques.
     Parmi les médecins qui s'opposent fermement à l'aide à mourir, un bon nombre d'entre eux dit : «Si je le réfère à un autre médecin et que je sais qu'il va mener l'acte d'aide à mourir, je suis automatiquement moralement complice, parce que j'ai facilité le processus.»

Que pense l’AMC des jeunes militaires qu’on envoie  (possiblement) se faire tuer au Moyen-Orient avec la bénédiction du gouvernement?

De toute façon, j’ai peine à croire que des médecins abandonneraient une pratique aussi lucrative : «Les médecins québécois sont payés 253 000 dollars en moyenne, selon les chiffres publiés par l’Institut canadien d’information sur la santé. Ils se classent au huitième rang lorsqu’on les compare à leurs collègues des autres provinces canadiennes. C’est l’Alberta qui arrive au premier rang (349 655 dollars), suivie par l’Ontario (340 000 dollars), puis par la Saskatchewan (324 300 dollars). L’Île-du-Prince-Édouard ferme la marche (235 800 dollars). Évidemment, les salaires peuvent varier grandement autour de la moyenne selon la spécialité du médecin.» (L’actualité, 2013)

Comme disait ma mère, tandis qu’elle était encore lucide (90+) : «Qu’est-ce que je fais ici? À quoi je sers? J’ai fini ma vie. Euh... ah oui, ça fait travailler du monde...» Elle n’avait pas tort. Il est bien évident que les personnes en grave perte d’autonomie ont besoin d’aide. Néanmoins, l’entreposage de personnes en soins prolongés est un business payant (pour les médecins, l’industrie pharmaceutique, les services d’appoint...) – ça fait rouler l’économie. Par contre, ceux qui font le sale boulot (nourrir à la cuillère, baigner, torcher, changer les couches nauséabondes) sont mal rémunérés. Donc, les épargnes réalisées sur les salaires des médecins démissionnaires pourraient être partagées entres ces employés défavorisés – justice sociale...


Joy Tomkins, âgée de 81 ans (2011), s’est fait tatouer DO NOT RESUSCITATE (Ne pas réanimer) sur la poitrine, et PTO (Please Turn Over – Retourner) sur le dos pour signifier aux médecins de la laisser mourir si elle tombe gravement malade et perd conscience. Une dame très déterminée à éviter le cauchemar des soins de longue durée. Mais, le tatouage ne suffit pas, il faut des directives écrites en bonne et due forme.
Son histoire : http://situationplanetaire.blogspot.ca/2015/02/la-mort-choisie.html

Deux articles intéressants sur le site Dye With Dignity Canada  
(Traduction maison)

Le médecin retraité David Amies s’est rendu à un colloque sur l’aide médicale à mourir organisé par St. Andrew’s Church (Calgary, Alberta). Dans son article intitulé Les opposants religieux à l’aide médicale à mourir ignorent les réalités terrestres, il rapporte les propos de certains panélistes. 
     «Les arguments religieux contre l’aide médicale à mourir ne tiendront pas la route pour les non-croyants parmi nous – et en insistant, ils risquent de s’aliéner la sympathie de beaucoup de Canadiens croyants», affirme-t-il. 
     »L’organisatrice du colloque a présenté avec passion une longue dissertation théologique. Elle a affirmé, entre autres choses, que Jésus de Nazareth était l’incarnation de Dieu et qu’il avait gravement souffert sur la croix. Elle a laissé entendre que si Dieu avait enduré tant de souffrances insupportables, alors sa création, à savoir l'humanité, devait en faire autant. Par conséquent, utiliser une loi humaine pour échapper aux possibles souffrances de fin de vie était tout à fait inacceptable, voire, blasphématoire. Elle a défendu son point avec tant de véhémence qu’elle en pleurait quand elle s'est assise. Apparemment, elle n'avait pas pensé que ses paroles n’avaient aucun sens pour de nombreuses personnes de l'auditoire qui ne charrient pas de concepts de Dieu. 
     »Le représentant de Dying With Dignity Canada a de loin donné le meilleur exposé. Il a été bref, convaincant, direct et impassible. Je soupçonne qu'il était le seul panéliste du groupe non imprégné d'idéologie religieuse.» [...]

Article intégral en anglais : http://www.dyingwithdignity.ca/earthly_realities

Je m’approprie cette citation du site atheisme.free : «[Je respecte] la liberté pour chacun de croire aux esprits des ancêtres, à Dieu, au Père Noël, à la licorne bleue, à la vie éternelle ou à d'autres phénomènes, selon l'environnement culturel, si cela peut aider à mieux vivre la courte existence humaine. Mais les croyances et les doctrines religieuses deviennent dangereuses si elles menacent la liberté et l'intégrité de l'individu ou de la société.»

«La vie est un droit, non pas une obligation.» ~ Ramon Sampedro

Suit un témoignage extrêmement pertinent qui reflète ce qu’un grand nombre de personnes vivent dans les centres de soins de longue durée.


La peau comme du papier de soie... Obliger les gens à se rendre jusque-là ne correspond pas à ma perception de l’amour, de la charité et de la compassion.

Le 26 janvier 2015 j'ai perdu ma chère mère.
Elle avait 70 ans.

Par Lauri (17 juillet 2015, DWD Canada)

Elle a vécu pendant plus de huit ans avec une peine de mort qui pesait sur elle. Elle a combattu âprement, mais je ne souhaite à personne les dernières semaines de sa «vie».
     Les derniers jours de ma mère consistaient à hurler à pleins poumons pendant des heures : «Papa, s'il te plaît, aide-moi. Papa, aide-moi, s'il te plaît, s’il te plaît» et «Quelqu'un aidez-moi, s'il vous plaît, aidez-moi, s'il vous plaît, s’il vous plaît».
     Les infirmières venaient pour essayer de la calmer – mais n’y arrivaient pas. Je m’allongeais parfois dans le lit avec elle pour la calmer – en vain. Tout le personnel de l'unité s’agitait, paniquait. Cette femme timide, réservée qui n'avait jamais voulu déranger personne passait les dernières heures de sa vie à embêter chaque patient, chaque visiteur et chaque membre du personnel avec ses supplications pour obtenir de l'aide. 
     Certains diront que ma mère n'avait pas conscience que ses dernières semaines se déroulaient de la sorte – mais, c'était la plus grande crainte de ma mère, et elle aurait planifié une alternative. Elle aurait pu en être épargnée, si elle avait eu le choix.

Un diagnostic rare

Au début de la soixantaine, on a diagnostiqué une forme de cancer du sang assez rare appelé macroglobulinémie de Waldenstrom. Un cancer qui ne croissait rapidement mais qui était fatal. Son espérance de vie était de sept ans à compter de la date du diagnostic. Il n'y a pas de remède.
     Pendant plusieurs années, elle a reçu des traitements de chimiothérapie périodiques qui semblaient amener une rémission (d’une certaine façon). Puis, il y a deux ans, le cancer gagna la moelle osseuse et elle se retrouva en soins intensifs puisque les médecins n’avaient pas d'autre choix que de lui bombarder le corps avec des doses massives de chimiothérapie. 
     Elle a survécu à cette crise, mais nous avons constaté que cela lui demandait beaucoup. La drogue avait tué le cancer mais gravement affaibli son système immunitaire. Elle a quitté l'hôpital une fois qu’il a commencé à se rétablir, mais elle a bientôt reçu un diagnostic de C. difficile qu’on semblait incapable de guérir. Ce fut des allers-retours à l'hôpital pendant un an et, à la fin, son corps était ravagé. Elle avait perdu 36 kg et elle était faible. Bronchites et pneumonies l’affaiblirent encore plus, mais elle a survécu. Non seulement elle vivait toujours, mais elle a commencé à planifier sa mort. Elle ne voulait pas ennuyer ni déranger qui que ce soit. ...
[...] 
     L'été dernier, elle ne se sentait pas bien, et son visage était tuméfié. Elle s'est rendue chez l’oncologue pour un check-up et il nous a informés qu'elle avait un lymphome non hodgkinien. Elle avait besoin d’une chimiothérapie plus «agressive». Elle a été courageuse. Elle a subi le traitement. [...]

Manque de chance

En décembre 2014, la chance l’a abandonnée. Elle dormait davantage et, quand elle était éveillée, elle semblait confuse et de plus en plus malade. Nous avons pensé qu'elle avait peut-être une infection à cause de la vulnérabilité de son corps. On l’a conduite une fois de plus à l'hôpital, mais ils n’ont pas détecté d’infection. Cependant, une IRM cérébrale indiqua que le cancer s'était propagé.
     Je suis allé chez elle ce week-end là pour lui tenir compagnie mais il ne restait pas grand-chose d’elle. Je sais en mon coeur et en mon âme que, si l'option avait été disponible, elle aurait pris des arrangements pour l’aide médicale à mourir avant de perdre la capacité de le faire. L'une de ses plus grandes peurs, avant le dernier diagnostic et de manière encore plus aiguë après, était de devenir complètement dépendante et de «perdre la raison». Ma mère n'a jamais été vaniteuse mais elle était très digne - elle n'aimait pas que les gens la voient débraillée, malade, en perte d’autonomie.
     Ses dernières semaines sur terre l’ont horrifiée et mortifiée. Quand je l’ai vue, son cancer du cerveau affectait son estomac, son équilibre, elle était presque sourde et souffrait de maux de tête presque constants, et elle était très confuse, ça n’avait aucun sens. Elle pouvait suivre les instructions de base des infirmières mais n’arrivait pas à se faire comprendre. Je n'oublierai jamais ses efforts pour me dire quelque chose qui semblait d'une importance cruciale pour elle, mais tout ce qui sortait de sa bouche c’était «Mamie a atterri sur un canard». Pour ma part, je ne comprenais pas ce qu'elle essayait de dire. 
     Le cancer du cerveau semblait également l’empêcher de dormir. À tour de rôle nous passions sept heures par jour avec elle. Elle fermait rarement les yeux – elle ne dormait jamais plus que quelques minutes. Nous n'arrivions pas à la garder au  lit, comme si son esprit lui commandait de faire des tas de choses : nettoyer, décorer, faire des préparatifs, etc. À chaque matin le personnel infirmier nous disait «votre mère a eu une très mauvaise nuit, elle n'a pas beaucoup dormi». Ils semblaient incapables de trouver un médicament qui puisse la calmer, et la sédation semblait avoir l'effet inverse.

«Les indignités semblait s'accumuler à chaque jour»

Durant les semaines qui suivirent, le problème ne fut pas résolu et son agitation a continué. On nous avait dit qu'ils devaient être prudents avec les médicaments parce qu'ils ne pouvaient pas «hâter sa mort». (Toutefois, il semblait correct de la laisser mourir de faim; on nous avait dit qu'à un certain moment elle serait incapable de manger de sorte que «la mort viendrait rapidement».) 
     À deux reprises, quand je suis arrivée à l'hôpital le matin, on m’a informée qu'elle était tombée pendant la nuit. La première fois, elle est tombée face contre terre et s’est cassé le nez, elle avait les yeux au beurre noir, le nez fendu, une bosse grosse comme un oeuf d'oie au milieu du front et les deux bras écorchés (sa peau était comme du papier après des années de stéroïdes). Le personnel de l'hôpital pensait qu'elle s'était fracturé le bras. La deuxième fois, elle tomba par derrière et nous pensions à une fracture de la hanche, car elle ne se déplaçait pas sans grimacer, gémir de douleur et se tenir la hanche. Ils n'ont pas radiographié pour confirmer ses blessures étant donné qu’elle était incapable de coopérer et de suivre leurs instructions. Le personnel n'a pas recousu son nez parce qu'il n’arrivait pas à l’immobiliser suffisamment. 
     L’absence de points de suture est devenue problématique dans les jours qui ont suivi. Elle frottait constamment la plaie qui l’irritait. Quand nous étions là, nous descendions doucement sa main (des centaines de fois) en lui expliquant pourquoi elle ne devait pas y toucher. Que se passait-il quand nous n'étions pas là? Je n'oublierai jamais le matin où en arrivant je lui ai retiré sa ceinture de sécurité (ils l’avaient finalement confinée dans un fauteuil muni d’une sangle qui l'empêchant de se lever). J’ai soulevé sa couverture et j’ai vu qu'ils avaient scotché des bas à ses mains. Elle a levé les mains devant son visage en les regardant sans expression – apparemment elle essayait de comprendre pourquoi elle ne pouvait pas voir ses doigts ni utiliser ses mains, et ne savait pas quoi faire. 
     Elle ne comprenait pas pourquoi elle devait elle-même être toujours recouverte. Ma timide, ma digne mère, baissait son pyjama ou relevait sa robe constamment devant n'importe qui dans la salle. Un jour, une infirmière m'a informée avec désinvolture que ma mère marchait dans le corridor avec seulement sa couche. J’imagine qu’aucun proche ne se réjouirait d’apprendre pareille nouvelle; mais, pour moi, ce fut dévastateur.

Les indignités s’accumulaient de jour en jour au cours des dernières semaines. La pensée qu'elle a été forcée de les subir me hante encore aujourd'hui.

Source: Dying With Dignity Canada. It’s your life. It’s your choice. http://www.dyingwithdignity.ca/  

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Pendant soixante ans
sans une seule nuit de danse
a été ma vie

Kobayashi Issa (trad. J. Cholley)

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Le reste de ta chanson
je l’écouterai dans l’autre monde
coucou

Anonyme (trad. M. Coyaud)

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Voyez les libellés «Religions» et «Euthanasie».

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