29 avril 2014

La dimension de notre inconscience

Tableau : Bélugas, par Caroline Bochud, acrylique et gouache, 2006

Nous avons plein de raisons d’avoir honte de faire partie de l’espèce humaine, une espèce prédatrice hyper égoïste, dangereuse, voire psychotique…  
       Je pense notamment aux bélugas (en voie d’extinction) qu’on bombarde actuellement à coups de levées sismiques (détonations sous-marines). Ce qui, lorsqu’on connaît la sensibilité des cétacés à la pollution acoustique, est une forme d’extermination sans bains de sang. Dans le cadre du projet de pipeline Énergie Est, TransCanada aurait déjà obtenu l'autorisation de mener des travaux de forage en milieu marin. «Pour mener ses sondages géophysiques, l'entreprise projette dans le fleuve de multiples secousses, similaires à des coups de canon et atteignant les 230 décibels, dans un secteur déterminé».
http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/04/27/manif-a-cacouna-contre-un-port-petrolier-les-ecologistes-sur-place-dimanche_n_5221238.html?utm_hp_ref=environnement

Commentaire d’un internaute (Jean-Claude Vincent) : «Pour ceux qui croient que la dévastation de notre environnement est un prix bien léger à payer pour le Klondike économique que représente supposément l'exploitation des sables bitumineux je propose un article qu'ils ne liront probablement pas puisqu'il prouve le contraire! : http://quebec.huffingtonpost.ca/marcel-plamondon/sable-bitumineux-catastrophe-economique_b_3297978.html

Comme réflexion additionnelle au sujet de l’harnachement du fleuve et la destruction de la faune marine, quelques extraits tirés de Anthologie des dauphins et des baleines, par Christel Leca*; Delachaux et Niestlé SA, 2007.

Source : diaporama, photographe non identifié

Support mythique du monde? Pas seulement mythique, car la baleine à fanons est le prédateur d’un micro-organisme qui sans elle, se reproduirait dangereusement. 

    …Cœur gargantuesque, ciel de voûte universelle :
Car les baleines à fanons règnent sur la plus vaste biomasse de la terre,
Le plancton,
Source de presque tout l’oxygène du monde.
       Elles passent leur vie en sa compagnie,
Faisant valoir de vastes amoncellements, de lumineuses prairies de plancton
Atomes essentiels de la vie.
Créatures graves, s’acquittant d’une tâche grave
Immensités bleu ardoise, diversement marbrées;
Centrales chargées de la respiration du monde.
       Car sans leurs attentions
Si elles cessaient de pâturer
Le plancton générateur d’oxygène se reproduirait incoerciblement.
Ferait monter, par paliers, la température de l’océan
Surchaufferait leur habitat
Détruirait la climatisation parfaite de leur creuset sphérique,
Et mourrait…
Leur pâle lumière décroissant,
Emportant cette atmosphère, Comme un mourant, aspire pour la dernière fois l’air entre ses dents,
Laissant les dépressions océaniques pleines d’un épais brouet mort…
Étrange écho de l’ancienne croyance du Bahamut
Cette baleine fabuleuse sur laquelle
Reposait le monde tout entier.
       ~ Heatcote Williams, Des Baleines, Aubier, 1988.

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La pêche de la baleine est très abondante; mais c’est une propriété de la couronne, affermée à une compagnie de Lisbonne : cette compagnie a, sur cette côte, trois grands établissements dans lesquels on pêche chaque année environ quatre cents baleines, dont le produit, tant en huile qu’en «sperma-céti», est envoyé à Lisbonne par Rio-Janéïro. Les habitants ne sont que simples spectateurs de cette pêche, qui ne leur procure aucun profit. Si le gouvernement ne vient à leur secours, et ne leur accorde des franchises ou autre encouragements qui puissent y appeler le commerce, un des plus beaux pays de la terre languira éternellement, et ne sera d’aucune utilité à la métropole.
       ~ Jean-François de Galaup de La Pérousse (1741-1788); Voyage autour du monde (1785-1788), Paris, Lecointe, 1832.

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En 1861, Jules Michelet constate les dégâts et en appelle à un traité qui ne verra le jour qu’un siècle plus tard.

S’il était dans le monde un être qu’on dut ménager, c’était la baleine franche, admirable trésor où la Nature a entassé tant de richesses. Être des plus inoffensifs, qui ne fait la guerre à personne et ne se nourrit point d’espèces qui nous alimentent. (…)
       On ne peut se représenter ce que fut cette guerre, il y a cent ou deux cents ans, lorsque les baleines couvraient tous les rivages. On faisait des massacres immenses, des effusions de sang, telles qu’on en vit jamais dans les plus grandes baleines. On tuait en un jour quinze baleines et quinze cent éléphants marins! C’est-à-dire qu’on tuait pour tuer. Car comment profiter de cet abattis de colosses dont un seul a tant d’huile et tant de sang? Souiller la mer? On voulait le plaisir des bourreaux, des tyrans, de frapper, servir, jouir de sa force et de sa fureur, savourer la douleur, la mort.
       Souvent, on s’amusait à martyriser, désespérer, faire mourir lentement, des animaux trop lourds ou trop doux pour se revancher. (…) Ces carnages sont une école détestable de férocité qui déprave indignement l’homme. Les plus hideux instincts éclatent dans cette ivresse de bouchers. Honte de la nature. (…)
       À la haine de la nature qu’eut le Moyen Âge s’est ajoutée l’âpreté mercantile, industrielle, armée de machines terribles qui tuent de loin, tuent sans péril, tuent en masse. À chaque progrès dans l’art, progrès de barbarie féroce, progrès dans l’extermination.
Exemple : la harpon lancé par une machine foudroyante.
Exemple : la drague, le filet destructeur employé dès 1700, qui traîne immense et lourd, et moissonne jusqu’à l’espérance, a balayé le fond de l’océan. (…)
       Il faut un code des nations, applicable à toutes les mers, code qui régularise non seulement les rapports de l’homme à l’homme, mais également ceux de l’homme aux animaux.
       ~ Jules Michelet, La mer, 1861.

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Mise en place en 1948, la Commission baleinière visait surtout à reconstruire l’industrie baleinière, gravement touchée par la guerre. … D’abord aux mains des pays producteurs, elle fut peu à peu rejointe par des pays anti-chasse, sous l’impulsion des associations de protection, Greenpeace en tête, jusqu’à ce qu’un moratoire sur la chasse commerciale soit entériné en 1986. Pour en arriver là, des millions de signatures ont été recueillies par l’association, des expéditions on été menées face aux baleiniers, qui n’étaient pas des promenades de santé. … Mais la chasse à visée « scientifique » continue, et alimente les marchés japonais en dépit du moratoire.

(…) Pourquoi Tokyo s’obstine-t-il depuis vingt ans à faire lever l’interdiction de cette chasse, malgré l’opposition des associations de protection des animaux et aux dépens de sa réputation à l’étranger? Il s’agit davantage d’un problème politique que culturel ou économique. (…) Le Japon prétend pouvoir chasser la baleine de Minke de l’Antarctique, dont la population approche le million d’individus, à un niveau «scientifiquement durable». «Il est tout à fait possible d’utiliser ces ressources de manière durable. Nous n’avons pas beaucoup de terres, mais nous avons la mer.» (…)
       ~ Michel McCarthy, The Independant, traduit par Courrier International No 810, 11 mai 2006.

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… Le Japon fait aussi parler de lui pour s’attaquer aux petits cétacés, sans mesure, semble-t-il.

Des associations se mobilisent pour faire cesser le carnage qui ne ralentit pas. Le Japon dévore toujours ses dauphins. Un mets de substitution à la baleine.
       …Les Japonais mangent du dauphin, confirme Takaya Watanabe, fonctionnaire à l’Agence des pêches. Une «tradition». Comme la baleine. (…) …Le dauphin alimenterait le marché de la viande de baleine comme « produit de substitution ». En clair, des Japonais, croyant se mettre sous la dent un bon steak de baleine, avaleraient du dauphin. Les autorités nippones ont été mises en garde sur les risques que comporte la consommation de la viande de dauphin, paraît-il très toxique. Entre mars 2001 et janvier 2004, l’EIA a effectué au Japon des analyses sur 72 produits de dauphins et petits cétacés… Résultat : la quantité de mercure par unité mesurée atteindrait 1,88 ppm (parties pour million), cinq fois le niveau autorisé au Japon. Un scientifique japonais, Tetsuya Endo, indique, quant à lui, que «les niveaux de mercure et de polluants contaminés contenus dans la viande de dauphin peuvent suffire à empoisonner».
       ~ Michel Temman, Libération, 20 décembre 2005

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… La chasse traditionnelle au Groenland ou en Alaska, parfois millénaire, est en perte de vitesse, comme beaucoup de traditions, et il n’est pas besoin d’être grand prophète pour estimer qu’elle disparaîtra ou ne représentera plus une menace pour la survie des espèces d’ici une dizaine d’années. Les associations pensent qu’il sera trop tard, car les cétacés subissent d’autres menaces :
- la pollution des eaux marines (manger du dauphin, comme les Japonais, est en cela peu recommandé, leur viande renfermant des métaux lourds),
- les changements climatiques, qui bouleversent les équilibres, notamment océaniques,
- les prises accidentelles lors de la pêche ou  les filets dérivants,
- la pollution sonore des océans, qui désoriente leur système complexe de navigation, et le trafic maritime responsable de nombreuses collisions

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Les utilisations militaires des dauphins – des Tursiops truncatus ou grands dauphins en général – ne sont pas que science fiction. Elles ont été menées, en Union Soviétique, aux États-Unis, et sont encore d’actualité chez Oncle Sam.

… Âgé de 72 ans, Leo Sheridan, enquêteur de renom spécialisé dans les accidents qui a travaillé pour le gouvernement et la secteur privé, assure que des sources proches des autorités de surveillance des pêches lui auraient confirmé la disparition des dauphins. «Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ont été dressés pour tirer sur les plongeurs en combinaison qui simulaient des terroristes lors d’exercices. Si des plongeurs ou des véliplanchistes sont pris pour des espions ou des kamikazes, et si les dauphins disposent de leurs harnais spéciaux équipés de fléchettes toxiques, ils pourraient tirer, dit-il. Les fléchettes sont conçues pour endormir la cible afin de pouvoir l’interroger plus tard. Masi que se passerait-il si on ne retrouvait pas la victime avant des heures?»
       ~ Courrier International, «Flippant, le dauphin!», 6 octobre 2005

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Dans les années 80, lors d’une interview au Times rapportée par Patrice Van Eersel (op.cit.), Miles Davis révélait qu’il trouvait dans le chant des baleines à bosse, qu’il passait des heures à écouter, «mieux qu’une inspiration, une immense connivence». 

La meilleure façon de manifester notre reconnaissance aux dauphins serait de les laisser en paix. Il est indiscutable que ces animaux sont, sur bien des points, nos supérieurs car ils ne demandent absolument rien. Ils n’ont besoin de rien. Et en quoi auraient-ils besoin de l’homme si ce n’est pour être sauvés de la pollution dont le responsable est justement l’homme? C’est l’homme qui a besoin du dauphin et non vice versa.

Homo delphinus : un homme qui aura compris qu’il n’est pas «étranger» à la nature, à l’océan qu’il respectera comme sa propre mère, à l’univers entier qu’il reflète en lui, comme le microcosme reflète la macrocosme.
       Un homme qui saura que dans cet univers, de l’atome à la Galaxie, du microbe à la Baleine, tout se tient. Rien, personne ne lui est inférieur ou supérieur. Il saura qu’entre lui et cet univers infini, incommensurable et intemporel n’existe aucune cloison étanche, pas plus qu’entre son propre soma et sa psyché.
       ~ Jacques Mayol, Homo delphinus, 1983.

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* Christel Leca côtoie dauphins et baleines sur le voilier d’une association qui se bat pour leur protection, de la Méditerranée au Spizberg. … Elle écrit aussi des ouvrages et des articles pour plusieurs magazines spécialisés et grand public.
http://www.participefutur.org/
http://christelleca.wordpress.com/

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