22 avril 2014

Les "autorités"


«En colonisant les gouvernements, les grandes entreprises fabriquent un monde de conformité et de consumérisme.
       Comment fabriquez-vous un monde édulcoré, dépolitisé, un consensus construit autour de la consommation et de la croissance infinie, un monde  de rêve basé sur le matérialisme, la dette et l'atomisation où toutes les relations peuvent être préfixées d’un signe de dollar, où nous cessons de lutter pour le changement? Vous déléguez vos pouvoirs à des compagnies dont les profits dépendent de ce modèle.
       Le pouvoir est transféré vers des milieux où nous n'avons ni voix ni vote. Les politiques internes sont forgées par des conseillers spécialisés en marketing politique (spin doctors), par des groupes et des comités consultatifs farcis de lobbyistes. L’état en tire son propre pouvoir de réglementer et de diriger. Simultanément le vide démocratique au coeur même de la gouvernance mondiale se remplit (sans l’ombre d’un consentement) de bureaucrates internationaux et de cadres d'entreprises. Les ONG autorisées à se joindre à eux ne représentent intelligiblement ni la société civile ni les électorats. (Et je vous en prie, épargnez-moi le bêtisier sur la démocratie des consommateurs ou des actionnaires : dans les deux cas, certaines personnes obtiennent plus de votes que d’autres, et ceux qui en obtiennent le plus sont ceux qui sont les moins enclins à pousser en faveur du changement).»
~ George Monbiot  
Article complet : http://www.monbiot.com/2014/04/08/loved-to-death/  

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L’autorité

V.-R. Dhiravamsa*
La voie du non-attachement
Pratique de la méditation profonde
Éditions Dangles; 1979

Un esprit en état de révolution radicale vit constamment dans un processus de libre investigation. Ne cultivant aucune idée établie, il perçoit dans l’instant ce qui est neuf, c’est-à-dire la vérité elle-même.

Quel est l’empêchement majeur à la révolution radicale? Il n’est pas question ici de révolution politique, sociale ou économique, mais d’une révolution spirituelle, à travers laquelle l’esprit  se libère du connu et découvre peu à peu ce qui est neuf. L’existence d’une telle révolution changerait tout de suite la face du monde, seulement pour la réaliser il nous faut songer avant tout à nous changer nous-mêmes et, pour commencer, cesser de nous soumettre à des idéaux politiques, religieux, sociaux ou spirituels. Car, dans le monde de la conformité, aucun changement réel, aucune découverte fondamentale, n’est possible. On y fait des découvertes, certes, mais sujettes aux conditions et issues de l’esprit du passé. Cela équivaut à orner les murs d’une cellule de prison, alors qu’on a envie de liberté. L’aspiration est là. Pourquoi, dans ce cas, ne la réalisons-nous pas?

Pour rapporter à un seul mot la nature d’un empêchement majeur, j’emploierai le terme d’autorité. Nous avons l’intime conviction que, sans l’autorité, le monde, ainsi que nous-mêmes, sombrerions dans le chaos. Il n’est que d’observer la société contemporaine avec ses innombrables sources d’autorité pour constater que notre crainte s’exercice à mauvais escient. L’ordre et l’harmonie règnent-ils en nous, ou bien notre esprit est-il agité? Les autorités sont-elles un remède à notre agitation? Et, d’abord, qui sont les vraies autorités? Les règles morales, les lois, les croyances religieuses, les réalisations individuelles? Au plan social, ce sont les lois et l’ordre public. Quand on les transgresse, on est puni.

La question de l’autorité, il nous faut l’examiner avec soin et, pour cela, d’abord observer notre attitude à son égard. Comment envisageons-nous l’autorité? Est-elle pour nous une force compulsive, un but, un idéal? Obéir à une autorité, cela signifie domination et soumission, conformité à la traduction et à l’opinion publique, à des instructeurs, à des textes et au savoir en général. Quand, par exemple, vous entretenez des croyances, votre vision des choses se conforme à elles; vous comprenez tout en fonction d’elles et, par-là, ne pouvez être réceptifs à la vérité. Dans ce cas, on stagne.

Le Bouddha était-il contre l’autorité? Lui-même ne s’est jamais posé en autorité, même si, à nos yeux, son enseignement nous apparaît comme tel. Il avait coutume de dire : «Mettez en question les mots mêmes du Tathagata. Ne les acceptez ni ne les refusez avant de les avoir examinés.» Le Bouddha était un homme pleinement réceptif à la vie et son enseignement se fondait sur l’auto-détermination. Si vous en voulez la preuve, elle se trouve dans le Kalama Sutta, dans lequel il recommande de ne pas se fier aux textes, aux traditions ou aux ouï-dire; au raisonnement logique, aux apparences ou aux conjectures; de ne pas se laisser emporter par les opinions spéculatives et de ne pas considérer la vérité comme ne pouvant sortir que de la bouche des instructeurs.

L’autorité constitue un frein à l’investigation spirituelle.  Vous voudriez sans doute penser librement, mais ne pouvez pas le faire parce que cela contredit vos convictions actuelles. Certains vont jusqu’à penser qu’il est mal de mettre en question l’enseignement du Bouddha. Cela est inexact et ne procède que d’un conditionnement à l’autorité. L’acceptation aveugle de la tradition alourdit notre sommeil psychologique. Avec elle, nous végétons comme des grenouilles dans une mare qui, n’ayant jamais vu l’océan, la croient immense. Les limitations de l’autorité créent la mare dont les eaux, à force de stagner, croupissent. Sans le renouvellement, la pureté ne peut être.

Nous ne pouvons certes pas nous libérer de l’ensemble de nos croyances d’un seul coup. Mais, il n’est pas impossible de prendre conscience des limitations qu’elles imposent à l’esprit, puis d’élargir peut à peu son champ de vision.

Dans la pratique de la méditation, cela équivaut à librement explorer tout ce qui se lève dans le champ de l’attention. L’observation stabilise l’esprit qui, ainsi, peut percevoir la vérité dans les choses observées. Car, quand l’esprit est immobile, la sagesse intuitive et la vision éclairée sont à l’œuvre. Ce qui empêche leur action, c’est la présence d’émotions et de pensées dans la psyché.

La compréhension intellectuelle et la compréhension intuitive sont cependant liées l’une à l’autre, au sens où la compréhension intuitive renferme en elle la possibilité d’interprétation, laquelle est exercée par l’intellect. Ainsi, quand nous pressentons quelque chose de transcendant, il n’y a pas rationalisation immédiate. Elle se fait après coup, lorsque l’intellect qui, dans un éclair, a pressenti la vérité à travers la vision éclairée, commencera à la formuler dans son propre langage. La rationalisation n’est cependant pas obligatoire.

La compréhension intellectuelle n’est en quelque sorte qu’un fragment de compréhension intuitive. D’où l’impossibilité pour l’intellect de comprendre la vérité, qui est totalité. Seulement, pour réaliser la connaissance et l’être parfaits, il faut les développer de concert. Dans cet état, il n’y a ni attachement aux connaissances, ni même de séparation entre l’être et la connaissance, les deux se confondant.

Il n’est, bien sûr, pas question de connaître un tel état quand on dépend d’une autorité, quelle qu’elle soit. Soyons, par conséquent, vigilants. Révoltons-nous contre les idées établies, examinons-les, observons-les et voyons-les selon leur réalité. Cette investigation enlève de notre esprit toute trace de confusion et de contradiction. Le conformiste crée un conflit chaque fois qu’il se trouve en présence de quelque chose qui choque ses croyances et ses pratiques. Il cultive la réticence et le doute. Libérez-vous, ne serait-ce qu’un seul instant, de toute autorité et voyez ce qui se passe. La liberté d’être étant le point central de toute vie. Quand vous êtes libres de l’autorité, vous êtes en contact avec votre vraie nature, complètement seuls avec vous-mêmes. Est-ce la solitude qui vous effraie? Quand vous l’aurez connue, vous apprécierez son aspect merveilleux. C’est avec elle qu’on découvre le «trésor», abolissant toute séparation entre l’intérieur et l’extérieur. Seul l’esprit discriminatoire, créateur de la dichotomie, se complaît dans les séparations. Étant dans la dichotomie, il crée la confusion et les contradictions. Et un tel esprit ne peut connaître le vrai bonheur.

Pour être fondamentalement révolutionnaires, il nous faut donc être pleinement attentifs à chaque instant, à nos actes, paroles et pensées. Le moi n’étant alors pas à l’œuvre, il y a en nous totale vacuité, c’est-à-dire absence de toute fragmentation mais aussi parfaite intégration et totale liberté. La liberté n’est pas simplement un mot ou une mode. C’est avant tout une réalité vécue dans le présent, intemporel et illimité.

Ne remettons jamais les choses en nous disant «J’y songerai plus tard». La remise à plus tard est un obstacle à la libre investigation et à la réalisation de la vérité. Faisons les choses dans l’ici-et-maintenant, sans conditionner notre esprit. Permettons à la compréhension immédiate et intuitive de naître et de s’épanouir. Travailler dans ce sens, c’est travailler à l’élimination de tous nos problèmes.

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* L’auteur : V.-R. Dhiravamsa est né en 1934 à Yasothorn, en Thaïlande. Il fut formé à la vie monastique bouddhiste et étudia la philosophie, les sciences de l’éducation et les religions comparées. Il a répandu le Vipassana et le bouddhisme Theravada en Europe et aux États-Unis, et écrit de nombreux ouvrages. Il vit maintenant à Gran Canaria.

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