Humour noir, sur le chemin de l’extinction. Il n’y aura pas de zapper pour modifier le paysage.
Ces photos me faisaient penser à cet étrange roman de science-fiction, Les fils de l’homme. J’avais pris des notes.
Children of Men; Faber and Faber; 1992
Les fils de l’homme; Fayard, 1993
P.D. James
Résumé :
Dans cet étonnant roman, P.D. James imagine une Angleterre du futur gagnée par un fléau : la stérilité humaine. En l’an 2021, cela fait un quart de siècle qu’aucun bébé n’a vu le jour. Les vieillards sont acculés au désespoir et au suicide, et l’ultime génération de jeunes est belle, mais violente et cruelle. Le reste de la population s’accroche à une forme de normalité sous l’autorité d’un dictateur charismatique et gouverneur de l’Angleterre.
Dans cette atmosphère sinistre, Theo Faron, historien à l’université d’Oxford et cousin du gouverneur, mène une vie solitaire, centré sur lui-même. Un soir, il rencontre par hasard au collège Magdalen une jeune femme, Julian, membre d’un groupuscule clandestin qui s’est donné pour but de défier le pouvoir du gouverneur. La vie de Theo bascule dans le drame, et il se voit confronté à des scènes d’horreurs presque inimaginables. C’est alors que Julian lui annonce une nouvelle stupéfiante…
Notes de lecture
Si nous sommes révoltés et abattus, c’est moins par la fin imminente de notre espèce, mois même par notre incapacité de l’empêcher, que par notre échec à en découvrir la cause. La science occidentale, la médecine occidentale, ne nous ont pas préparés à l’ampleur et à l’humiliation de cet ultime échec. Il s’est vu bien des maladies difficiles à diagnostiquer, dont l’une a presque dépeuplé deux continents avant de s’épuiser. Mais en dernier ressort nous avons toujours su expliquer pourquoi. (…) La science occidentale a été notre dieu.
Je suis tout aussi soucieux de rester en vie que n’importe qui, tout aussi obsédé par le fonctionnement de mon corps.
L’origine de tout cela me paraît remonter au début des années 1990 : quête d’une médecine alternative, huiles parfumées, massages, caresses et onctions, port de cristaux bienfaisants, sexe et pénétration. La pornographie, la violence sexuelle au cinéma, à la télévision et dans la vie avaient pris une ampleur devenue manifeste, mais l’Occident faisait de moins en moins l’amour, de moins en moins d’enfants. À l’époque, dans un monde que polluait gravement la surpopulation, cette évolution semblait pour le mieux. En tant qu’historien, j’y vois le début de la fin.
Mais le monde ne perdit espoir que lorsque la génération née en 1995 atteignit la maturité sexuelle. Quand, les tests achevés, il s’avéra qu’aucun de ses représentants ne produisait un sperme fécond, nous sûmes qu’il s’agissait en fait de la fin de l’homo sapiens. Et c’est cette année-là, en 2008, que le taux des suicides augmenta. Pas tellement parmi les vieux, mais parmi ceux de ma génération, les gens d’âge mûr, ceux qui devraient porter le poids des besoins humiliants mais pressants d’une société vieillissante et décadente. (…) Mes les vivants s’abandonnèrent à un négativisme quasi universel, ce que les Français appellent l’ennui universel. Il fondit sur nous comme une maladie insidieuse : et c’était bel et bien une maladie, avec ses symptômes bientôt familiers de lassitude, de dépression, de malaise indéterminé, une promptitude à céder aux moindres infections, un perpétuel mal de tête rendant tout effort impossible. J’ai combattu le mal, comme beaucoup d’entre nous. Mais certains, comme Xan, n’en ont jamais souffert, protégés peut-être par un manque d’imagination, ou, dans son cas, par un égoïsme si puissant qu’aucune catastrophe extérieur ne peut l’entamer. Il m’arrive encore occasionnellement de devoir le combattre, mais je le redoute moins. Les armes de ma lutte sont aussi mes consolations : les livres, la musique, la nourriture, la boisson, la nature.
Après tout, sur les quatre milliards de formes de vie qui ont existé sur cette planète, trois milliards neuf cent soixante millions sont maintenant disparues. Sans qu’on sache pourquoi. Certaines se sont éteintes comme par caprice, d’autres détruites par des catastrophes naturelles, par des météorites, par des astéroïdes. À la lumière de ces disparitions massives, il paraît tout à fait déraisonnable de supposer que l’homo sapiens fasse exception. La vie de notre espèce aura été l’une des plus courtes : un clin d’œil au regard du temps.
Et de toute manière, cette planète est condamnée. Le soleil finira par exploser, ou refroidir, et une particule négligeable de l’univers va disparaître sans plus qu’un frémissement. Si l’homme est voué à périr, je ne vois pas de moyen moins douloureux que la stérilité universelle. Et puis, il y a des compensations personnelles, après tout. Pendant soixante ans, nous nous sommes pliés aux exigences du groupe le plus ignorant, le plus criminel et le plus égoïste de la société. Maintenant, pour le temps qui nous reste à vivre, nous n’aurons plus à subir l’importune barbarie des jeunes, leur boucan, le martèlement répétitif de leur pseudo-musique sortie d’ordinateurs, leur violence, leur égoïsme camouflé en idéalisme. Bon Dieu, nous allons peut-être même réussir à nous débarrasser de Noël, cette célébration annuelle de la culpabilité parentale et de l’avidité juvénile. J’entends que ma vie soit agréable, et quand elle le sera plus, eh bien, j’avalerai ma pilule finale avec une bouteille de bordeaux.
Si le vieillissement est inévitable, il n’est pas uniforme. Il existe des paliers où, pendant des années, le visage de nos amis, de nos connaissances, demeure pratiquement inchangé. Puis le temps accélère son mouvement, et, en l’espace d’une semaine, c’est la métamorphose. Aujourd’hui, il m’a semblé que Jasper avait pris dix ans en six semaines.
Jasper a demandé : «Tu as entendu parler de Quietus, j’imagine – le suicide collectif des vieillards?»
-- Vaguement. Par ce que j’en ai lu et dans les journaux ou vu à la télévision.»
Une image m’est revenue, la seule, je pense, qu’on ait jamais montrée à la télévision : des vieux vêtus de blanc poussés en chaise roulante ou soutenus pour monter à bord d’une espèce de barge, leurs voix chevrotantes entonnant un chant, le bateau s’éloignant lentement dans le crépuscule – une scène d’une sérénité enchanteresse, éclairée et filmée avec art.
J’ai dit : «La mort en troupeau ne m’attire pas. Le suicide devrait être une affaire privée, comme le sexe. Si l’on veut se tuer, les moyens ne manquent pas, alors pourquoi ne pas le faire confortablement dans son lit? Pour ma part, je préférerais même une alène.»
… Ce qu’il faudrait là-bas, c’est un Quietus à la bombe. Curieux non? Presque toute la recherche médicale s’occupe de prolonger la vie et d’améliorer la santé chez les vieux, et c’est la sénilité qui progresse. À quoi bon prolonger la vie? On les bourre de médicaments pour lutter contre l’amnésie, l’abattement, l’anorexie. La seule chose dont ils n’aient pas besoin, c’est de somnifères : on dirait qu’ils ne savent que dormir. Je me demande ce qui se passe dans leur tête durant ces longues périodes à demi-conscientes. Ils ressassent des souvenirs, j’imagine, des prières.
Dans quinze ans – et c’est bien peu de temps – 90 pour 100 de la population de la Grande-Bretagne aura plus de quatre-vingts ans. Il n’y aura plus d’énergie, alors ni pour le mal ni pour le bien. Imaginez à quoi ressemblera ce pays. Les maisons vides, les routes à l’abandon, la nature reprenant partout le pouvoir, les derniers d’entre nous vivant accrochés les uns aux autres pour lutter contre le désespoir et la peur, la fin de toutes les facilités qu’assure la civilisation. Plus d’eau courante, plus d’électricité, le retour aux bougies, l’ultime bougie finissant par s’éteindre.
«Si vous croyez que Dieu existe, dit-il, vous devez croire qu’Il vous a donné votre esprit, votre intelligence pour vous en servir. Alors servez-vous-en.» (Theo Faron)
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