“Look before you leap”
Hum... peut-on faire confiance au vaccin Spoutnik V? Après avoir lu les deux derniers romans de John Le Carré, c’est difficile. D’autant plus que la réalité est encore plus inquiétante que les fictions d’espionnage. Considérant les relations diplomatiques boiteuses des Russes avec certains pays à qui ils fourniraient peut-être des doses, on peut se demander si le vaccin ne pourrait pas contenir une dose homéopathique de Novitchok ou de polonium-210 indétectable.
Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine, a toujours été persécuté par le régime pour finalement subir une tentative d’assassinat au Novitchok – un neurotoxique concocté par les soviétiques dans les années 1970/80. À son retour d’Allemagne où il a été soigné, Navalny est arrêté et condamné à 2 ans et 8 mois de prison. (Un seul média français a mentionné «travaux forcés» sans spécifier la nature desdits travaux forcés. On suppose qu’il ne s’agit pas d’un travail de bureau.) Navalny risque donc de mourir d’épuisement physique et moral (les tortures psychologiques ne laissent pas de traces corporelles) au lieu d’un empoisonnement. D’ailleurs, selon des journalistes d’enquête, les services secrets russes cherchent sans cesse à perfectionner des techniques d’assassinat indétectables.
Ajout, samedi 13 février : Je ne suis pas seule à éprouver de la méfiance... C’est bête à dire, mais je me méfierais aussi d’un vaccin provenant de la Chine ou de l’Arabie saoudite...
Photo : New York Daily News / Bramhall. Cette caricature du New York Daily News compare le vaccin au Novitchok, l'agent innervant à l’origine de l'empoisonnement d'Alexeï Navalny. Le président Poutine dit : «Et s'il tue des gens, je peux l'utiliser sur mes opposants.»
Tous les dictateurs de toutes les époques ont emprisonné ou fait assassiner opposants et dissidents – une caractéristique paranoïde indissociable du rôle. Plutôt horrible de voir la violence inouïe utilisée par les forces de l’ordre pour tabasser les manifestants pro-Navalny ou anti-régime. Bienvenue à Moscou, au cœur du «Paranoland».
«Le centre de détention de Sakharov, à 70 kilomètres de Moscou, a été transformé en prison temporaire pour les milliers de manifestants arrêtés dans les rues de la capitale depuis le 23 janvier. [...] Alexey nous raconte qu’il a été arrêté alors qu'il chantait "liberté" en marchant, tranquille, sur une rue de Moscou près de la prison Matrosskaïa Tichina, où Alexeï Navalny est incarcéré. "La police m’a accosté d’un coup et m'a poussé de force dans un camion avec d'autres, dont un médecin, un écrivain, des gens bien, calmes et éduqués", relate-t-il. Ils ont tous été amenés ici sans aucune explication. [...] Au total plus de 11 000 personnes ont été arrêtées en Russie depuis l'appel aux manifestations lancé par l’opposant Alexeï Navalny. [...] "Je n’ai jamais rien vu de tel, et leurs droits sont bafoués dès leur arrivée au centre", dit Marina Litvinovich de la commission de surveillance publique de Moscou, la seule ONG qui a pu visiter les cellules et parler aux détenus pour évaluer les conditions de détention. "La plupart sont des jeunes de 18 à 30 ans, et je fais mon possible pour alléger leur destin." [...] Les témoignages que nous recueillons au centre de détention confirment que plusieurs personnes ont bel et bien été arrêtées de façon complètement arbitraire alors que la police ratissait les rues du centre-ville mardi soir à la recherche de dissidents, arrêtant au passage toute personne qui se trouvait sur son chemin. [...] D’ailleurs, notre équipe voit et filme depuis deux semaines des arrestations violentes au centre-ville. Des escadrons de policiers qui foncent sur la foule pour en sortir à coup de bâton des citoyens sous le choc. Des épisodes violents à l'image d’un régime nerveux qui a décidé qu’il ne tolérera plus la dissidence. Point. "Le régime a un nouveau message et il est à sens unique : c’est d’imposer la peur", dit le stratège et analyste Konstantin Kalatchev.» ~ Tamara Alteresco correspondante à Moscou pour Radio-Canada
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1768732/navalny-detention-jeunes-opposition-poutine-russie
Slate.fr, 20 octobre 2016 – L’agence d’espionnage la plus célèbre d’Union soviétique est de retour, grâce à Poutine; vingt ans après la fin de la Guerre froide, Vladimir Poutine a décidé de ranimer le KGB, sous un autre nom :
«Selon Kommersant, Vladimir Poutine prépare depuis des mois une réforme massive des services de sécurité du pays. Le quotidien rapporte que l’idée consisterait à réunir le Service du Renseignement Extérieur (SVR) et le Service de Sécurité Fédérale (FSB), qui veille sur les affaires intérieures. Ce nouveau super-service secret devrait se voir pourvu d’un nouveau nom : le Ministère de la Sécurité de l’État. Si ce nom vous est familier, cela n’a rien d’étonnant: c’est le nom donné aux puissants et très redoutés services secrets de Joseph Staline, qu’ils portèrent de 1943 à 1953. Et si cette combinaison d’espionnage à l’extérieur et de surveillance du territoire vous paraît également familière, cela n’a rien d’étonnant non plus : nous assistons purement et simplement à la renaissance, sans le nom, du Comité de Sécurité de l’État – plus connu sous ses initiales russes de KGB. Le KGB, il convient de le rappeler, n’était pas un service de sécurité traditionnel au sens que nous lui donnons en Occident – c’est-à-dire une agence chargée de protéger les intérêts d’un pays et ses citoyens. Sa tâche première était de protéger le régime. Ses activités consistaient notamment à traquer les espions et les dissidents et à superviser les médias, le sport et même l’Église. Il menait des opérations à l’intérieur et à l’extérieur du pays, mais dans ces deux sphères, sa principale mission consistait toujours à protéger les intérêts des résidents du Kremlin. Avec la création de cette nouvelle agence, nous assistons à un retour aux sources – et cela fait longtemps qu’il se prépare. [...] En 2016, Poutine a créé la Garde Nationale, force importante et armée jusqu’aux dents, chargée de lutter contre la contestation interne.» ~ Andreï Soldatov
http://www.slate.fr/story/126233/poutine-ranime-kgb-nouvelle-inquietante
Appliquez à qui de droit : «Un vrai ennemi ne te laisse jamais tomber. À chaque sommet on est toujours au bord d’un précipice.» (Stanislaw Jerzy Lec, écrivain polonais, 1909-1966)
Caricature : Serge Chapleau / La Presse, 6 février 2021
«Depuis qu’il y a des tribus, voire des familles, il y a des dictateurs, c’est-à-dire des chefs charismatiques qui vont s’adjuger le pouvoir. C’est inhérent à l’histoire et à la nature humaine, mais au 20e siècle, ce phénomène va prendre des proportions tout à fait inédites. [...] Des ruines de la décolonisation dans ce qu’on appelait le Tiers-Monde vont émerger des hommes forts qui vont confisquer l’indépendance de leur pays avec l’aval de deux superpuissances, États-Unis et URSS, qui se partagent le monde sur les cendres des empires européens. [...] Dans le cadre de la guerre froide, il faut se choisir un parrain, certains choisiront l’URSS, d’autres les USA. Ou les deux puissances choisiront pour eux. C’est l’instauration de dictatures avec pillage des ressources. Le trésor public devient la poche des dictateurs. [...] Le dictateur arrive au pouvoir avec une clique et il n’hésite pas à les monter les uns contre les autres. Il y a généralement, dans les pires dictatures, un doublement de tous les postes, pour faire jouer la concurrence et mettre tout le monde sous pression. Il n’hésite pas à se débarrasser de certains collaborateurs... [...] Le dictateur doit imprimer sa marque, marquer l’opinion, faire peur, éliminer toute forme d’opposition, mettre au pas les médias. Il faut sidérer. [...] Pour le dictateur, il ne s’agit pas seulement d’utiliser la terreur, il faut promettre quelque chose : généralement des alvéoles de liberté ou des grands travaux, autoroutes ou résidences de vacances. Mais toujours moyennant de grands efforts de la population : il faut se soumettre, il faut faire des sacrifices pour atteindre un but, qui est par nature irréalisable : arriver au communisme, arriver au IIIe Reich, arriver à l’islam pur... [...] Le dictateur est un auteur de fiction, il utilise certaines ficelles pour faire croire à son récit : le mensonge permanent, la transformation du sens des mots. C’est le cas du mot 'paix', abondamment utilisé. Les communistes sont très forts pour la propagande, tout comme les nazis ou les maoïstes. [...] Le dictateur est un grand metteur en scène. Il s’agit de mettre en scène le pouvoir, par de grandes parades, des congrès... C’est aussi un costumier : on impose le vêtement traditionnel dans la Chine de Mao, les chemises brunes, les chemises noires… il y a tout un travail sur la forme. [...] Réf. : Olivier Guez, Le siècle des dictateurs; Éditions Perrin
Source : Un jour l’histoire / 21 décembre 2020
https://www.rtbf.be/lapremiere/emissions/detail_un-jour-dans-l-histoire?programId=5936#toplivearea
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Le manuel du parfait dictateur
Jean-François Lisée / L’actualité; 25 juillet 2012
Ce n’est pas une sinécure, être dictateur. Il faut un savoir-faire particulier. Et lorsque se soulève la colère populaire, la partie se corse. [...]
Un groupe de putschistes russes qui ont tenté, en août 1991, de mettre fin aux réformes de Michael Gorbatchev, ont élaboré un coup qui n’a duré que quelques jours. Il fut mal conçu, mal exécuté et surtout lancé au mauvais moment (un an avant, ils auraient eu davantage de chances de succès).
Cependant ces dictateurs, élevés pendant la dictature de Brejnev et aspirant à y revenir, avaient couché sur papier un certain nombre de principes utiles. Un des auteurs étaient le chef du KGB. Les voici :
Au sujet de quelques principes pour la situation extraordinaire
1. Il ne faut pas perdre l’initiative et n’entrer dans aucune négociation avec le public. Il nous est arrivé de le faire pour tenter de présenter une apparence de comportement démocratique. Mais le résultat est que la société devient graduellement habituée à l’idée qu’elle peut contester l’autorité – et c’est le premier pas vers une autre bataille semblable, plus tard;
2. Il ne faut permettre aucune première manifestation de dissidence, réunions, grèves de la faim, pétitions et il faut empêcher toute dissémination d’information à leur sujet. Faire le contraire revient à admettre que ces formes d’oppositions sont permises, ce après quoi des formes d’oppositions plus radicales encore vont suivre. Si on souhaite obtenir le moins d’effusion de sang possible, il faut supprimer toute expression de dissidence dès le tout début de son expression;
3. Il ne faut pas se gêner pour user de populisme. C’est la meilleure façon d’obtenir le soutien des masses populaires. Il faut introduire immédiatement des mesures économiques compréhensibles – réduire les prix, relâcher les restrictions sur la vente d’alcool, etc. Faire en sorte d’augmenter, même légèrement, la diversité des produits en forte demande est une bonne idée. Dans cette situation, il ne faut pas se soucier des conséquences économiques, comme le niveau d’inflation ou autres;
4. Il ne faut perdre aucun temps avant d’informer la population des détails des crimes de nos adversaires politiques. Au début [après le coup d’État], le peuple va être très avide d’information. C’est exactement à ce moment qu’on doit donner énormément de place aux révélations sur les groupes coupables, corrompus et tout le reste. Dans les jours suivants, l’information au sujet de nos adversaires devrait être livrée avec un ton ironique et humoristique... L’information doit être aussi brutale et aussi simple que possible;
5. Il ne faut pas user de menaces directes. Il est préférable de disséminer d’abord des rumeurs au sujet de la sévérité du régime et de son contrôle de l’économie et la vie civile et faire croire qu’il y a des descentes policières systématiques dans les magasins, lieux de loisirs et autres;
6. Il ne faut pas être lent dans les décisions de purges et de déplacement de personnel. La population doit savoir qui est puni et pour quelles raisons évidentes.
Ma traduction. Reproduit dans : Lenin’s Tomb – The Last Days of the Soviet Empire, de David Remnick. Ce livre, malheureusement non traduit en français, a valu à son auteur le Prix Pulitzer en 1994. Billet d’abord publié en mars 2011.
https://lactualite.com/politique/le-manuel-du-parfait-dictateur-2/
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Je rêve : un Mark Twain comme président ou premier-ministre!
Il aura fallu attendre une centaine d'années pour connaître l'opinion de Mark Twain (1835-1910) sur la liberté d'expression. Est-il préférable que vos paroles soient publiées après votre mort? Peut-être... Un dernier cadeau d’humour satirique de l’incomparable écrivain et journaliste.
Citations tirées de Mark Twain The Privilege of the Grave; publié en 2010, l’auteur ayant demandé qu'il ne soit publié que 100 ans après sa mort.
La liberté de parole / Mark Twain; Thierry Gillyboeuf, préfacier et traducteur; Payot Rivages ISBN: 978-2-7436-4719-3
«Le privilège de la tombe. Son occupant possède un privilège que n’exerce aucune personne vivante : la liberté de parole. Non pas que l’homme vivant en soit dépourvu, mais dans la mesure où il le possède qu’à titre formel et qu’il estime avoir mieux à faire que de s’en servir, il ne paraît pas sérieux de considérer qu’il est réellement en sa possession. En tant que privilège actif, il peut être rangé à côté de celui de commettre un meurtre : nous pouvons l’exercer si nous acceptons d’en assumer les conséquences. Le meurtre est interdit en théorie comme en pratique; la liberté de parole est autorisée en théorie mais interdite en pratique. Le meurtre est parfois puni, la liberté de parole toujours – quand elle est perpétrée.»«Nous avons de la sympathie pour ce que les morts ont dit. Nous pouvons ne pas être d'accord avec leurs propos, mais nous ne les insultons pas, nous ne les injurions pas, puisque nous savons qu'ils ne peuvent pas se défendre de fait. S'ils pouvaient nous parler, que de révélations feraient-ils!»
«Pourtant, il y en a plus d'un qui aimerait vraiment révéler quelques secrets sur les siens; nous ne pouvons pas le faire de notre vivant, alors pourquoi ne pas le faire depuis la tombe et en tirer plaisir?»
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