Rozon et Salvail ont chacun réussi la meilleure farce de leur vie. Des juges prétendument menottés par le doute «raisonnable» ont disculpé ces détestables prédateurs/harceleurs sexuels, probablement morts de rire de s’en être sortis à si bon compte. On dirait un spectacle pourri de «Juste pour rire».
L’accusé n’a qu’à présenter une version contraire des événements rapportés par la plaignante ou le plaignant et le tour est joué; l’histoire n’a même pas besoin d’être crédible à 100 %! Le doute raisonnable est devenu une commodité qui, l’argent aidant (un avocat bulldozeur réputé coûte très cher), permet souvent de faire pencher la balance du côté de l’accusé.
Il faudrait faire confiance au système de justice? «Je ne sais pas pourquoi on appelle ça le Droit, me disait un ami avocat. Il n’y a rien de plus croche que le système de justice!»
À armes inégales
Marie-Andrée Chouinard / Éditorial / Le Devoir, 18 décembre 2020
Mardi, l’ex-producteur Gilbert Rozon a été acquitté dans une affaire d’attentat à la pudeur et de viol. Vendredi, l’animateur déchu Éric Salvail connaîtra son sort [il a été blanchi], lui qui est accusé de harcèlement, d’agressions sexuelles et de séquestration. Dans les deux cas, les versions des plaignants et des accusés se contredisent entièrement, ce qui est souvent l’apanage des affaires d’agressions sexuelles. Sur fond d’oppositions trône la présomption d’innocence, principe phare de notre système de droit, autour duquel tout le rapport de force se dessine. On aura beau espérer que le système judiciaire raffine ses méthodes et s’adapte mieux au pouls de la société, ce principe roi fera toujours pencher la balance du côté des fortunés, des préparés et des impénitents.
Le procès de Gilbert Rozon a fait passer la plaignante Annick Charette par des montagnes russes d’émotions violentes qui ont culminé avec le choc de l’acquittement, décrété par la juge Mélanie Hébert. Malgré cette issue, la femme de 60 ans espère que les victimes d’agressions sexuelles oseront porter plainte, choisiront la voie des tribunaux, croiront que le système judiciaire pourra leur apporter la réparation qu’elles espèrent. Au Canada, environ 5 % des victimes d’agressions portent plainte. La moitié des agressions sexuelles dénoncées sont jugées au tribunal, dont 50 % mènent à un verdict de culpabilité.
La juge Hébert passe au crible tout le raisonnement par lequel le tribunal doit cheminer pour déterminer comment, en présence de versions contradictoires, un jugement peut être rendu.
La plaignante a beau être crédible, son témoignage fiable et la juge croire davantage la version de la plaignante que celle de l’accusé, peu importe! Puisque subsiste un doute «raisonnable» quant à la culpabilité, et qu’elle ne peut être taxée de «quasi-certitude», l’accusé est blanchi. En début de joute, un joueur devance l’autre. «Dans un procès criminel, les parties ne sont pas à armes égales, note la magistrate. Les règles du jeu favorisent l’accusé.»
https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/591968/agressions-sexuelles-a-armes-inegales
Le difficile acte de foi
Michel David / Le Devoir, 17 décembre 2020
«Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.» – Jean de La Fontaine, Les animaux malades de la peste
La confiance est un élément essentiel de la démocratie. Pour accepter de se plier à ses règles, la population doit croire à l’intégrité des institutions comme à celle du processus électoral. Il y a cependant des moments où cette confiance exige un acte de foi bien difficile. Quand la justice et l’apparence de justice semblent trop souvent différer, le doute finit par s’installer.
Même si elle reconnaît ne pas avoir cru à sa version des faits, la juge Mélanie Hébert a été incapable de conclure en son âme et conscience à la culpabilité de Gilbert Rozon «hors de tout doute raisonnable», ce corollaire de la présomption d’innocence qui est un des fondements de notre régime de droit. Il n’y a aucune raison de douter de la justesse légale de sa décision et comme disait Voltaire : «Il faut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent.» Dans l’entrevue qu’elle a accordée à La Presse après le verdict, la plaignante, Annick Charette, a confié que la disproportion des forces en présence avait suscité en elle «une réflexion sur la justice des riches». Face à l’ampleur des moyens déployés à grands frais par la défense, le procureur de la couronne semblait bien démuni. Bien des gens ont dû avoir la même pensée. [...]
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/591880/le-difficile-acte-de-foi
Affaire Gilbert Rozon : la Cour rejette la demande de recours collectif des Courageuses
Sophie-Hélène Leboeuf Radio-Canada Info 8 janvier 2020
La Cour d'appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure du Québec, qui avait autorisé le recours collectif d'une vingtaine de femmes qui affirment avoir été agressées ou harcelées sexuellement par le fondateur de Juste pour rire. Les Courageuses ont rapidement exprimé leur intention de se tourner vers la Cour suprême.
Selon la Cour d'appel, qui n'est pas arrivée à une décision unanime, la cause ne satisfait pas aux conditions nécessaires pour entreprendre un recours collectif.
Le tribunal ne s'est pas prononcé sur la validité des accusations, mais bien sur le choix des Courageuses d'avoir privilégié, au lieu d'actions en justice individuelles, un recours collectif, qui n'est, selon lui, «pas le véhicule procédural approprié». [...]
Éric Salvail acquitté
Même s’il ne croit pas l’accusé, le tribunal se retrouve dans une situation où la présomption d'innocence doit être maintenue. L'ex-animateur Éric Salvail est acquitté des accusations d'agression sexuelle, de séquestration et de harcèlement. Le juge a déterminé que la preuve ainsi que le témoignage de Donald Duguay ne permettaient pas de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé.
Le juge Alexandre Dalmau de la Cour du Québec estime que le témoignage de Donald Duguay contient trop de contradictions avec la preuve fournie par la défense et avec sa version des faits déposée auprès des policiers en 2017. Sa tendance à l’exagération et son incapacité à reconnaître la faiblesse de certains détails de son témoignage ont aussi entamé sa crédibilité. [...]
Retrait de la vie publique – Le procès devant juge seul s'est conclu à la mi-novembre. Éric Salvail a été arrêté le 15 janvier 2019 par les agents du Service de police de la Ville de Montréal dans la foulée de nombreuses allégations d'inconduites sexuelles.
Il a peu à peu disparu de la sphère publique après qu'une enquête du quotidien La Presse en octobre 2017 eut fait état d'allégations le concernant. Plusieurs personnes ont dit avoir été victimes ou témoins d'inconduites sexuelles de sa part.
Avec les informations de Geneviève Garon et de La Presse canadienne
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1758102/proces-salvail-agression-sexuelle-verdict
L’animateur de La vraie nature, Jean-Philippe Dion, a réagi à l’acquittement de Savail.
Aujourd'hui, la justice a décidé qu'Éric Salvail était non coupable. Le témoin n'était pas crédible. Ok, le juge a fait son boulot. Mais Éric Salvail restera toujours coupable d'avoir abusé de son pouvoir, d'avoir été manipulateur et d'avoir été grossier avec beaucoup de monde, dont moi. La justice n'aura finalement condamné aucun geste déplacé de Salvail. Choquant. Vivement 2021.
Publié par Jean-Philippe Dion Vendredi 18 décembre 2020
https://www.facebook.com/JeanPhilippeDionOfficiel/
Un homme chanceux
Yves Boisvert / La Presse, 19 décembre 2020
Éric Salvail a été chanceux de s’en tirer, après un témoignage aussi catastrophique. Il a ceci en commun avec l’autre acquitté de la semaine, Gilbert Rozon : il parle trop.
Rozon, dans sa version bizarre, prétendait que la plaignante était consentante. Salvail, lui, pensait avoir trouvé une défense encore plus imparable : l’alibi. Il n’était pas là! Ça ne pouvait pas avoir eu lieu, vu qu’il ne travaillait même plus à Radio-Canada au moment des faits.
Et d’ajouter : je ne suis pas homme à faire ce genre de choses. Je n’agresse pas les gens, moi! Une immense gaffe qui normalement aurait dû le couler. D’un coup, il mettait en jeu sa réputation. Dans notre système, on ne peut pas prouver qu’un accusé est «le genre de personne» à commettre un crime. On doit prouver qu’il a commis le crime x dont on l’accuse. La règle connaît une importante exception : si l’accusé lui-même plaide sa bonne réputation, la poursuite peut venir le contredire.
Et contredit, il l’a été.
Trois personnes sont venues en contre-preuve montrer qu’en effet, Salvail était exactement «ce genre de personne».
On le savait, remarquez bien, depuis qu’on avait vu défiler dans les pages de La Presse le cortège de gens qui ont parlé à mes collègues Katia Gagnon et Stéphanie Vallet, et qui ont décrit le comportement vulgaire, harcelant, exhibitionniste, tripoteur de Salvail sur des décennies. Des gens qui ne savaient jamais quand ses prétendues «blagues de cul» allaient devenir une drague insistante, les prémices d’attouchements ou une énième sortie en public d’un pénis qui aurait pu avoir sa carte de l’Union des artistes, tant il avait fait d’apparitions.
Malgré cette notoriété, il a jeté les dés, il a osé : non, je ne connais pas cet individu, jamais vu, et moi, monsieur le juge, je ne fais pas ça!
Se faire ainsi détruire dans une contre-preuve est généralement fatal. Il ne s’agit pas ici d’une question d’interprétation. On ne se demande pas quelles étaient les vraies intentions. Si le consentement existait, s’il a été exprimé, si le rapport était ambigu, etc.
Non! C’est archisimple. Salvail dit : 1) je n’étais pas là ; 2) jamais je ne ferais ça de toute manière.
Un accusé qui ment aussi grossièrement signe généralement son propre verdict de culpabilité. Et en écoutant le juge Alexandre Delmau rendre longuement son verdict vendredi, j’avais l’impression qu’il s’en allait directement là.
Pourquoi, alors, n’est-ce pas arrivé?
Parce que le juge ne pouvait pas se contenter de trouver l’accusé menteur pour le condamner. Il fallait qu’il puisse s’appuyer sur le reste de la preuve. Et le reste de la preuve, c’était le témoignage de Donald Duguay. Or, il ne le trouve pas fiable.
Pourquoi? Parce que quand il se trompe sur les évènements, survenus il y a 27 ans, il ne veut pas l’admettre. Il prétend qu’il est certain de choses qui ne se sont pas passées. Il en met trop. Peut-être de peur de ne pas être cru, justement, ou pour ne pas laisser paraître des faiblesses. Peut-être pour se mettre à l’abri du doute?
Le juge énumère plusieurs exemples de ce qu’il considère comme une tendance à exagérer. À nier l’évidence d’une erreur somme toute banale. À rajouter des détails nouveaux avec le temps, comme pour charger davantage. Des courriels de dénonciation virulents de la procureure du dossier écrits par M. Duguay, en plein milieu de l’affaire, ce n’était pas l’idée du siècle, même s’il les a reniés par la suite. Est-ce qu’une colère fait de lui un témoin non fiable? Non, mais peut-être est-ce un exemple de dénonciation excessive ? Est-ce qu’il a aussi rajouté quelques couches de gravité aux évènements, pour mieux garantir les résultats? se demande le juge.
À la fin, on voit bien que «des évènements» ont eu lieu. Qu’il en a été affecté. Mais quoi exactement? Est-ce vraiment allé jusqu’à la séquestration dans une toilette de Radio-Canada? Le juge n’est plus capable de départager le vrai du faux, et c’est là que le doute devient «raisonnable» et que le magistrat décide de l’acquittement.
***
Par une sorte de hasard étrange, il a fallu que les deux plus gros dossiers du #metoo québécois trouvent leur aboutissement judiciaire la même semaine. Et dans les deux cas par un acquittement. Un acquittement après que de toutes les dénonciations médiatiques, on n’a retenu qu’une seule plainte contre les deux vedettes.
Même si la Couronne n’a pas de cause à gagner en principe, c’est une sorte de double échec pour le DPCP, parce que toute l’attention médiatique se porte sur deux dossiers.
Beaucoup ont déjà tiré des conclusions définitives sur le système de justice, sur le traitement des victimes et l’impunité supposée des criminels sexuels. Sans doute y a-t-il des leçons à tirer dans chaque dossier. N’est-ce pas ici un cas, vu l’ampleur médiatique de l’accusé, où le plaignant aurait eu avantage à être accompagné par un avocat personnel, comme le suggère le comité d’experts qui a produit son rapport cette semaine?
Parce qu’à la fin, c’est beaucoup la «forme» de son témoignage, pour ne pas dire ses réactions personnelles, qui a coulé le «fond» du dossier.
Le juge le dit dans d’autres mots, mais M. Duguay semblait porter sur ses seules épaules le poids de faire obtenir une condamnation criminelle contre Éric Salvail. Comme s’il parlait au nom de tous les autres. C’est un poids qu’aucun plaignant ne devrait porter.
Mais s’il y a dans cette affaire des enseignements à tirer, au risque de me répéter, on devrait élargir le regard, redire qu’il y en a, des condamnations, avant de conclure qu’il n’y a «rien à faire» ou qu’on ne croit «jamais» les victimes. On ne juge pas tout ce système très perfectible en se fondant sur deux cas particuliers.
En attendant qu’on mette en œuvre cette réforme des affaires d’agression sexuelle, il n’est peut-être pas inutile non plus de dire que le mouvement #metoo ne trouve pas la preuve de sa pertinence seulement dans les palais de justice. Mais aussi, surtout, dans des changements sociaux, de comportement, de rapports de forces plus profonds...
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