31 décembre 2020

De plus grands dépotoirs sont requis

L’aboutissement de quelque 200 ans de capitalisme industriel délirant et intempestif : les dépotoirs débordent! Notre mode de vie superficiel basé sur l’achat et le dumping compulsifs d’objets a-t-il régressé depuis le début de la pandémie? J’en doute. Si nous continuons à surconsommer parce qu’on nous dit que c’est indispensable à la croissance économique, il faudra alors déboiser partout pour élargir et créer des dépotoirs toujours plus grands!

«Vous ne pouvez pas arrêter le progrès, mais vous pouvez aider à décider ce qui est un progrès et ce qui ne l'est pas.» ~ Ashley Brilliant

Photo : Arctique, Reuters.

Québec autorise 18 millions de tonnes  de déchets de plus au dépotoir de Sainte-Sophie

Alexandre Shields / Le Devoir, 29 décembre 2020


Photo: Jacques Nadeau / Le Devoir. L’enfouissement des «déchets» est responsable de 4,5% des émissions de gaz à effet de serre de la province, selon le plus récent bilan du gouvernement. Sur la photo, le dépotoir de Lachenaie. Le promoteur du site attend le feu vert de Québec pour y enfouir 8,8 millions de tonnes de déchets supplémentaires en sept ans.

Le gouvernement Legault a choisi de répondre à la demande de l’entreprise qui exploite le dépotoir de Sainte-Sophie, dans les Laurentides, en l’autorisant à enfouir 18 millions de tonnes de déchets supplémentaires. Les experts du ministère de l’Environnement recommandaient pourtant d’en limiter la quantité à 10 millions de tonnes. Qui plus est, le décret intervient à quelques semaines du déclenchement d’un BAPE qui doit analyser l’ensemble des enjeux de l’élimination des déchets au Québec, a appris Le Devoir.

   Depuis le début de l’automne, le gouvernement Legault a autorisé deux importants projets d’expansion de dépotoirs exploités par WM Québec, une filiale de l’entreprise américaine Waste Management. À eux seuls, ces deux sites d’enfouissement reçoivent plus du quart de tous les déchets de la province.

   En septembre, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a ainsi répondu en partie aux demandes de l’entreprise en l’autorisant à poursuivre l’enfouissement de déchets à Saint-Nicéphore pendant 10 ans, à raison de 430 000 tonnes par année. (...)

   Au début du mois de décembre, le gouvernement Legault a aussi publié un décret autorisant WM Québec à enfouir jusqu’à 18,6 millions de tonnes de déchets supplémentaires au dépotoir de Sainte-Sophie, à raison d’un million de tonnes par année (2800 tonnes par jour). Le site, situé à l’est de Saint-Jérôme, reçoit des déchets de la région immédiate et des municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) depuis 1964. Il contient déjà environ 20 millions de tonnes de déchets domestiques. L’expansion pourrait donc permettre de doubler cette quantité. (...)

https://www.ledevoir.com/societe/environnement/592434/quebec-autorise-18-millions-de-tonnes-de-dechets-de-plus-au-depotoir-de-sainte-sophie  

Quand la nature en a assez, elle s’organise pour faire peau neuve, ce qui entraîne automatiquement la disparition de certaines espèces. Notre tour est venu!  

Extraits d’une entrevue avec Serge Bouchard  réalisée le 24 novembre 2020

La pandémie, une remarquable leçon d’humilité

Danielle Beaudoin / Radio-Canada Société, 27 décembre 2020

«La pandémie nous rappelle des choses élémentaires : la vie et la mort. Qui vit, qui meurt. Et nous l'avons en pleine face.» – Serge Bouchard

Comme un coureur des bois, l’anthropologue Serge Bouchard a consacré sa vie à parcourir les territoires oubliés de notre histoire en Amérique, à apprivoiser les cultures autochtones et à apprendre le langage des épinettes. Aujourd’hui, il nous parle de la pandémie, et à travers elle, de nous, sans concession.


Vous, l'anthropologue, l'ancien, le sage, que vous dit la pandémie sur nous, les humains?

   La première remarque qui me vient à l'esprit, toujours, c'est qu'il n'y a aucune surprise dans l'existence et l'apparition de cette pandémie. Et non seulement il n'y a aucune surprise, mais c'est probablement une avant-garde qui nous annonce des pandémies bien pires à l'avenir.

   C'est lié au fait que nous sommes maintenant presque huit milliards sur la Terre. Huit milliards d'humains, c'est beaucoup de monde. Et la loi naturelle des espèces veut que si vous êtes trop nombreux comme espèce, la nature va réguler, elle va couper dans le tas. Et sa façon de le faire, ce sont des pandémies. Ce sont des maladies, ce sont des bactéries.

   Bon, je ne suis pas très optimiste, mais c'est comme ça. On est vraiment vraiment vraiment devant l'inconnu. Et ce n'est même pas une grosse pandémie pour une population de huit milliards. On est rendus à 1 536 000 morts. Du point de vue de Sirius, ce n'est rien.

   La nature, c'est un tout. La planète Terre, c'est un tout. Nous ne sommes pas extérieurs à la nature. La pathologie qui s'est développée dans l'histoire de l'humain, c'est qu’à cause de notre intelligence, j'imagine, à cause de notre mémoire, de notre accumulation du savoir, on a été capables de modifier nos environnements naturels. On a été capables de se reproduire sans fin, avec des systèmes économiques et des systèmes de production qui nous permettaient de manger, de nous sauver, etc. Mais pour le faire, le prix qu'il y a eu à payer, c'est qu'on s'est extirpés de la nature, on s'est placés en face de la nature. En fait on s'est dénaturés, on s'est enculturés. On est devenus des êtres de culture.

   Et regardez-nous aujourd'hui, nous sommes des caricatures. C'est-à-dire que nous sommes prisonniers d'un système économique, d'un système de consommation. Et d'un environnement. Et on ne peut plus en sortir. Cet environnement, c'est le pétrole, c'est l'électricité, c'est l'énergie. Ce sont les chaînes de distribution. On a transformé nos environnements immédiats. Nous vivons dans des villes, dans des banlieues. Même dans les campagnes, nous ne vivons plus dans la nature.

   Tout ça fait qu'on a détruit l'environnement. On a extirpé du métal, on a extirpé du pétrole, on a pollué l'eau. Il n'y a rien qu'on n'a pas fait. Et puis aujourd'hui, la nature se venge. De la même façon que la nature va se venger sur les caribous. Quand les caribous deviennent 800 000, un million dans le Nord, ils mangent tout le lichen, ils mangent tout. Puis ils modifient l'environnement. Ils sont trop nombreux, ils n'ont plus à manger, etc. Et là arrive soudainement une pandémie caribouesque, et les trois quarts meurent. C'est la nature qui fait ça. C'est la nature qui dit : "Bon, assez, c'est assez". [...]

   Le retour à la nature est impossible. Et ce qui existe aujourd'hui, ce sont des restants. Mais ce n'est même plus ça. La nature est devenue un terrain de jeu pour les sports extrêmes. Les jeunes s'habillent dans je ne sais pas quel magasin spécialisé, ils sont tout en velcro, en ci, pis en ça. Et leur peau n’a même plus contact avec la nature. [...]

La pandémie est-elle, selon vous, un miroir grossissant des inégalités?

   Disons que l'inégalité, c'est la loi. Et l'humanité est un échec. On a plein de gadgets, d’inventions. On va avoir des autos qui se conduisent toutes seules; c'est parfaitement inutile! La partie riche de l'humanité est rendue beaucoup trop loin. Ça s'appelle les classes moyennes de l'Occident. Et pendant ce temps-là, dans la vraie réalité du monde, il y a des enfants qui ne vont pas à l'école, qui meurent faute de remède. Il y a des enfants qui n'ont pas d'eau et vivent dans la misère la plus extrême.

   Juste ce que je viens de dire devrait déclencher une opération générale d'urgence universelle planétaire. On ne le fait pas. Toute ma vie, j'aurai entendu parler des enfants, et toute ma vie, j'aurai entendu qu'il faut faire quelque chose. Alors, sur le plan politique de la santé universelle, l'organisation universelle de la santé, c'est un échec total. Et c'est la responsabilité de tous. Évidemment, ça tient à la culture des choses, ça tient au système économique, ça tient à l'histoire coloniale. Et nous sommes trop nombreux, et il y a beaucoup de laissés pour compte. [...]

   J'ai 73 ans, je me suis usé, j'ai vécu, et à un moment donné, je vais mourir. Et puis je suis vieux. Je déteste qu'on me dise que je suis jeune. Je vais avoir bientôt 75 ans, et 75 ans sur Terre, c'est un bon morceau de temps. C'est un bon morceau de temps pour des mortels comme nous.

   Donc, nous sommes mortels, mais nous ne voulons pas être mortels. Et notre réflexe naturel depuis toujours, c'est universel, c'est de dire : "Bon, je vais penser à autre chose ce soir".

   Alors la pandémie, c'est une claque sur la gueule. En fait, c'est une leçon d'humilité. La pandémie, la COVID, c'est vrai. Ce n'est pas une abstraction. On peut vraiment l'attraper, on peut vraiment mourir. Alors ça nous replace dans notre fragilité fondamentale.

   «Un être humain qui est bien équipé pour vivre, c'est un être humain qui sait mourir. Qui sait qu'il va mourir, et qui apprivoise cette idée.» ~ Serge Bouchard 

   [...] Être politicien, politicienne, c'est un métier que moi je ne voudrais pas faire. Alors, je respecte. Comme un monteur de ligne, je ne voudrais pas faire ça en janvier. Être premier ministre, pour moi, c'est pareil. C'est d'une complexité inouïe.

   Ce que je condamne, c'est la bêtise. Je pourrais vous dire que je condamnerais la présidence de M. Trump. Oui, volontiers, mais ce n'est pas très difficile ni à dire ni à faire. C'est la bêtise, quelle qu'elle soit. Mais la bêtise, je la condamne en politique, comme partout. Dans les médias, dans la vie privée, dans les gens que je rencontre.

   Évidemment, je hurle quand je vois de la corruption, quand je vois de la bêtise. Mais je ne suis pas rapide à condamner les gouvernements. Et je n'ai pas de position politique particulière. Parce que de façon générale, sur la planète, il n'existe aucun système politique qui soit notre sauveur pour le moment. On avait pensé au communisme, on avait pensé au socialisme, on avait pensé à tout et à n'importe quoi. Mais en vérité, on n'a jamais trouvé la solution politique sur la planète. [...]

Article intégral – ô combien intéressant :

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1754081/pandemie-nature-peur-mort-vieux-serge-bouchard-anthropologie  

Réjouissons-nous : un recueil des éditos de l’émission C’est fou paraîtra le 8 mars 2021 chez Boréal. Ça fait longtemps que ses fidèles auditeurs les réclament!

«À l’intérieur d’une personne âgée se trouve une personne plus jeune qui se demande ce qui est arrivé.» ~ Ashley Brilliant

Quand on vole les pauvres...

«C'est grande tristesse de revoir toujours mêmes bassesses, mêmes violences, de n'attendre que de ses lâchetés ou de ses mensonges ce qu'on nomme le progrès. La vilenie humaine vient gâter les meilleures causes; elle corrompt jusqu'à la raison et en dégrade toutes les victoires.» ~ Lucien Arréat (Réflexions et maximes, p.81, Félix Alcan, 1911)

Des voleurs s’emparent de dons de la Grande Guignolée des médias de la Rive-Sud

Des voleurs sans scrupule sont entrés par effraction dans l’entrepôt de la Grande Guignolée des médias de la Rive-Sud (GGMRS) pour s’emparer de denrées et autres dons destinés aux personnes dans le besoin. L’organisme lance un appel d’urgence à la population afin de regarnir son inventaire avant la fin de sa campagne qui se termine ce mercredi 30 décembre.

Le président et fondateur de l’organisme, Jean-Marie Girard, raconte avoir été informé du méfait un peu avant 1 h dans la nuit de mardi. Un responsable de l’entreprise propriétaire de l’entrepôt l’a appelé pour rapporter que quelqu’un s’était introduit dans les locaux situés sur l’avenue Auguste dans l’arrondissement Greenfield Park, à Longueuil.

«Des boîtes de denrées ont été volées, des boîtes de couches de bébé, des boîtes de bonbons, des boîtes de produits sanitaires, des boîtes de produits pharmaceutiques, un micro-ondes», a énuméré M. Girard en entrevue téléphonique.

Il ajoute que de nombreuses boîtes ont également été éventrées et leur contenu répandu sur le sol. «Je ne sais pas ce qu’ils cherchaient», s’interroge celui qui dirige les opérations de la grande collecte de dons depuis 19 ans. (...)

https://www.ledevoir.com/societe/592466/des-voleurs-s-attaquent-aux-dons-de-la-grande-guignolee-des-medias-de-la-rive-sud

21 décembre 2020

Deux minables jokers acquittés!


Rozon et Salvail ont chacun réussi la meilleure farce de leur vie. Des juges prétendument menottés par le doute «raisonnable» ont disculpé ces détestables prédateurs/harceleurs sexuels, probablement morts de rire de s’en être sortis à si bon compte. On dirait un spectacle pourri de «Juste pour rire».

L’accusé n’a qu’à présenter une version contraire des événements rapportés par la plaignante ou le plaignant et le tour est joué; l’histoire n’a même pas besoin d’être crédible à 100 %! Le doute raisonnable est devenu une commodité qui, l’argent aidant (un avocat bulldozeur réputé coûte très cher), permet souvent de faire pencher la balance du côté de l’accusé. 

Il faudrait faire confiance au système de justice? «Je ne sais pas pourquoi on appelle ça le Droit, me disait un ami avocat. Il n’y a rien de plus croche que le système de justice!» 

À armes inégales

Marie-Andrée Chouinard / Éditorial / Le Devoir, 18 décembre 2020

Mardi, l’ex-producteur Gilbert Rozon a été acquitté dans une affaire d’attentat à la pudeur et de viol. Vendredi, l’animateur déchu Éric Salvail connaîtra son sort [il a été blanchi], lui qui est accusé de harcèlement, d’agressions sexuelles et de séquestration. Dans les deux cas, les versions des plaignants et des accusés se contredisent entièrement, ce qui est souvent l’apanage des affaires d’agressions sexuelles. Sur fond d’oppositions trône la présomption d’innocence, principe phare de notre système de droit, autour duquel tout le rapport de force se dessine. On aura beau espérer que le système judiciaire raffine ses méthodes et s’adapte mieux au pouls de la société, ce principe roi fera toujours pencher la balance du côté des fortunés, des préparés et des impénitents.

   Le procès de Gilbert Rozon a fait passer la plaignante Annick Charette par des montagnes russes d’émotions violentes qui ont culminé avec le choc de l’acquittement, décrété par la juge Mélanie Hébert. Malgré cette issue, la femme de 60 ans espère que les victimes d’agressions sexuelles oseront porter plainte, choisiront la voie des tribunaux, croiront que le système judiciaire pourra leur apporter la réparation qu’elles espèrent. Au Canada, environ 5 % des victimes d’agressions portent plainte. La moitié des agressions sexuelles dénoncées sont jugées au tribunal, dont 50 % mènent à un verdict de culpabilité.

   La juge Hébert passe au crible tout le raisonnement par lequel le tribunal doit cheminer pour déterminer comment, en présence de versions contradictoires, un jugement peut être rendu.

   La plaignante a beau être crédible, son témoignage fiable et la juge croire davantage la version de la plaignante que celle de l’accusé, peu importe! Puisque subsiste un doute «raisonnable» quant à la culpabilité, et qu’elle ne peut être taxée de «quasi-certitude», l’accusé est blanchi. En début de joute, un joueur devance l’autre. «Dans un procès criminel, les parties ne sont pas à armes égales, note la magistrate. Les règles du jeu favorisent l’accusé.» 

https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/591968/agressions-sexuelles-a-armes-inegales

Le difficile acte de foi

Michel David / Le Devoir, 17 décembre 2020

«Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.» – Jean de La Fontaine, Les animaux malades de la peste

   La confiance est un élément essentiel de la démocratie. Pour accepter de se plier à ses règles, la population doit croire à l’intégrité des institutions comme à celle du processus électoral. Il y a cependant des moments où cette confiance exige un acte de foi bien difficile. Quand la justice et l’apparence de justice semblent trop souvent différer, le doute finit par s’installer.

   Même si elle reconnaît ne pas avoir cru à sa version des faits, la juge Mélanie Hébert a été incapable de conclure en son âme et conscience à la culpabilité de Gilbert Rozon «hors de tout doute raisonnable», ce corollaire de la présomption d’innocence qui est un des fondements de notre régime de droit. Il n’y a aucune raison de douter de la justesse légale de sa décision et comme disait Voltaire : «Il faut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent.» Dans l’entrevue qu’elle a accordée à La Presse après le verdict, la plaignante, Annick Charette, a confié que la disproportion des forces en présence avait suscité en elle «une réflexion sur la justice des riches». Face à l’ampleur des moyens déployés à grands frais par la défense, le procureur de la couronne semblait bien démuni. Bien des gens ont dû avoir la même pensée. [...]

https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/591880/le-difficile-acte-de-foi

Affaire Gilbert Rozon : la Cour rejette la demande de recours collectif des Courageuses

Sophie-Hélène Leboeuf Radio-Canada Info 8 janvier 2020

La Cour d'appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure du Québec, qui avait autorisé le recours collectif d'une vingtaine de femmes qui affirment avoir été agressées ou harcelées sexuellement par le fondateur de Juste pour rire. Les Courageuses ont rapidement exprimé leur intention de se tourner vers la Cour suprême.

   Selon la Cour d'appel, qui n'est pas arrivée à une décision unanime, la cause ne satisfait pas aux conditions nécessaires pour entreprendre un recours collectif.

   Le tribunal ne s'est pas prononcé sur la validité des accusations, mais bien sur le choix des Courageuses d'avoir privilégié, au lieu d'actions en justice individuelles, un recours collectif, qui n'est, selon lui, «pas le véhicule procédural approprié». [...]

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1463398/gilbert-rozon-courageuses-agressions-sexuelles-cour-appel-recours-collectif

Éric Salvail acquitté  

Même s’il ne croit pas l’accusé, le tribunal se retrouve dans une situation où la présomption d'innocence doit être maintenue. L'ex-animateur Éric Salvail est acquitté des accusations d'agression sexuelle, de séquestration et de harcèlement. Le juge a déterminé que la preuve ainsi que le témoignage de Donald Duguay ne permettaient pas de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé.

   Le juge Alexandre Dalmau de la Cour du Québec estime que le témoignage de Donald Duguay contient trop de contradictions avec la preuve fournie par la défense et avec sa version des faits déposée auprès des policiers en 2017. Sa tendance à l’exagération et son incapacité à reconnaître la faiblesse de certains détails de son témoignage ont aussi entamé sa crédibilité. [...]

   Retrait de la vie publique Le procès devant juge seul s'est conclu à la mi-novembre. Éric Salvail a été arrêté le 15 janvier 2019 par les agents du Service de police de la Ville de Montréal dans la foulée de nombreuses allégations d'inconduites sexuelles.

   Il a peu à peu disparu de la sphère publique après qu'une enquête du quotidien La Presse en octobre 2017 eut fait état d'allégations le concernant. Plusieurs personnes ont dit avoir été victimes ou témoins d'inconduites sexuelles de sa part.

Avec les informations de Geneviève Garon et de La Presse canadienne

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1758102/proces-salvail-agression-sexuelle-verdict

L’animateur de La vraie nature, Jean-Philippe Dion, a réagi à l’acquittement de Savail.

   Aujourd'hui, la justice a décidé qu'Éric Salvail était non coupable. Le témoin n'était pas crédible. Ok, le juge a fait son boulot. Mais Éric Salvail restera toujours coupable d'avoir abusé de son pouvoir, d'avoir été manipulateur et d'avoir été grossier avec beaucoup de monde, dont moi. La justice n'aura finalement condamné aucun geste déplacé de Salvail. Choquant. Vivement 2021.

Publié par Jean-Philippe Dion Vendredi 18 décembre 2020

https://www.facebook.com/JeanPhilippeDionOfficiel/ 

Un homme chanceux

Yves Boisvert / La Presse, 19 décembre 2020

Éric Salvail a été chanceux de s’en tirer, après un témoignage aussi catastrophique. Il a ceci en commun avec l’autre acquitté de la semaine, Gilbert Rozon : il parle trop.

   Rozon, dans sa version bizarre, prétendait que la plaignante était consentante. Salvail, lui, pensait avoir trouvé une défense encore plus imparable : l’alibi. Il n’était pas là! Ça ne pouvait pas avoir eu lieu, vu qu’il ne travaillait même plus à Radio-Canada au moment des faits.

   Et d’ajouter : je ne suis pas homme à faire ce genre de choses. Je n’agresse pas les gens, moi! Une immense gaffe qui normalement aurait dû le couler. D’un coup, il mettait en jeu sa réputation. Dans notre système, on ne peut pas prouver qu’un accusé est «le genre de personne» à commettre un crime. On doit prouver qu’il a commis le crime x dont on l’accuse. La règle connaît une importante exception : si l’accusé lui-même plaide sa bonne réputation, la poursuite peut venir le contredire.

   Et contredit, il l’a été.

   Trois personnes sont venues en contre-preuve montrer qu’en effet, Salvail était exactement «ce genre de personne».

   On le savait, remarquez bien, depuis qu’on avait vu défiler dans les pages de La Presse le cortège de gens qui ont parlé à mes collègues Katia Gagnon et Stéphanie Vallet, et qui ont décrit le comportement vulgaire, harcelant, exhibitionniste, tripoteur de Salvail sur des décennies. Des gens qui ne savaient jamais quand ses prétendues «blagues de cul» allaient devenir une drague insistante, les prémices d’attouchements ou une énième sortie en public d’un pénis qui aurait pu avoir sa carte de l’Union des artistes, tant il avait fait d’apparitions.

   Malgré cette notoriété, il a jeté les dés, il a osé : non, je ne connais pas cet individu, jamais vu, et moi, monsieur le juge, je ne fais pas ça!

   Se faire ainsi détruire dans une contre-preuve est généralement fatal. Il ne s’agit pas ici d’une question d’interprétation. On ne se demande pas quelles étaient les vraies intentions. Si le consentement existait, s’il a été exprimé, si le rapport était ambigu, etc.

   Non! C’est archisimple. Salvail dit : 1) je n’étais pas là ; 2) jamais je ne ferais ça de toute manière.

   Un accusé qui ment aussi grossièrement signe généralement son propre verdict de culpabilité. Et en écoutant le juge Alexandre Delmau rendre longuement son verdict vendredi, j’avais l’impression qu’il s’en allait directement là.

   Pourquoi, alors, n’est-ce pas arrivé?

   Parce que le juge ne pouvait pas se contenter de trouver l’accusé menteur pour le condamner. Il fallait qu’il puisse s’appuyer sur le reste de la preuve. Et le reste de la preuve, c’était le témoignage de Donald Duguay. Or, il ne le trouve pas fiable.

   Pourquoi? Parce que quand il se trompe sur les évènements, survenus il y a 27 ans, il ne veut pas l’admettre. Il prétend qu’il est certain de choses qui ne se sont pas passées. Il en met trop. Peut-être de peur de ne pas être cru, justement, ou pour ne pas laisser paraître des faiblesses. Peut-être pour se mettre à l’abri du doute?

   Le juge énumère plusieurs exemples de ce qu’il considère comme une tendance à exagérer. À nier l’évidence d’une erreur somme toute banale. À rajouter des détails nouveaux avec le temps, comme pour charger davantage. Des courriels de dénonciation virulents de la procureure du dossier écrits par M. Duguay, en plein milieu de l’affaire, ce n’était pas l’idée du siècle, même s’il les a reniés par la suite. Est-ce qu’une colère fait de lui un témoin non fiable? Non, mais peut-être est-ce un exemple de dénonciation excessive ? Est-ce qu’il a aussi rajouté quelques couches de gravité aux évènements, pour mieux garantir les résultats? se demande le juge.

   À la fin, on voit bien que «des évènements» ont eu lieu. Qu’il en a été affecté. Mais quoi exactement? Est-ce vraiment allé jusqu’à la séquestration dans une toilette de Radio-Canada? Le juge n’est plus capable de départager le vrai du faux, et c’est là que le doute devient «raisonnable» et que le magistrat décide de l’acquittement.

***

Par une sorte de hasard étrange, il a fallu que les deux plus gros dossiers du #metoo québécois trouvent leur aboutissement judiciaire la même semaine. Et dans les deux cas par un acquittement. Un acquittement après que de toutes les dénonciations médiatiques, on n’a retenu qu’une seule plainte contre les deux vedettes.

   Même si la Couronne n’a pas de cause à gagner en principe, c’est une sorte de double échec pour le DPCP, parce que toute l’attention médiatique se porte sur deux dossiers.

   Beaucoup ont déjà tiré des conclusions définitives sur le système de justice, sur le traitement des victimes et l’impunité supposée des criminels sexuels. Sans doute y a-t-il des leçons à tirer dans chaque dossier. N’est-ce pas ici un cas, vu l’ampleur médiatique de l’accusé, où le plaignant aurait eu avantage à être accompagné par un avocat personnel, comme le suggère le comité d’experts qui a produit son rapport cette semaine?

   Parce qu’à la fin, c’est beaucoup la «forme» de son témoignage, pour ne pas dire ses réactions personnelles, qui a coulé le «fond» du dossier.

   Le juge le dit dans d’autres mots, mais M. Duguay semblait porter sur ses seules épaules le poids de faire obtenir une condamnation criminelle contre Éric Salvail. Comme s’il parlait au nom de tous les autres. C’est un poids qu’aucun plaignant ne devrait porter.

   Mais s’il y a dans cette affaire des enseignements à tirer, au risque de me répéter, on devrait élargir le regard, redire qu’il y en a, des condamnations, avant de conclure qu’il n’y a «rien à faire» ou qu’on ne croit «jamais» les victimes. On ne juge pas tout ce système très perfectible en se fondant sur deux cas particuliers.

   En attendant qu’on mette en œuvre cette réforme des affaires d’agression sexuelle, il n’est peut-être pas inutile non plus de dire que le mouvement #metoo ne trouve pas la preuve de sa pertinence seulement dans les palais de justice. Mais aussi, surtout, dans des changements sociaux, de comportement, de rapports de forces plus profonds...  

https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/2020-12-19/eric-salvail/un-homme-chanceux.php