25 mai 2015

Que veulent-ils au juste?

[...] si tout homme avait la possibilité d'assassiner clandestinement et à distance, l'humanité disparaîtrait en quelques minutes.
~ Milan Kundera (La valse aux adieux)

   Ma foi, avec les drones, nous y sommes!

Photo : ICI Radio-Canada/Bouchra Ouatik. Accueil de réfugiés à Minawao.

Depuis plus d’un an, le groupe islamiste Boko Haram sévit dans les pays du bassin du lac Tchad. Au Cameroun, la province de l’Extrême-Nord subit des attaques répétées du groupe. Mais cette région accueille aussi des dizaines de milliers de réfugiés du Nigeria voisin.
   Un récit de Bouchra Ouatik
   Le même scénario se répète à travers l’Extrême-Nord du Cameroun. Des villages sont pillés, des habitants sont tués, des maisons sont brûlées. La situation est telle que certains villages sont aujourd’hui déserts. (...) 
   Comme bien des victimes de Boko Haram, Luka ne comprend pas les motivations du groupe. «Ils sont d’abord venus pour détruire toutes les écoles de l’État de Borno. Ensuite, ils ont commencé à brûler les églises. Ils tuent maintenant des gens dans les mosquées. Nous ne sommes pas capables de dire ce qu’ils veulent vraiment.» ~ Luka Isaac, réfugié nigérian

Article intégral :
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2015/05/boko-haram/index.html

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Je lis des ouvrages et des articles (en espérant que les topos soient fiables) pour essayer de mieux saisir les enjeux de ces conflits à multiples ramifications et paliers. Mais, comme le dit A. Baricco, «les barbares ont leur propre logique»... Les allégeances confessionnelles et l’éradication des impies ne sont que des prétextes. Le scénario de base est toujours le même : domination, et appropriation (vol) des ressources d’une nation, que l'action se déroule au Cameroun ou en Syrie...  

Ces ignominies me ramènent immanquablement aux ouvrages d’Ahmadou Kourouma, cet écrivain d’une stupéfiante lucidité qui n’hésitait pas à utiliser l’humour noir (sans jeu de mots!) pour nous aider à comprendre. À lire ou relire. 

Quelques citations empruntées à Babelio :

Ahmadou Kourouma (1927-2003) 

La politique n'a ni yeux ni oreilles ni coeur : en politique, le vrai et le mensonge portent le même pagne, le juste et l'injuste marchent de pair, le bien et le mal s'achètent et se vendent au même prix.

Les Soleils des indépendances
Éditeurs : Presse universitaire1968; Seuil 1970 et Points 1995

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Quand on dit qu'il y a une guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé le pays.
Ils se sont partagé la richesse; ils se sont partagé le territoire; ils se sont partagé les hommes.
Ils se sont partagé tout, et tout le monde entier les laisse faire.
Il y avait au Liberia quatre bandits de grand chemin : Doe, Taylor, Johnson, El Hadji Koroma et d'autres fretins de petits bandits.
Les fretins bandits cherchaient à devenir grands.

On ne discute pas avec un visionnaire.

Allah fait ce qu’il veut; il n’est pas obligé d’accéder à toutes les prières des pauvres humains. Les mânes font ce qu’ils veulent; ils ne sont pas obligés d’accéder à toutes les chiaderies des prieurs.

Dans toutes les guerres tribales et au Liberia, les enfants-soldats, les small-soldiers ou children-soldiers ne sont pas payés. Ils tuent les habitants et emportent tout ce qui est bon à prendre. Dans toutes les guerres tribales et au Liberia, les soldats ne sont pas payés. Ils massacrent les habitants et gardent tout ce qui est bon à garder. Les soldats-enfants et les soldats, pour se nourrir et satisfaire leurs besoins naturels, vendent au prix cadeau tout ce qu'ils ont pris et ont gardé. 
   C'est pourquoi on trouve tout à des prix cadeaux au Liberia. De l'or au prix cadeau, du diamant au prix cadeau, des télévisions au prix cadeau, des 4 X 4, cadeau, des pistolets et des kalachnikovs ou kalach, cadeau, tout et tout au prix cadeau.

Ingérence humanitaire, c'est le droit qu'on donne à des États d'envoyer des soldats dans un autre État pour aller tuer des pauvres innocents chez eux, dans leur propre pays, dans leur propre village, dans leur propre case, sur leur propre natte.

L'énorme machine de l'ONU sert l'intérêt des toubabs européens colons et colonialistes, et jamais l'intérêt du pauvre nègre noir sauvage et indigène.

J'étais un enfant de la rue. Et quand on n'a plus personne sur terre, ni père ni mère ni frère ni sœur, et qu'on est petit, un petit mignon dans un pays foutu et barbare où tout le monde s'égorge, que fait-on ? Bien sûr on devient un enfant-soldat.

J'ai tué beaucoup d'innocents au Liberia et en Sierra Leone où j'ai fait la guerre tribale, où j'ai été enfant-soldat, où je me suis bien drogué aux drogues dures.

Les gars qui étaient sur la moto avaient cru que c'étaient des coupeurs de route. Ils ont tiré. Et voilà le gosse, l'enfant-soldat fauché, couché, mort, complètement mort. Walahé! Faforo!

Quand un Krahn ou un Guéré arrivait à Zorzor, on le torturait avant de le tuer parce que c'est la loi des guerres tribales qui veut ça. Dans les guerres tribales, on ne veut pas les hommes d'une autre tribu différente de notre tribu.

Tous les villages étaient abandonnés, c'est comme ça dans les guerres tribales : les gens abandonnent les villages où vivent les hommes pour se réfugier dans la forêt où vivent les bêtes sauvages. Les bêtes sauvages ça vit mieux que les hommes... 

Balla m'expliquait que cela n'avait pas d'importance et intéressait personne de connaitre sa date et son jour de naissance vu que nous sommes tous nés un jour ou un autre et dans un lieu ou un autre et que nous allons tous mourir un jour ou un autre et dans un lieu ou un autre pour être tous enfouis sous le même sable.

Partout dans le monde une femme ne doit pas quitter le lit de son mari même si le mari injurie, frappe et menace la femme. Elle a toujours tort. C'est ce qu'on appelle les droits de la femme.

Allah n'est pas obligé
Éditeurs : Seuil 2000 et Points 

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Dans les foyers polygamiques, toutes les femmes ne sont pas égales. Il y en a une qui est aimée plus que les autres, c’est la préférée. Les enfants de la préférée sont souvent aimés plus que les autres enfants. C’est pourquoi en Afrique existe l’expression : aimer un petit comme l’enfant de sa préférée.

Le système de travaux forcés est simplement un esclavage qui ne dit pas son nom. Cet esclavage sans le nom est l'institution la plus condamnable, la plus honteuse, la plus contraire aux droits de l'homme de la colonisation. Les jeunes devenaient des conscrits qui, une fois recrutés, étaient sous bonne garde pendant les mois de travaux forcés. Ils étaient envoyés au Sud dans des wagons de marchandises fermés sous 45 de chaleur. Les mêmes wagons, la chaleur en moins, dans lesquels les Allemands envoyaient les juifs aux travaux forcés pendant la dernière guerre. Le système des travaux forcés assure une main d’œuvre de qualité et bon marché aux paysans français qu'on a fait venir de France.

Dans une guerre, les adversaires tiennent compte des droits de l’homme de la Convention de Genève. Dans un conflit tribal, on tue tout homme qui se trouve en face. On se contrebalance du reste comme de son premier cache-sexe.

Quand on refuse on dit non
Éditeurs : Seuil 2004 et Points

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