16 septembre 2012

Premier anniversaire "Occupy"

Le mouvement de contestation sociale «Occupy» célèbre son premier anniversaire en ce lundi 17 septembre. J’en profite pour mettre à la une un ouvrage que j’ai déjà recommandé dans mon blogue «L’art est dans tout».

Il s’agit de La juste part, Repenser les inégalités, la richesse et la fabrication des grille-pains par David Robichaud et Patrick Turmel. L’ayant relu une deuxième fois, j’insiste : tout le monde devrait le lire! À commencer par les gouvernants, les entrepreneurs et les économistes. Et pour vous y inciter, je vous propose le dernier chapitre de ce brillant exposé des plus accessibles au commun des mortels. Une centaine de pages où chaque phrase vaut son pesant d’or – vendu à 9,95$, ce qui ne devrait pas vous ruiner  :o)

Pourquoi l’égalité profite à tout le monde

De la fin de la Deuxième Guerre mondiale jusqu’aux années 1970, le sort de la majorité de la population s’est amélioré de façon à peu près constante. Mais depuis les années 1970, alors que les revenus du 1% ont bondi de façon spectaculaire, le revenu médian des foyers canadiens n’a pas augmenté. Il a même légèrement diminué.
       Pourquoi s’en plaindre? Après tout, si personne n’a volé ou exploité qui que ce soit, cette situation est efficiente : certains ont beaucoup plus, sans que les autres n’aient vraiment moins. C’est de cette façon que nous devrions évaluer la situation actuelle selon la théorie économique traditionnelle.
       Dans les 15 ou 20 dernières années, de nombreuses études dans le champ de l’économie comportementale sont toutefois venues bousculer cette façon de voir les choses. Elles se sont entre autres intéressées à la question du lien entre la richesse et cette chose que nous recherchons avant tout : le bonheur. La conclusion de ces études est que, dans les pays développés, ce qui compte du point de vue du bonheur ou du bien-être de l’individu, ce n’est pas la richesse absolue, mais la richesse relative eu égard à celle des autres.
       Dans The Spirit Level, un livre fort important sous-titré; «Pourquoi l’égalité profite à tout le monde», les épidémiologistes Richard Wilkinson et Kate Pickett partent de ce point de départ pour conclure que, dans les pays développés, le niveau de bonheur d’une société est intimement lié à son niveau d’égalité. Ou, plus précisément, que ce qui importe pour le bien-être et la santé d’une population n’est pas sa richesse absolue, mais une certaine égalité entre ses membres.
       Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs ont analysé les données d’une vingtaine de pays développés, de façon à évaluer la présence de problèmes sociaux qui frappent plus souvent les membres moins favorisés de la société : problèmes de santé mentale, dépendance aux drogues et à l’alcool, espérance de vie moins élevée, obésité, performances scolaires faibles, grossesse à l’adolescence, homicides et autres formes de violence, emprisonnement et faible mobilité sociale.
       Dans une société donnée, ces problèmes sociaux sont étroitement liés aux revenus : moins les gens sont riches, plus ils sont à risque. Ce qui est fascinant, c’est que l’on observe ce phénomène peu importe le revenu le revenu moyen du pays concerné. Ce qui rend une personne à risque, ce n’est pas d’être pauvre en termes absolus, c’est d’être plus pauvre que les autres membres de sa société.
       En d’autres termes, c’est l’importance des inégalités entre les citoyens dans une même société qui permet le mieux de prédire la présence et la gravité de ces problèmes.
       À peu près tous les problèmes sociaux associés aux groupes défavorisés sont davantage répandus et plus graves dans les sociétés plus inégalitaires. Et ce, de façon très importante. La suite de l’étude a permis de conclure, en revanche, que plus un pays est égalitaire, mieux il excelle sur le plan de la santé et du bien-être de sa population générale.
       En effet, ce ne sont pas seulement les moins favorisés qui profitent de sociétés plus égalitaires, mais bien la grande majorité de la population. Dans une société plus égalitaire, la plupart vivent un peu plus longtemps, sont moins susceptibles de souffrir d’obésité ou de dépendance à l’alcool, leurs enfants sont sans doute un peu mieux éduqués, ils courent moins de risques d’être victimes de violence, de se retrouver dans un gang ou d’être parents à l’adolescence.
       Voilà déjà une bonne raison de favoriser des politiques égalitaires.
       Il existe une autre raison pour laquelle la richesse ne mène pas nécessairement au bonheur. C’est que nos préférences et nos rêves s’adaptent à nos moyens financiers.         
       Rappelez-vous ce dont vous rêviez lorsque vous étiez étudiant. Une fois sur le marché du travail, ces rêves ont été remplacés par d’autres, en partie déterminés par votre nouvelle situation socioéconomique.
       La plupart des gens interrogés sur le montant dont ils auraient besoin pour mener une vie satisfaisante répondent, tous revenus confondus, qu’ils aimeraient gagner 40% de plus. Notez que ce phénomènes ne s’observe pas quechez les pauvres ou chez les membres de la classe moyenne. Dans Le temps des riches, Anatomie d’une sécession, Thierry Pech cite ne autre enquête dans laquelle on apprend que lorsqu’on demande aux personnes dont le capital (US) «quelle fortune serait nécessaire pour qu’ils se sentent vraiment à l’aise, ils indiquent tous une somme avoisinant le double de leur patrimoine». Peu importe que ces gens «valent» un ou 10 millions.
       Comment expliquer ce phénomène?
       Il faut comprendre qu’une fois satisfaits certains besoins de base, ce que nous identifions comme nos besoins et la façon convenable de les assouvir dépend fortement du contexte de référence et de comparaison dans lequel nous nous trouvons.
       Par exemple, qu’est-ce qu’un logement convenable pour une famille de quatre personnes? Tout dépend du contexte! Il n’existe pas de réponse objective à cette question. À Manhattan, un grand quatre pièces parait raisonnable pour y vivre avec sa famille. Dans une banlieue québécoise, un appartement de taille semblable semblera inadéquat pour un célibataire ou un jeune couple, mais pas pour une famille. Même superficie, contextes différents.
       Notre contexte influence et conditionne tous nos choix de consommation. Il n’existe pas de prix objectivement juste pour un mariage, un téléphone cellulaire, un cadeau pour notre belle-mère, un complet, un téléviseur ou un café. Tout dépend de ce que les autres dépensent pour les mêmes articles. Il se dégage un standard, une norme plus ou moins précise qui diffère d’un milieu à un autre. Payer 6$ pour un café, 700$ pour un téléphone ou 350 000$ pour un condo de 900 pieds carrés ne fait plus sursauter les jeunes professionnels montréalais. Un standard s’est installé, et si tous n’ont pas les moyens de se le permettre, c’est un prix jugé convenable par plusieurs, alors qu’il semblerait sans doute aberrant dans un milieu plus modeste. C’est à partir de ce type de standard que nous prenons nos décisions économiques.
       En quoi est-ce que les inégalités croissantes posent problème, de ce point de vue?
       L’économiste Robert Frank démontre que les changements dans les habitudes de consommation d’un groupe situé au haut de l’échelle sociale modifient le cadre de référence du groupe se situant juste en-dessous, ce qui provoque une cascade de consommation. Nous nous comparons bien sûr d’abord avec nos «semblables», ou avec les membres de notre cercle professionnel, social ou familial, et pas directement avec les plus riches. Mais les choix de ces derniers, croit Frank, affectent le comportement de consommation de la classe moyenne par une chaine de «comparaisons locales».
       Une des conséquences du fait que les plus riches se sont beaucoup enrichis est qu’ils ont modifié leurs habitudes de consommation : ils dépensent plus. Ils ont de plus grosses maisons,  de plus grosses voitures, dépensent davantage dans l’organisation de soirées ou pour le mariage de leurs enfants. Mais il y a un groupe, tout juste en-dessous des « super riches », qui gravitent autour de ces derniers et dont le cadre de référence change en conséquence de ces nouvelles habitudes de consommation. Pour ne pas se sentir déclassés, eux aussi vont dépenser plus que avoir une plus grosse maison, une plus grosse voiture, un plus beau mariage pour leur progéniture… De ce fait, le groupe tout juste en-dessous de ce second groupe voit aussi son cadre de référence modifié, et ainsi de suite, jusqu’aux membres de la classe moyenne, qui doivent dépenser plus aujourd’hui qu’hier, simplement pour maintenir leur position sociale. Les comportements des plus riches ont donc, à travers plusieurs intermédiaires, un impact sur les habitudes de consommation de la classe moyenne. Une statistique américaine incroyable va dans ce sens : la nouvelle maison médiane aux États-Unis est aujourd’hui plus de 30% plus grosse qu’il y a trente ans. Les plus riches, profitant d’un enrichissement substantiel, ont investi dans des maisons immenses. Ils ont donc modifié le standard de ce qu’est une «maison de prestige». Les gens légèrement moins riches ont alors considéré qu’il était légitime de s’installer dans une maison légèrement moins grande que celle des «super riches.» Et ainsi de suite jusqu’aux moins bien nantis, qui eux aussi ont vu le standard de la résidence modeste gagner en superficie.
       Or, ces investissements et ces dépenses plus importantes n’ont pas eu pour effet d’augmenter le bonheur général. Avoir une plus grosse maison ou un plus bel habit ne rend personne plus heureux, si tout le monde autour de nous a une aussi grosse maison ou un aussi bel habit. L’accroissement des inégalités a simplement eu pour effet de modifier à la hausse les standards de toutes les classes sociales.
        Mais l’économie ne s’en porte pas mieux et les Canadiens ne sont pas plus riches. Tel que mentionné, le revenu médian n’a à peu près pas bougé depuis 30 ans. Les Canadiens ont donc dû faire des choix : afin de vivre dans une grande maison, ils ont dû quitter la ville-centre pour la banlieue, payer davantage pour une voiture «convenable» et pour des biens de luxe qu’ils jugent appropriés à leur situation socioéconomique.
        Ces choix impliquent moins d’économies, plus d’endettement, moins de loisirs et plus de temps passé dans la congestion automobile soir et matin. Pas exactement la recette du bonheur. En ce sens, et plusieurs études l’ont démontré, l’augmentation des inégalités est une cause de stress importante. Les gens ne sont pas plus heureux maintenant. Et avec le taux d’épargne moyen négatif pour les Canadiens depuis 2005, nous pouvons nous attendre à ce que leur bonheur n’augmente pas à la retraite!
       Cela n’a rien à voir avec le fait que les individus sont plus snobs ou de moins en moins «raisonnables». Le standard change. Lorsque plusieurs personnes paient 6$ pour un café, en choisir un à 5$ semble raisonnable. Lorsque plusieurs personnes autour de vous ont un téléphone intelligent à 700$, choisir le modèle à 400$ semble raisonnable. Lorsque la plupart de vos amis vivent dans 900 pieds carrés et ont des hypothèques de plus de 350 000$, il est raisonnable de vivre dans 800 pieds carrés avec une hypothèque de 300 000$. De la même façon, lorsque les gens autour de vous travaillent 50 heures par semaine, font deux heures de route soir et matin ou n’ont pas de placements, il est facile d’être convaincu que tout cela est parfaitement raisonnable…
       Le problème, c’est que, par définition, le standard n’est pas très excitant. Il ne permet à personne de se distinguer et en vient donc à être perçu comme un besoin, et non pas une gâterie. Une large portion de la population sacrifie donc beaucoup pour s’offrir ce qui est approprié à sa condition socioéconomique, mais ces biens n’ont finalement rien de spécial ni de très enthousiasmant. L’augmentation des prix des standards propres à leur classe socioéconomique ne les rend pas plus heureux, elle ne les rend que plus pauvres.
       L’adoption de politiques néolibérales favorise donc les inégalités, qui à leur tour rendent les gens moins heureux. Une distribution plus égalitaire des revenus permettrait d’améliorer le niveau de bonheur de tous les citoyens.
       La croissance des inégalités expliquerait d’ailleurs aussi la crise économique de 2008. En fait, plusieurs économistes ont suggéré un parallèle entre cette crise et la grande crise de 1229. C’est notamment le cas de Michel Kumhof, économiste en chef au Fonds monétaire international. Les deux grandes crises du dernier siècle, celle de 1929 et celle de 2008, ont été précédées par une augmentation très importante de l’endettement dans les foyers les plus pauvres et ceux de la classe moyenne. Les inégalités se sont accrues, encourageant le surendettement, jusqu’à ce que ce dernier ne paraisse plus soutenable et que la crise frappe de plein fouet.
       Nous pouvons critiquer la régulation insuffisante du système financier ainsi que la trop grande disponibilité des prêts hypothécaires pour des individus qui n’en avaient pas les moyens. Mais c’est aussi la demande pour ces prêts qui a alimenté la crise. Les inégalités croissantes ont fait grimper les prix des maisons et ont fait en sorte qu’un nombre grandissant d’Américains ont dû s’endetter davantage simplement pour maintenir leur position socioéconomique. Pour Michel Kumhof, aucun doute possible : la solution pour éviter une nouvelle crise passe nécessairement par la réduction des inégalités.
       Plusieurs d’entre nous n’ont pas besoin de tels arguments pour souhaiter davantage d’égalité, mais ceux qui n’ont pas particulièrement d’attrait pour l’égalité, ou qui ne trouvent ni inéquitable ni indécent le fait que les hauts dirigeants d’entreprises aient un revenu qui soit quelques centaines de fois plus élevé que celui de leurs employés, devraient su moins maintenant avoir une justification rationnelle pour la favoriser.

http://www.david-robichaud.com/

COMMENTAIRE

Rien n’a changé depuis des temps immémoriaux…
La parodie «Les bobos» à Télé Québec dépeint le phénomène exposé précédemment : un petit couple de «bonne conscience», cool et in, vivant selon les normes d’un quartier à la mode, réputé pour son snobisme intellectuel, sa culture superficielle et son standing socioéconomique à la remorque des «marques»… À voir si vous avez accès à la zone, c'est à se tordre :-)

Ah, la comparaison! Comparaison au plan de l’apparence physique, de l’intelligence, de la culture, de la réussite sociale, des possessions, etcetera. On retrouve cette peste sociale à tous les niveaux, tant dans les villages que les mégapoles, ouvertement ou subtilement poussée à grand renfort de marketing, branding et pub...

Le contentement et la simplicité volontaire ne font pas rouler l’économie, mais ils nous font vivre très décemment… Pour avoir connu les deux versants de la montagne, par choix, je sais qu’au bout du compte, ce sont les rapports humains bienveillants et sincères, les amitiés, la coopération et le «care» de soi et des autres qui nous rendent le plus heureux, quel que soit notre pécule. C’est trop simple, personne n’en veut!

Et pendant cette course à la croissance, un milliard de personnes ne mangent pas à leur faim sur la planète… Si la simplicité volontaire vous intéresse vous aimerez peut-être :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-1.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/06/refonte-2.html

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