8 août 2023

Quid de la haine sur les réseaux sociaux?

Nous sommes nombreux à nous ennuyer de notre éveilleur de conscience Serge Bouchard (1). Je me demande souvent ce qu'il dirait des multiples situations choquantes, locales ou internationales, dont nous sommes témoins en ce moment.

Le texte suivant est tiré de l'ouvrage posthume "La prière de l'épinette noire", une sélection de ses éditoriaux rédigés au fil des ans pour l'émission C'est fou..., sur les ondes d'ICI Radio-Canada Première de 2010 à 2021.

Il faudra un jour éradiquer la haine

Sur le fil de mon Facebook, oui, sur le fil de mon Facebook, j'entendais un petit auditeur excité dire la phrase suivante à la tribune téléphonique d'une radio de Québec : «Tous ceux qui traînent dans la rue en après-midi, à manifester ou à ne rien faire, on devrait les tirer!» Évidemment, ce grand penseur vous dira qu'il ne voulait pas vraiment dire cela, qu'il ne s'agit que d'une manière de parler. Mais elle est quand même étonnante, cette façon de s'exprimer, elle blesse des oreilles aussi vieilles que les miennes, elle traverse ma couenne de dur à cuire. Rien ne me choque plus que la philosophie d'un mononeuronne. Cela ressemble à : «Les maudits Indiens, y nous coûtent une fortune!» «Les maudites féministes, on devrait toutes les enfermer!» ou pire encore, que je ne dis pas. Où l'on voit combien le propos haineux est hystérique et dangereux. Il conduit à la folie collective. Car on est toujours justifié de s'en prendre à celui ou celle à que l'on hait, pour toutes les fausses raisons du monde. Et l'histoire de l'humanité récente nous enseigne le coût de pareilles dérives.

Le serpent à «sornettes» ~ Serge Bouchard (Source de l'image Getty)

      Pour être un jour de vrais humains, il faudra éradiquer la haine, comme nous avons éradiqué la peste. Car la haine est à l'origine une maladie grave, qui plus est, une maladie très contagieuse. Il suffit de tomber sur un animateur de radio hautement infecté pour être soi-même frappé du mal. Le virus est dans les ondes. Lorsque j'entends un serpent à «sornettes» déguisé en animateur répandre son venin en prononçant des phrases haineuses et vides de sens, des phrases sans queue ni tête, gratuites et aussi méchantes qu'une face de crotale, j'entre en colère dans mon auto, je rage, je veux tuer l'irresponsable, lui casser la gueule, je veux battre cet imbécile qui empoisonne les cerveaux du monde, je voudrais lui fermer le caquet pour toujours, en un mot je le hais. Où l'on voit combien la haine est contagieuse, qu'elle se cultive et s'attise, qu'elle se provoque facilement.

      Il suffit de lire les commentaires gratuits des chialeux anonymes, dans les journaux et sur les réseaux sociaux, pour noter certaines choses. À l'université de la haine, on apprend à parler mal, à écrire avec des fautes, à respirer l'ammoniac de sa propre haleine ainsi qu'à poser un problème de façon claire. La recette est simple : «On s'entend-tu pour dire que les pelleteux de nuages sont des mange-marde, que les BS sont des maudits paresseux, que les écolos sont dans le champ?» La liste est sans fin : on s'en prend aux immigrants, aux femmes, aux gais, à la Gaspésie, aux intellectuels! Nous aurons tous compris que voilà de vraies fautes d'intelligence. Même le corbeau a une capacité supérieure d'envisager le monde. Jamais il ne diviserait la société entre ceux de gauche et ceux de droite, lui qui sait solutionner des problèmes à huit niveaux de difficulté et qui connaît la profondeur de la vie.

      Il est quelques remèdes à la maladie : apprendre la politesse, suivre des cours d'éducation fondamentale, recevoir des injections régulières favorisant le développement de la bonne volonté, de la bonne foi, de la bonté tout court ou, dans l'extrême urgence, se faire greffer un cœur. Tout cela prend du temps, mais c'est tellement important. Autrefois, on lavait la langue avec du savon, mais peut-on vraiment désinfecter un cerveau sans l'endommager plus encore!

      Lorsque les intentions sont bonnes, le reste vient à l'avenant. Je rêve d'une charte des valeurs qui sacraliserait un seul groupe de valeurs, toutes celles liées à la bonté, à la bonne foi, à la bonne éducation. Le propos haineux est immanquablement le fait d'une ignorance active colorant une petite cervelle surexcitée, une ignorance qui enflamme l'ignorance des autres, une tache sur une seule pomme qui finit par pourrir tout le panier en un rien de temps. À la source du mal, la méchanceté, la grande comme la petite, la pensée pointue qui veut piquer au vif, oui, la méchanceté, la gratuite, l'inutile. À force d'accumuler les méchancetés, on devient haineux. À force de tolérer la méchanceté, elle s'incruste dans nos vies. Et je crois que s'il est illégal de voler ou de tuer ou de faire du mal à autrui, il devrait être tout aussi illégal d'être notoirement méchant. En fait, il nous faudrait haïr la haine, comme si c'était notre dernier combat.

      Je ne suis pas un enfant de chœur, mais justement, il se trouve que j'ai un cœur. Nous sommes nombreux dans mon cas qui préférons une société de compassion et de bonnes intentions à une société d'affrontements simplistes, de disqualifications violentes et de polarisations scandaleuses.

      Nous nous interrogeons beaucoup pour savoir s'il existe une intelligence extraterrestre, mais la question est plutôt de savoir s'il s'en trouve une sur notre propre terre.

(1) Serge Bouchard (1947-2021) s'est fait connaître comme homme de radio et, en littérature, comme un chroniqueur et un essayiste de premier plan, dont l'œuvre est marquée à la fois par l'originalité de la pensée et par la qualité de l'écriture. Au cours des dix dernières années, il nous a donné une suite de recueils qui lui ont valu l'attachement d'un vaste public et d'importantes distinctions, dont le prix Gérard-Morisset du gouvernement du Québec et le Prix littéraire du Gouverneur général. Ce livre posthume de Serge Bouchard fait suite à L'Allume-cigarette de la Chrysler noire (2019) et à Un café avec Marie (2021).

La prière de l'épinette noire

Les Éditions du Boréal / Collection papiers collés / 2023   

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La compilation a été préparée et préfacée par le fidèle coanimateur de Serge Bouchard, Jean-Philippe Pleau, à qui on peut dire un gros merci 

Suggestion : plusieurs archives sur le site Ohdio (ICI Radio-Canada)

Liste :

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/rechercher/resultats?pageNumber=1&query=Serge%20Bouchard

• Lus pas Serge Bouchard (il fait bon d'entendre sa voix) :

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/livres-audio/105827/les-yeux-tristes-de-mon-camion-serge-bouchard

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/livres-audio/105710/c-etait-au-temps-des-mammouths-laineux

• Lu par Samian :

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/livres-audio/105931/le-moineau-domestique

• Lu par Pascale Monpetit :

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/livres-audio/105900/un-cafe-avec-marie

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