LE DÔME D'AIR CHAUD ARRIVE AU QUÉBEC : UNE NOUVELLE CAUSE POUR LES COMPLOTISTES -- Caricature : Serge Chapleau / La Presse
J'avais mentionné cette possibilité dans un article récent : «Il y a sûrement des complotistes assez tordus pour prétendre que ces feux sont l'oeuvre de l'élite et des gouvernements pour nous faire croire aux changements climatiques!!!»
https://situationplanetaire.blogspot.com/2023/07/les-oublies-des-grands-feux-de-foret.html
Eh bien voilà, c'est confirmé!
Des complotistes remettent en question l’origine des feux de forêt au Canada
Hina Alam - La Presse canadienne
Le Devoir 25 août 2023 / Environnement
La saison historique des feux de forêt qui sévit cet été au Canada est une conséquence tangible des changements climatiques, selon les scientifiques. Toutefois, pour les adeptes des théories du complot, même les milliers de kilomètres carrés de forêt brûlés ne sont pas une preuve suffisante.
Plutôt que reconnaître l’impact des changements climatiques, de nombreux complotistes évoquent en ligne une multitude d’hypothèses pour expliquer l’origine des incendies.
Certains internautes parlent de lasers spatiaux, d’autres blâment des criminels, tandis que la théorie selon laquelle les feux sont allumés volontairement par les gouvernements circule aussi fréquemment.
Bien qu’elles soient marginales, ces théories sont largement diffusées et renforcées par les algorithmes des réseaux sociaux.
Selon un professeur agrégé à l’école d’études administratives de l’Université York, Eric Kennedy, les gens se tournent vers les théories du complot pour les aider à comprendre des catastrophes, comme les récents incendies de forêt sur l’île hawaïenne de Maui, en Colombie-Britannique ou dans les Territoires du Nord-Ouest.
«Certaines théories du complot sur les incendies de forêt vont créer des “méchants” que l’on peut blâmer facilement : Bill Gates, le Forum économique mondial…», explique M. Kennedy, qui étudie la prise de décision dans des contextes d’urgence, en particulier les feux de forêt. «Parfois, les histoires les plus simples sont les plus attirantes», souligne-t-il.
De son côté, un professeur adjoint de sciences politiques à l’Université de Winnipeg, Kawser Ahmed, rappelle que presque toutes les théories du complot contiennent une étincelle de vérité, mais sont déformées pour attirer l’attention ou susciter l’indignation.
Les incendies de forêt, note-t-il, sont des événements spectaculaires qui attirent l’attention rapidement, même avant que tous les faits concernant leur cause ne soient révélés — un peu comme lorsque survient un attentat terroriste.
Les théories du complot vont donc surgir très tôt, parce que des gens sont à la recherche d’une explication facile le plus rapidement possible.
Difficile à entendre pour les pompiers
Toutes ces théories viennent cependant affecter directement le moral des pompiers qui luttent contre les flammes sur le terrain.
Le directeur des opérations du service de lutte contre les incendies de la Colombie-Britannique, Cliff Chapman, avoue d’ailleurs que de telles théories affectent ses collègues et lui «d’une manière très importante».
«On fait tout ce qu’on peut pour protéger les maisons et s’assurer que tout le monde puisse rentrer chez eux le plus vite possible. Donc pour un pompier qui rentre chez lui après 14 heures de travail, c’est très difficile à entendre», déplore-t-il.
Les théories du complot risquent également d’affecter les personnes victimes des incendies de forêt, notamment les milliers de personnes qui ont dû être évacuées, selon le professeur Ahmed.
Ces personnes sont vulnérables, stressées et souffrent parfois d’un manque de confiance envers les autorités. Il est donc facile de tomber dans le piège d’une théorie du complot, qui offre un méchant plus facile à détester.
«C’est ce qui m’inquiète vraiment, reconnaît-il. Une fois rentrées chez elles, ces personnes pourraient devenir encore plus hostiles aux institutions, aux gouvernements et à la police.»
Un coupable : les changements climatiques
Les scientifiques imputent aux changements climatiques la gravité de la saison des incendies de forêt cette année au Canada. Une étude du groupe britannique World Weather Attribution publiée cette semaine a révélé que les émissions de gaz à effet de serre ont rendu les conditions météorologiques au Québec environ 50 % plus propices aux incendies en mai et en juin.
Les théoriciens du complot minimisent ou nient cependant le lien entre les changements climatiques et les incendies de forêt. Ils invoquent plutôt des idées comme l’écoterrorisme et les incendies volontaires pour expliquer la situation actuelle. «C’est plus facile à vendre», rappelle M. Ahmed.
Et de nos jours, les algorithmes des réseaux sociaux accélèrent la propagation des théories du complot, car dès qu’un utilisateur clique sur un lien, l’algorithme lui proposera du contenu similaire, créant un cercle vicieux qui renforce les fausses croyances, explique le professeur. «Cela vous mènera vers une trajectoire très définie.»
Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit et politique de la santé à l’Université de l’Alberta, Timothy Caulfield, ajoute que des études ont montré que la désinformation qui retient le plus l’attention doit être effrayante, émotionnelle, morale ou idéologique, en plus d’être facile à comprendre.
«La désinformation sur les incendies de forêt coche toutes ces cases. Ajoutez la peur et l’incertitude et vous obtenez une recette parfaite.»
Le journalisme comme solution
Un professeur agrégé à l’école de journalisme et de communication de l’Université Carleton, Chris Russill, soutient que le journalisme est un moyen de corriger cette désinformation.
Le «manque de journalisme local», aggravé par la décision de Meta de bloquer les contenus d’information sur Facebook et Instagram au Canada, contribue à la propagation d’étranges théories du complot sur les incendies de forêt, à son avis.
«Cela crée des conditions dans lesquelles ces informations peu fiables peuvent circuler plus librement», observe-t-il.
Pour étouffer les théories du complot, il faut toutefois des solutions à «de nombreux niveaux différents». La chose la plus importante que les gens puissent faire est d’être «très prudents» lorsqu’ils trouvent des informations qui confirment leurs convictions, affirme le Pr Kennedy.
Au niveau institutionnel, les agences de gestion des urgences doivent gagner la confiance du public et ne pas la tenir pour acquise, selon lui.
«Ça n’arrive pas du jour au lendemain, ou simplement avec une publicité sur Facebook. Ce n’est pas juste un problème purement d’information, c’est un problème qui concerne les relations de confiance envers nos institutions.»
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