3 juin 2021

Voiler une faute sous un mensonge...

«Voiler une faute sous un mensonge, c'est remplacer une tache par un trou.» ~ Jules Petit-Senn, écrivain et satiriste  

La corruption est un fléau impossible à juguler puisque la corruption est perçue comme une tactique commerciale normale. Bien sûr, on ne parle pas ici de bouteilles de vin, de roses ou de boîtes de chocolats, mais de milliers, de millions et de milliards de dollars. 

À quoi peuvent bien penser des cerveaux branchés exclusivement sur le cash, le rendement, l'investissement, les gains et les pertes et l'enrichissement personnel? Possiblement à des manigances pour arriver à leurs fins, coûte que coûte. 

Quelques rappels

Au Québec, avec quelque 125 députés caquistes, nous sommes très chanceux car nous ne manquons pas de serpents à cravates. Le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, gère les finances du Québec comme si l’argent des contribuables lui appartenait – il agit à sa guise et avec la bénédiction du padre François Legault. Bien que visé par quatre enquêtes de la commissaire à l’éthique, il répète sans cesse qu’il n’a rien à se reprocher.

Photographe : Édouard Plante-Fréchette. Le regard qui dit «Attendez voir, vous ne m’aurez pas; c’est moi qui va vous rouler dans la farine!»

Le Journal de Montréal avait révélé que le ministre possédait des intérêts dans le fonds White Star Capital, établi dans le paradis fiscal de Guernesey. Deux hauts dirigeants de ce fonds ont été inscrits en 2020 comme lobbyistes auprès de M. Fitzgibbon, puisqu’ils cherchaient «un appui politique ou financier» pour un investissement public potentiel de 20 millions de dollars. JDM avait aussi publié la photo d’une rencontre organisée en 2019 à Paris entre le ministre Pierre Fitzgibbon, le premier ministre François Legault et le cofondateur de White Star Capital, Eric Martineau-Fortin. Sur la photo affichée sur le compte Twitter du premier ministre en janvier 2019, François Legault affirmait avoir eu un dîner notamment avec un des cofondateurs de White Star et le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon à Paris. «Très heureux d’avoir participé à un autre dîner économique hier soir notamment avec Patricia Barbizet de Temaris et Eric Martineau-Fortin de White Star Capital. De bonnes discussions sur l’économie!» affirmait-il. De son côté, Fitzgibbon avait affirmé qu’il s’agissait d’une rencontre de 10 minutes «par hasard». Ils pourraient au moins s'entendre sur une version commune des «faits».

En 2019, on alléguait que la nomination de Guy LeBlanc à la tête d’Investissement Québec par M. Fitzgibbon n’avait pas été faite selon les procédures strictes de sélection. Peu importe, le ministre a défendu son choix bec et ongle, parce que le candidat a «beaucoup d'amis» et une vaste «expérience» du monde des affaires. Le ministre de l'Économie estimait qu'il ne fallait pas s'étonner de ses relations d'affaires et amicales avec le nouveau président-directeur général. Le salaire de M. Guy LeBlanc tournera autour de 950 000 par année. Ce montant représente près du double de ce qu’avait reçu son prédécesseur Pierre Gabriel Côté. Le salaire passera donc de 483 685 $ en 2020, à 1,1 million de dollars par an à l’avenir. Les quatre autres dirigeants touchent près d’un demi-million – les pauvres, ils font pitié...

Ce n’est pas d’hier que M. Legault veut assouplir les règles du code d'éthique concernant les conflits d’intérêts de ses ministres. L’opposition officielle soupçonnait le chef caquiste de vouloir assouplir le code en vigueur pour ne pas que ses ministres soient forcés de vendre rapidement à perte leur participation dans des entreprises.

    Les règles actuelles du Code d’éthique donnent 60 jours à un ministre pour se départir de ses intérêts dans une entreprise ou les confier par exemple à une fiducie. Or M. Legault plaide que c’est trop court. Le chef caquiste veut plutôt s’assurer que ses amis ne perdent pas d’argent, selon l’opposition.

Cela dit, j’aimerais rapporter une entrevue entre Patrick Masbourian, animateur de «Tout un matin», et Vincent Marissal, porte-parole de Québec solidaire en matière d’économie. (Jeudi 3 juin 2021) Si vous l’écouter, vous constaterez que le ton de Masbourian monte à chaque nouvelle question, et l’on pourrait même croire qu’il prend parti pour Fitzgibbon!  Il débute d’ailleurs la conversation avec une question teintée d’ironie.(Transcription-maison)

Masbourian : Content d’avoir eu la tête du ministre?

Marissal : Ah non, j’le vois pas comme ça. C’est le côté un peu macho corrida de la politique. J’ai pas mis le panache de M. Fitzgibbon au-dessus de mon foyer. Je suis content que le bon sens soit revenu et que le code d’éthique ait prévalu puisque après tout c’est pour ça qu’on adopte des codes d’éthique. Je suis content, mais néanmoins déçu que ça ait pris tellement temps au premier ministre à comprendre l’évidence. Ç’a pris quatre rapports, ç’a pris deux ans de débats. Alors je pense que là on arrive où on devait arriver. Le ministre Fitzgibbon ne se conformait pas. Si je n’avais pas refait cette demande au mois de mars, on se retrouvait dans un vide juridique en quelque sorte. C’est étonnant quand on vote des codes d’éthique et qu’on dit «c’est pas grave, on va l’utiliser juste quand ça nous tente». Par ailleurs le code d’éthique c’est pas un sandwich Subway, on peut pas se le faire assembler au goût du jour et à la tête du client, il s’applique à tout le monde. Là où je suis satisfait c’est de voir que le bon sens et le code d’éthique vont prévaloir. 

Masbourian : Ok, pourquoi c’était important? Pour le principe justement ou parce qu’il y avait un réel danger?

Marissal : Il y avait un réel danger... On a à peu près le même âge, on a tous vécu notamment le régime libéral, la Commission Charbonneau, les retours d’ascenseur, le copinage, les contrats de gré à gré pas tout à fait clairs, un peu louches. Est-ce qu’on veut vraiment revenir à ça? Non, la réponse est non. Et moi, je m’étonne des commentaires de certains gens d’affaires qui notamment disent «c’est donc ben dommage pour ce code d’éthique-là, mais il est obsolète, c’est un code d’une autre époque. Faux. De un, le code d’éthique date de 2010, c’est pas Mathusalem, puis de deux, ce code d’éthique a fait ce qu’on attend d’un code d’éthique, faire respecter l’éthique.  Après ça, s’il y a des gens d’affaires multimillionnaires qui n’aiment pas, y’a rien qui les oblige à venir en politique.

Masbourian : En même temps, Pierre Fitzgibbon nous disait tout à l’heure «Écoutez là, j’ai une longue feuille de route dans le monde des affaires, prenez-le mon CV, regardez chaque page à la loupe, vous ne trouverez aucune tache. Bon, c’est ce qu’il prétend, j’ai pas fait l’exercice. Il nous dit, «y’en a pas de conflits d’intérêts». ... Et là c’est une réponse au premier ministre que j’ai envie de vous demander. Le premier ministre dit que «si on veut que les gens d’affaires se lancent en politique parce que c’est eux qui savent parler au monde des affaires, ben y va falloir qu’on l’adapte à cette réalité-là. Les gens d’affaire ont des investissements partout». Pas moyen de trouver un accommodement raisonnable?

Marissal : Je trouve ça drôle de la part de M. Legault qui lui-même est venu du milieu des affaires, qui est multimillionnaire, qui a très bien réussi, qui n’a jamais été en accroc avec le code d’éthique et qui lui-même a mis ses affaires en ordre. Alors la chose est possible. On va pas commencer à ouvrir des voies d’évitement parce que tout d’un coup on recrute une star du milieu des affaires qui ne voudra pas se conformer. Quel genre de message ça envoie? On va pas construire sur les autoroutes des voies réservées aux gens qui ont des Ferrari parce qu’ils veulent rouler plus vite puis mépriser le code de la route. C’est pas comme ça que ça fonctionne.

Masbourian : Mais c’est pas son intention monsieur Marissal, il dit «j’ai voulu la vendre cette participation dans cette entreprise privée, j’ai pas été capable».

Marissal : C’est comme ça, la vie politique est parfois dure, mais il y a des règles et il y a règles parce qu’il y a des raisons. On choisit les affaires ou la politique, les intérêts personnels ou le service public. M. Fitzgibbon voulait protéger son million apparemment et puis là-dessus y’a tout un débat d’ailleurs, mais ça le regarde, s’il veut protéger son million ou ses millions ou ses milliards, peu m’importe, mais alors qu’il reste dans le milieu des affaires. On ne peut pas avoir un pied dans chaque domaine, c’est pourquoi on a finalement ce fameux code d’éthique. J’entendais l’extrait que vous avez passé où M. Fitzgibbon dit «on a une divergence d’opinion la commissaire et moi». Non, non, un instant. C’est pas un débat philosophique, on parle ici d’article d’un code d’éthique qu’il n’a pas respecté. On ne peut pas juste dire «je ne suis pas d’accord avec toi, je n’accepte pas»... criez ça devant le juge quand vous êtes en infraction, ça ne marchera pas. 

Masbourian : Y’aura des élections relativement bientôt... disons-le comme ça. Si le gouvernement veut ouvrir ça pis justement apporter des modifications, moderniser le code d’éthique, peu importe ce que ça veut dire, vous allez être ouvert ou non?

Marissal : En tout cas, s’il s’agit de diluer le code d’éthique en matière de conflits d’intérêt, pour moi, c’est pas une modernisation c’est un recul. Alors je pense que la ligne est tracée dans le sable, tout ce qui va ressembler à une dilution de la protection contre ce genre de comportement, ça va être un non définitif en ce qui nous concerne.

Audiofil :

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/tout-un-matin/episodes/537469/rattrapage-du-jeudi-3-juin-2021

En 2016, François Legault affirmait qu’Air Transat [compagnie dont il était un important actionnaire] n’avait jamais créé de filiales dans un paradis fiscal, puis reconnaissait ensuite que l’entreprise avait une antenne à la Barbade. (Le Journal de Québec, 25 janvier 2016).

Mettre la hache dans les services sociaux et privatiser demeurent les priorités de la CAQ 

Investir les sommes nécessaires pour maintenir des services sociaux/publics adéquats va totalement à l’encontre de la mentalité mercantile, libertarienne et parfois même déshumanisée de ce parti politique.

   La CAQ, tout comme sa génitrice l’ADQ, a toujours défendu des politiques de centre droit : réduction de la taille de l'État, ménage des finances publiques, abolition de certaines institutions, grande ouverture au secteur privé même en soins de santé, création d’une économie de propriétaires, augmentation du salaire des profs en retour d'une évaluation des résultats de leur travail (comme si l’on pouvait se fier à ça!), maintien de relations boiteuses avec les syndicats, etc. Bref, à la mode de l’Institut Fraser, et de son gémellaire, l’Institut économique de Montréal : le développement économique passe par la privatisation et le démantèlement des services publics.

    La CAQ misait sur les compétences de l’économiste de la grosse droite Youri Chassin (député de Saint-Jérôme), ancien directeur de l’Institut économique de Montréal qui affirmait sans scrupule ne pas croire au bien commun durant la campagne électorale. En voilà un autre que M. Legault a défendu lorsqu’il est allé rejoindre son conjoint dans le sud durant le gros du confinement de la période des fêtes...

Conclusion : le padre a du fil à retordre avec ses rejetons.

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