Si elle avait vu les récentes horreurs récemment survenues dans nos CHSLD, Simone aurait pu écrire des milliers de pages supplémentaires sur la déshumanisation des personnes âgées. Dans notre société nord-américaine, le vieux n’est pas tout à fait un humain, on le situe quelque part entre l’animal et le légume.
La vieillesse, Simone de Beauvoir, Gallimard 1970
Résumé
Les vieillards sont-ils des hommes? À voir la manière dont notre société les traite, il est permis d'en douter. Elle admet qu'ils n'ont ni les mêmes besoins ni les mêmes droits que les autres membres de la collectivité puisqu'elle leur refuse le minimum que ceux-ci jugent nécessaire; elle les condamne délibérément à la misère, aux taudis, aux infirmités, à la solitude, au désespoir.
Pour apaiser sa conscience, ses idéologues ont forgé des mythes, d'ailleurs contradictoires, qui incitent l'adulte à voir dans le vieillard non pas son semblable mais un autre. Il est le Sage vénérable qui domine de très haut ce monde terrestre. Il est un vieux fou qui radote et extravague.
Qu'on le situe au-dessus ou en dessous de notre espèce, en tout cas on l'en exile. Mais plutôt que de déguiser la réalité, on estime encore préférable de radicalement l'ignorer : la vieillesse est un secret honteux et un sujet interdit.
Quand j'ai dit que j'y consacrais un livre, on s'est le plus souvent exclamé : «Quelle idée! C'est triste! C'est morbide!» C'est justement pourquoi j'ai écrit ces pages. J'ai voulu décrire en vérité la condition de ces parias et la manière dont ils la vivent, j'ai voulu faire entendre leur voix; on sera obligé de reconnaître que c'est une voix humaine.
On comprendra alors que leur malheureux sort dénonce l'échec de toute notre civilisation : impossible de le concilier avec la morale humaniste que professe la classe dominante.
Celle-ci n'est pas seulement responsable d'une «politique de la vieillesse» qui confine à la barbarie. Elle a préfabriqué ces fins de vie désolées; elles sont l'inéluctable conséquence de l'exploitation des travailleurs, de l'atomisation de la société, de la misère d'une culture réservée à un mandarinat.
Elles prouvent que tout est à reprendre dès le départ : le système mutilant qui est le nôtre doit être radicalement bouleversé. C'est pourquoi on évite si soigneusement d'aborder la question du dernier âge. C'est pourquoi il faut briser la conspiration du silence : je demande à mes lecteurs de m'y aider.
Source : Babelio
«Voilà pourquoi on ensevelit la question dans un silence concerté. La vieillesse dénonce l’échec de toute notre civilisation. […] La société ne se soucie de l’individu que dans la mesure où il rapporte. Les jeunes le savent. Leur anxiété au moment où ils abordent la vie sociale est symétrique de l’angoisse des vieux au moment où ils en sont exclus. […] Quand on a compris ce qu’est la condition des vieillards, on ne saurait se contenter de réclamer une politique de la vieillesse plus généreuse, un relèvement des pensions, des logements sains, des loisirs organisés. C’est tout un système qui est en jeu et la revendication ne peut être que radicale : changer la vie.» (Simone de Beauvoir, La vieillesse)
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