Les légendes urbaines me font penser aux fables
de Lafontaine : une histoire suivie d’une morale. L’histoire ci-après vogue
allègrement sur Internet depuis 1997! Il est amusant de connaitre les origines
de ces témoignages qu’on nous présente toujours comme des faits vécus – et l’on
insiste…
Source des informations sur l’origine de cette
légende :
www.snopes.com
the definitive Internet
reference source for urban legends, folklore, myths, rumors, and
misinformation.
«Le Bécasseau» est le résumé d’une histoire dont
l’auteur est Mary Sherman Hilbert. La version complète parut la première fois en
1978 dans un périodique religieux canadien. En 1980, Reader’s Digest en publia un condensé. Les personnages originaux s’appelaient
Ruth Peterson et Wendy. Plus tard, la marcheuse a changé de nom : Ruth Patterson,
Ruth Peterson et finalement Robert Peterson. Il n’y a pas de Robert Peterson
dans la version originale.
Dans celle du Reader’s Digest, l’auteur dit en introduction qu’une voisine
lui avait raconté avoir vécu cet incident. L’histoire l’avait frappée et elle
avait pris des notes. Même si c’est raconté à la première personne, l’auteur
précise que ce n’est elle qui a vécu l’incident.
En 2003, on ajouta ce commentaire à la fin de l’histoire :
NOTE :
Ceci est une histoire vraie envoyée par Robert Peterson. C’est arrivé il y a
plus de 20 et l’incident a changé sa vie à jamais. Cela nous rappelle à tous
que nous devons prendre le temps d’apprécier la vie et ceux qui nous entourent.
Haïr les autres fait en sorte qu’on s’aime moins soi-même. La vie est
compliquée. L’agitation quotidienne, les traumas, les crises ou les infortunes passagères
peuvent nous faire perdre de vue ce qui est vraiment important. Cette semaine,
assurez-vous de donner des câlins supplémentaires à ceux que vous aimez, et
trouvez le temps de vous arrêter pour humer le parfum des roses (…)
Quoiqu’il en soit, l’histoire nous propose
quelques leçons. Elle suggère de ne pas laisser notre propre tristesse et
souffrance nous envahir au point de ne pas voir celles des autres. Car lorsque
nous sommes obsédés par notre propre désarroi nous risquons de brusquer des
personnes encore plus souffrantes que nous; ce manque de bienveillance inconscient
pourrait nous hanter longtemps. La narration nous dit aussi qu’au beau milieu des
horreurs personnelles qui chavirent notre vie, nous devons nous efforcer de
créer des «jours de bonheur».
***
En définitive, nous ne savons pas si l'histoire a été vécue ou non. Mais qui de nous n'a pas vécu quelque chose de semblable? Comme les fables de Lafontaine, ces allégories contemporaines
ont un côté intemporel.
J’ai vu beaucoup d’oiseaux en balade aujourd’hui, mais
pas de bécasseau. Par contre, pour moi, tous les oiseaux sont porteurs de joie;
alors, ce fut un jour de bonheur.
Version "Robert Peterson" ...
Elle avait six ans quand je l'ai rencontrée pour
la première fois sur la plage près d'où j'habite. J’allais à cette plage, à une
distance de trois ou quatre milles, à chaque fois que le monde semblait s’écrouler
autour de moi. Elle construisait un château de sable, ou autre chose, et m’a regardé;
ses yeux étaient bleus comme la mer.
- Bonjour, dit-elle.
Je l’ai simplement saluée, n’étant pas vraiment
d'humeur à m’occuper d’une jeune enfant.
- Je construis, dit-elle.
- Je vois. Qu'est-ce c’est?, lui ai-je demandé,
peu intéressé.
- Oh, je ne sais pas, j’aime seulement la
sensation du sable.
Ça semble agréable en effet, pensai-je, et j’enlevai
mes chaussures.
Un bécasseau passa.
- C'est de la joie, dit l'enfant.
- C'est quoi?
- C'est de la joie. Ma maman dit que le bécasseau
nous apporte de la joie.
L'oiseau atterrit sur la plage. Adieu joie, bonjour
tristesse, ai-je murmuré, et je m’apprêtai à poursuivre ma marche. J'étais
déprimé, ma vie semblait complètement bouleversée.
- Quel est votre nom?
Elle ne lâchait pas.
- Robert », lui ai-je répondu, Robert Peterson.
- Le mien est Wendy... j’ai six ans.
- Bonjour, Wendy.
Elle pouffa de rire :
- Vous êtes drôle.
Malgré ma tristesse, j’ai ri aussi en m’éloignant.
Son rire musical me suivit.
- Revenez, M. P., lança-t-elle, nous partagerons
un autre jour de bonheur.
Les jours suivants je ne vis que des groupes de
Scouts indisciplinés, des meetings PTA et une mère souffrante. Un matin, le
soleil brillait pendant que je vidais mon lave-vaisselle. J’ai besoin d’un
bécasseau, me dis-je, en ramassant mon manteau.
Le baume changeant du bord de mer m'attendait. La
brise était froide mais je marchais d’un bon pas, essayant de trouver la
sérénité dont j'avais besoin.
- Bonjour M. P., dit-elle, voulez-vous jouer?
- Que veux-tu faire?, ai-je demandé, un peu ennuyé.
- Je ne sais pas. À vous de le dire.
- Des charades peut-être?, demandai-je ironiquement.
J’entendis à nouveau son éclat de rire
cristallin.
- Je ne sais pas ce que c'est.
- Alors marchons.
En l’observant, je remarquai la délicatesse de
son visage.
- Où habites-tu?, ai-je demandé.
- Là-bas, dit-elle, en pointant vers une rangée
de chalets d'été.
Étrange, pensai-je, en hiver…
- À quelle école vas-tu?
- Je ne vais pas à l'école. Maman dit que nous
sommes en vacances.
Elle babillait dans son langage enfantin tandis
que nous marchions sur la plage; mais j’avais la tête ailleurs. En la quittant
pour retourner chez moi, « c’était un jour de bonheur » dit Wendy. Me sentant étonnamment mieux, j’ai acquiescé en
souriant.
Trois semaines plus tard, je me rendis à la
plage quasiment en état de panique. Je n'étais pas d'humeur à saluer Wendy. Croyant
avoir aperçu sa mère sur le porche, j’ai failli lui demander de garder sa fille
à la maison.
- Écoute, si ça ne te dérange pas, j’aimerais
mieux être seul aujourd'hui, dis-je à Wendy qui m’avait rattrapé. Elle semblait
anormalement pâle et hors d'haleine.
- Pourquoi?, demanda-t-elle.
Je me suis retourné en criant :
- Parce que ma mère est morte!
Et aussitôt je me suis dit, Mon Dieu, pourquoi ai-je
dit ça à une jeune enfant ?
- Oh, dit-elle tranquillement, alors c'est un
mauvais jour.
- Oui, et hier et avant-hier -- oh, va-t-en!
- Est-ce que cela a fait mal?
- Quoi donc?, lui demandai-je exaspéré.
- Quand elle est morte?
- Bien sûr que ça fait mal, lui ai-je répondu
sèchement, intolérant, fermé sur moi-même.
Je m’éloignai à grands pas.
À peu près un mois plus tard, lorsque je suis retourné
à la plage, elle n'était pas là. Me sentant coupable, honteux, et admettant qu’elle
me manquait, je suis allé au chalet après ma marche et j’ai frappé à la porte. Une
jeune femme, les traits tirés, aux cheveux couleur de miel, m’a ouvert.
- Bonjour, lui dis-je, je suis Robert Peterson.
J’ai raté votre petite fille aujourd'hui et je me demandais où elle était.
- Ah oui … M. Peterson, veuillez entrer. Wendy m’a
tellement parlé de vous. J’ai peur de lui avoir permis de vous déranger. Si elle
vous a ennuyé, veuillez accepter mes excuses.
- Pas du tout, c’est une enfant charmante, lui
dis-je, réalisant soudain que je disais ce que je ressentais vraiment.
- Wendy est morte la semaine dernière, M.
Peterson. Elle avait la leucémie. Peut-être qu'elle ne vous l’avait pas dit.
J’étais renversé, cherchant une chaise à tâtons.
Je devais reprendre mon souffle.
- Elle aimait cette plage, alors quand elle a
demandé de venir, nous ne pouvions pas refuser. Elle semblait tellement mieux
ici, et elle vivait beaucoup de ce qu'elle appelait des jours heureux. Mais,
depuis quelques semaines, elle déclinait rapidement...
Sa voix faiblit :
- Elle a laissé quelque chose pour vous, si
seulement je peux le trouver. Pouvez-vous attendre un moment pendant que je
cherche?
J'ai acquiescé, l’air stupide, cherchant
quelque chose à dire à cette charmante jeune femme. Elle m’a remis une
enveloppe adressée en caractères gras à « M. P. » Elle contenait un dessin aux
couleurs brillantes – une plage jaune, une mer bleue et un oiseau brun.
En-dessous, elle avait soigneusement écrit :
UN BÉCASSEAU POUR VOUS APPORTER DE LA JOIE
J’éclatai en sanglots, et mon cœur, qui avait
presque oublié d’aimer, s’ouvrit tout grand. Je pris la mère de Wendy dans mes
bras en répétant « je suis tellement peiné, tellement désolé, tellement
désolé ». Et nous avons pleuré ensemble.
Le précieux petit dessin est maintenant encadré
et accroché dans mon bureau. Six mots – un pour chaque année de sa vie – qui me
parlent d'harmonie, de courage et d'amour désintéressé.
Le cadeau d'une enfant aux yeux bleus comme la
mer et aux cheveux couleur de sable – qui m'a fait connaitre le don de l'amour.
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