6 avril 2020

Avons-nous le droit de savoir?

«L’obligation de subir nous donne le droit de savoir.»
~ Jean Rostand, biologiste et philosophe

Que signifie «aplatir la courbe» de propagation du coronavirus dont ne cesse de parler le Dr Horacio Arruda?
   Toutes les réponses aux questions que l’on se pose à ce sujet et plus; en 20 minutes et compréhensible pour les nuls comme moi. Avec en bonus un aperçu de ce que la crise climatique pourrait nous réserver en matière d’attaques virales :  
Coronavirus interview exclusive : Un chercheur du CNRS décrypte l’épidémie pour vous. Invité : François Renaud, chercheur du CNRS au laboratoire de maladies infectieuses.

Rostand disait aussi :
On tue un homme, on est un assassin  
On tue des milliers d'hommes, on est un conquérant  
On les tue tous, on est Dieu

Ndlr : ou un méchant virus...  

Les humains ont tendance à se croire invincibles et reconnaissent difficilement l’éventualité de leur propre déchéance ou mort, même en temps de pandémie galopante. Tout le monde espère que les choses reprendront comme avant, une fois la «courbe aplatie».
   Le mode de vie terrestre actuel est basé sur un système de croyances qui soutient que l’être humain doit essayer de rester sur terre dans son corps à tout prix (à ses propres dépens et ceux des autres); que le succès consiste à accumuler le plus de «trucs» possible; qu’il faut tout faire pour se sentir heureux (avoir du plaisir) en tout temps – une quête sans fin d’expériences et de distractions, certaines bonnes, d’autres mauvaises. Notre monde établi sur la satisfaction immédiate a généré une consommation effrénée bien planifiée par les promoteurs de l’économie de marché.
   Le confinement offre à chacun la possibilité de cesser de «faire, faire, faire» et de simplement «être». Ne rien faire permet de réfléchir à toutes les absurdités que l’on considère comme acceptables, importantes et nécessaires dans notre monde hyper matérialiste. Pour plusieurs, l’expansion de la pandémie représente un retard gênant au retour à la normale qu’ils souhaitent désespérément. Ils ne réalisent pas que la vie ne sera jamais plus la même. Peut-être qu’une forme d’évolution de conscience émergera. Sommes-nous en train de découvrir la différence entre l’essentiel et le superficiel (l’inutile)?
   Il est nécessaire de stopper, du moins temporairement, cette quête du «toujours plus» qui dans la tête de plusieurs signifie encore être supérieurs et donne le droit de polluer et de nuire à la vie et à la santé de la planète. En finir avec cette tendance et nous occuper sérieusement de la qualité de l’eau, de l’air et de la nourriture (qui en ce moment nous empoisonnent), devraient nous pousser à agir. Si ces questions sont désormais acceptées par certaines grandes entreprises c’est simplement parce qu’elles augmentent leur bénéfices (le faux vert, ou new green deal, est propulsé par la même cupidité entrepreneuriale). Le vieux système «tout ce qui est à toi est à moi et tout ce qui est à moi, je le garde» ne peut plus continuer. Si les vieux concepts et les vieilles croyances subsistent, les humains trouveront d’autres moyens de se détruire mutuellement et de détruire la planète pour le profit et le gain.

Malheureusement, certains spécimens humains restent foncièrement égoïstes, déraisonnables et inaptes au partage, à l’altruisme. On l’a vu avec des commandes de masques médicaux bloqués à la frontière canadienne ou carrément "volés" dans des ports – le transporteur ne respecte pas son contrat et vend au plus offrant.
   Et puis, l’histoire suivante  inquiéte car elle augure d’éventuels dérapages haineux dus à la frustration :

Agression à Sherbrooke: l’agent de sécurité toujours dans un état critique
L’agent de sécurité fauché par un client frustré par les mesures de distanciation samedi à Sherbrooke luttait toujours pour sa vie lundi matin. Son agresseur, le chauffard Nacime Kouddar, doit comparaître à nouveau en après-midi pour faire face à trois chefs d’accusation au palais de justice de Sherbrooke. L’accusé de 25 ans a déjà brièvement comparu dimanche pour des accusations d’agression armée avec un véhicule, de voies de faits graves et de délit de fuite.
   L’inexplicable agression s’est produite samedi à 17 h dans le stationnement du Walmart des Galeries Quatre-Saisons à Sherbrooke. L’accusé voulait faire ses courses avec sa conjointe, alors que le règlement ne permet qu’un client par véhicule. L’agent de sécurité Philippe Jean s’est donc interposé pour faire respecter la mesure et a demandé aux clients de partir.
   «Le client frustré a directement foncé avec son véhicule sur l’employé le traînant même sur le capot sur plusieurs mètres. Le conducteur a effectué une manœuvre pour faire tomber l’homme qui a subi de très graves blessures à la tête», a indiqué le Service de police de Sherbrooke dans un communiqué. [...]


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«La pandémie nous fait réaliser qu’on est «en train de toucher à des limites qu’on ne doit pas dépasser», illustre le militant écologiste [Dominic Champagne]. ... La littérature climatique nous dit qu’il y a dans le pergélisol actuellement des quantités importantes de bactéries, de virus, qui sont gelés là, qui n’ont jamais cohabité avec l’humanité et qui représentent en quelque sorte une bombe à retardement avec le réchauffement de la planète. Donc, il y a des menaces, réelles, qu’on vit dans notre chair. ... Il faudrait que la crise dure assez longtemps pour avoir des conséquences profondes pour nous obliger à des changements de comportements pour le mieux, pour une vie plus saine. Devant la nature, on se retrouve bien humble devant la multiplication des sécheresses, des inondations, des cataclysmes, et là on a déjà commencé à toucher à cette humilité-là avec ce virus invisible. ... Depuis déjà quelques semaines, certains se réjouissent en tout cas de voir l’environnement s’assainir, du fait du confinement de la population et de la fermeture des entreprises... Ce qu’on vit actuellement n’est pas de l’ordre de la décision. La nature nous impose des changements de comportements et une prise de conscience. Souhaitons que cette expérience nous permette de prendre des décisions qui sont à la hauteur des défis auxquels nous faisons face.»


AVONS-NOUS LE DROIT DE SAVOIR? 

La Chine nous a-t-elle induits en erreur?
Mylène Crête à Québec
Le Devoir / 4 avril 2020

Des sources au sein du renseignement américain ont remis en doute mercredi les statistiques du gouvernement chinois sur l’ampleur de l’épidémie de coronavirus, selon l’agence Bloomberg. Quelques jours auparavant, l’urgentiste français Patrick Pelloux dressait le même constat sur les ondes de Radio-Canada. Or, depuis janvier, politiciens et experts de la santé publique s’appuient en partie sur l’expérience chinoise pour réagir à la pandémie. Comment se fier à ces premières données colligées par un gouvernement autoritaire? «On pense que les Chinois nous ont menti sur les chiffres, en fait, a lâché M. Pelloux mardi au micro de Patrick Masbourian. On pense que sur la gravité, ils nous ont menti.»


State of the ark (cover); Lee Durrell, Gaia Books Limited, 1986

Le pari et les périls de la transparence
Daniel Thibeault
Radio-Canada Info / 3 avril 2020

La question a été posée à Justin Trudeau de différentes façons une bonne demi-douzaine de fois lors du point de presse de jeudi. Quand le gouvernement fédéral va-t-il rendre publics les scénarios de propagation de la COVID-19?
[...]
   «La population en général n’a pas les outils pour être capable de bien interpréter ces données scientifiques», explique Simon Lapierre, professeur à la faculté des sciences sociales de l’Université d'Ottawa. «C’est un équilibre à trouver : [...] fournir suffisamment d'information [...] pour que les gens puissent se faire une tête et qu’ils aient l’impression qu’on ne leur ment pas, qu’on leur donne l’heure juste.»
   Justin Trudeau doit donc trouver comment entretenir la transparence sans créer la panique, et éviter surtout d’être accusé de cacher la réalité aux Canadiens. En donner assez pour qu’ils comprennent; en donner assez surtout pour éviter les surprises si les choses devaient empirer.
   La seule donnée mise de l’avant par le fédéral jusqu’ici, c’est la possibilité que de 30 à 70 % des Canadiens soient infectés. [...]
   L’autre élément qui vient peut-être alimenter le peu d'empressement que semble avoir le fédéral, c’est la docilité de la population. «Les Canadiens respectent assez bien les règles», soulignait une personne impliquée dans la réflexion, qui ajoutait du même souffle que le gouvernement avait toujours l’intention de dévoiler ses projections, «correctement». [...]
   Mais cette docilité pourrait être mise à rude épreuve d’ici quelques jours, alors que les journées rallongent et que le soleil gagne en vigueur. Après plus de deux semaines d’isolement, l’idée d’un grand bol d’air frais pourrait bien l’emporter sur celle de respecter les consignes de la santé publique.
   Un scénario catastrophe, avec lequel arrive rapidement le risque d’une deuxième voire même d’une troisième vague et où les restrictions que nous apprivoisons à peine deviennent la norme pour plusieurs mois.
   De lourdes conséquences que les gouvernements souhaitent éviter à tout prix. Peut-être que dans ce contexte, se faire expliquer un scénario où des milliers risquent de mourir devient le traitement-choc qui permettra de traverser la crise en limitant les dégâts.


L’insoutenable inutilité de l’être
Josée Blanchette
Le Devoir / 3 avril 2020

Serions-nous, avec cette crise, en train de réinventer la définition même de l’utilité ? De soupeser le salaire d’un joueur de football sur la balance désinfectée d’une caissière d’épicerie ? De revoir les services «essentiels» (relatifs au fait d’être, essentialis en latin). L’être fait-il un retour après des décennies d’avoir? Les dimanches nous seront-ils rendus comme autant de doux carêmes?
[...]

JOBLOG
La loterie de la vie
J’ai conversé avec l’éthicienne clinique Delphine Roigt, qui a planché sur les protocoles éthiques qui seront appliqués dans les hôpitaux advenant une pénurie de respirateurs et une saturation aux soins intensifs. «Oui, ce sera attribué à qui a le plus de chances de s’en sortir. Ce n’est pas une question d’âge. Entre un MPOC (maladie pulmonaire obstructive chronique) diabétique de 60 ans et un de 80 en pleine forme, on choisira le second. Dans un contexte de pénurie des ressources, ce sont les conditions cliniques qui priment.» Et advenant un match à égalité? «Ce sera pile ou face avec un algorithme. Pour que le personnel médical n’ait pas l’odieux de prendre une décision et de devoir vivre avec ça.» L’intelligence artificielle fera le sale boulot. Mais au-delà de ces scénarios déchirants, Delphine Roight souligne combien notre société n’est pas préparée à la mort, à sa planification, au deuil. «80 % des cas d’acharnement thérapeutique ne viennent pas des médecins, mais des familles. Les gens ne réalisent pas la violence derrière une réanimation. Et seulement 10 % s’en sortent sans séquelles. En fait, les gens s’accrochent à leurs proches parce qu’ils ont peur d’être abandonnés.»

Commentaire de Pierre Samuel (internaute) : Je lisais récemment le magnifique essai, Pièces d'identité, édition Leméac, 2017, de l'émérite journaliste-fondateur de l'Actualité, Jean Paré, d'une érudition époustouflante, abordant tous les aspects de la vie et de la mort. Concernant celle-ci notamment (p. 342) : «La mort est-elle absurde? Seulement parce que nous avons inventé l'éternité comme un possible. Elle n'est pas plus absurde que la feuille qui tombe, la dérive des continents, la vitesse de la lumière.»


À quoi ça sert, un foutu microbe?
Boucar Diouf
Humoriste, conteur, biologiste et animateur
La Presse / 4 avril 2020

[...] Forts de toutes ces informations, revenons maintenant à notre question. À quoi ça sert, un foutu virus? Il sert à occuper simplement la place qui lui revient dans la biosphère sans se préoccuper de l’utilitarisme humain. Les virus sont peut-être aussi là pour enseigner l’humilité à ce bipède qui s’attribue le droit de vie et de mort sur le reste de la création. De temps en temps, ils nous servent un avertissement pour nous rappeler que ce n’est pas bien de se prendre pour le nombril du monde. Surtout depuis que les microbiologistes nous ont appris que le nombril humain était une sorte de forêt vierge qui pouvait abriter jusqu’à 2300 espèces de microbes différents.
   J’espère de tout cœur que cette pandémie marquera au moins le début d’une remise en question sur notre place dans la création. Sans enlever la douleur aux victimes, ce serait au moins une façon de transformer tous ces drames familiaux, larmes et vagues à l’âme laissés par le virus sur son sillage en un élan de changement positif. Autrement dit, j’espère que cette menace nous poussera vers une relation plus respectueuse et durable avec la biosphère. Autrement, si nous pensons que cette turbulence n’a aucun lien avec la crise écologique et environnementale engendrée par ce que certains appellent notre capitalocentrisme, c’est que nous n’avons pas entièrement compris ce triste message.


Coronavarice
François Audet
Directeur, Institut d’études internationales de Montréal, UQAM
La Presse / 1er avril 2020

Alors que l’on commence à peine à saisir l’ampleur de l’épidémie, mais surtout, des transformations profondes qui nous attendent au lendemain d’une éventuelle victoire, nous sommes forcés de constater que nous n’avons pas encore bien compris l’origine de cette épidémie.
   Au-delà de l’épidémiologie et des enjeux de santé publique à la source de ce nouveau virus, cette épidémie est essentiellement le fruit de notre aveuglement volontaire à toutes les conséquences de notre surconsommation et de notre incapacité à faire des compromis dans nos modes de vie. Parce qu’investir dans l’inutile finit par coûter cher. En somme, c’est le prix que nous payons pour cette mondialisation asymétrique, inconsciente et effrénée.
   Sérieusement, pendant combien de temps pensions-nous vraiment que nous aurions pu maintenir ce rythme? Quand on est rendu à faire la queue au sommet de l’Everest comme chez Ikea un jeudi, à construire des hôtels et des glissades d’eau sur les dernières plages vierges et les sites protégés de la planète, à couper les dernières forêts pour le «profit». Sérieusement? [...] 
   Là, vous me dites, quel est le lien? La corrélation est pourtant simple. Au lieu de penser à qui nous sommes, nous agissons pour ce que nous voulons. «Everything now», comme le chantent si bien mes amis d’Arcade Fire. Alors que nos ressources et notre génie auraient dû être investis dans la recherche, dans la santé, dans l’éducation, dans la coopération et l’aide internationale ainsi que dans la prévention, on a préféré le plastique cheap, le kérosène des avions et le clientélisme.

Quelles sont les solutions?
Il en existe plusieurs. Elles seront douloureuses et passent toutes par le même chemin : modifier complètement notre mode de vie, notre mode de consommation, nos voyages, et nos investissements sociaux.
   Le salut passera par notre système d’éducation qui doit enseigner la pensée critique. [...]


Quoiqu’il arrive dans les jours qui viennent, profitez-en donc pour faire tous les roupillons (cat nap) que vous ne vous êtes jamais permis par crainte de passer pour paresseux ou paresseuse. C’est jouissif, quelle que soit l'heure du jour! 


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