«L’obligation de subir nous donne le
droit de savoir.»
~ Jean
Rostand, biologiste et philosophe
Que signifie
«aplatir la courbe» de propagation du coronavirus dont ne cesse de parler le Dr
Horacio Arruda?
Toutes les réponses aux questions que l’on
se pose à ce sujet et plus; en 20 minutes et compréhensible pour les nuls comme
moi. Avec en bonus un aperçu de ce que la crise climatique pourrait nous
réserver en matière d’attaques virales :
Coronavirus interview exclusive : Un
chercheur du CNRS décrypte l’épidémie pour vous.
Invité : François Renaud, chercheur du CNRS au laboratoire de maladies
infectieuses.
Rostand
disait aussi :
On tue un
homme, on est un assassin
On tue des
milliers d'hommes, on est un conquérant
On les tue
tous, on est Dieu
Ndlr : ou un méchant virus...
Les humains ont
tendance à se croire invincibles et reconnaissent difficilement l’éventualité
de leur propre déchéance ou mort, même en temps de pandémie galopante. Tout le
monde espère que les choses reprendront comme avant, une fois la «courbe aplatie».
Le mode de vie terrestre actuel est basé sur
un système de croyances qui soutient que l’être humain doit essayer de rester
sur terre dans son corps à tout prix (à ses propres dépens et ceux des autres);
que le succès consiste à accumuler le plus de «trucs» possible; qu’il faut tout
faire pour se sentir heureux (avoir du plaisir) en tout temps – une quête sans
fin d’expériences et de distractions, certaines bonnes, d’autres mauvaises. Notre
monde établi sur la satisfaction immédiate a généré une consommation effrénée
bien planifiée par les promoteurs de l’économie de marché.
Le confinement offre à chacun la possibilité
de cesser de «faire, faire, faire» et de simplement «être». Ne rien faire
permet de réfléchir à toutes les absurdités que l’on considère comme
acceptables, importantes et nécessaires dans notre monde hyper matérialiste. Pour
plusieurs, l’expansion de la pandémie représente un retard gênant au retour à
la normale qu’ils souhaitent désespérément. Ils ne réalisent pas que la vie ne
sera jamais plus la même. Peut-être qu’une forme d’évolution de conscience émergera.
Sommes-nous en train de découvrir la différence entre l’essentiel et le
superficiel (l’inutile)?
Il est nécessaire de stopper, du moins
temporairement, cette quête du «toujours plus» qui dans la tête de plusieurs signifie
encore être supérieurs et donne le droit de polluer et de nuire à la vie et à
la santé de la planète. En finir avec cette tendance et nous occuper
sérieusement de la qualité de l’eau, de l’air et de la nourriture (qui en ce
moment nous empoisonnent), devraient nous pousser à agir. Si ces questions sont
désormais acceptées par certaines grandes entreprises c’est simplement parce
qu’elles augmentent leur bénéfices (le faux vert, ou new green deal, est
propulsé par la même cupidité entrepreneuriale). Le vieux système «tout ce qui
est à toi est à moi et tout ce qui est à moi, je le garde» ne peut plus
continuer. Si les vieux concepts et les vieilles croyances subsistent, les
humains trouveront d’autres moyens de se détruire mutuellement et de détruire
la planète pour le profit et le gain.
Malheureusement,
certains spécimens humains restent foncièrement égoïstes, déraisonnables et
inaptes au partage, à l’altruisme. On l’a vu avec des commandes de masques médicaux
bloqués à la frontière canadienne ou carrément "volés" dans des ports – le
transporteur ne respecte pas son contrat et vend au plus offrant.
Et puis, l’histoire suivante inquiéte
car elle augure d’éventuels dérapages haineux dus à la frustration :
Agression à Sherbrooke: l’agent de
sécurité toujours dans un état critique
L’agent de
sécurité fauché par un client frustré par les mesures de distanciation samedi à
Sherbrooke luttait toujours pour sa vie lundi matin. Son agresseur, le
chauffard Nacime Kouddar, doit comparaître à nouveau en après-midi pour faire
face à trois chefs d’accusation au palais de justice de Sherbrooke. L’accusé de
25 ans a déjà brièvement comparu dimanche pour des accusations d’agression
armée avec un véhicule, de voies de faits graves et de délit de fuite.
L’inexplicable agression s’est produite
samedi à 17 h dans le stationnement du Walmart des Galeries Quatre-Saisons à
Sherbrooke. L’accusé voulait faire ses courses avec sa conjointe, alors que le
règlement ne permet qu’un client par véhicule. L’agent de sécurité Philippe
Jean s’est donc interposé pour faire respecter la mesure et a demandé aux
clients de partir.
«Le client frustré a directement foncé avec
son véhicule sur l’employé le traînant même sur le capot sur plusieurs mètres.
Le conducteur a effectué une manœuvre pour faire tomber l’homme qui a subi de très
graves blessures à la tête», a indiqué le Service de police de Sherbrooke dans
un communiqué. [...]
~~~
«La pandémie
nous fait réaliser qu’on est «en train de toucher à des limites qu’on ne doit
pas dépasser», illustre le militant écologiste [Dominic Champagne]. ... La
littérature climatique nous dit qu’il y a dans le pergélisol actuellement des
quantités importantes de bactéries, de virus, qui sont gelés là, qui n’ont
jamais cohabité avec l’humanité et qui représentent en quelque sorte une bombe
à retardement avec le réchauffement de la planète. Donc, il y a des menaces,
réelles, qu’on vit dans notre chair. ... Il faudrait que la crise dure assez
longtemps pour avoir des conséquences profondes pour nous obliger à des
changements de comportements pour le mieux, pour une vie plus saine. Devant la
nature, on se retrouve bien humble devant la multiplication des sécheresses,
des inondations, des cataclysmes, et là on a déjà commencé à toucher à cette
humilité-là avec ce virus invisible. ... Depuis déjà quelques semaines,
certains se réjouissent en tout cas de voir l’environnement s’assainir, du fait
du confinement de la population et de la fermeture des entreprises... Ce qu’on
vit actuellement n’est pas de l’ordre de la décision. La nature nous impose des
changements de comportements et une prise de conscience. Souhaitons que cette
expérience nous permette de prendre des décisions qui sont à la hauteur des
défis auxquels nous faisons face.»
AVONS-NOUS LE
DROIT DE SAVOIR?
La Chine nous a-t-elle induits en
erreur?
Mylène Crête à Québec
Le Devoir / 4
avril 2020
Des sources
au sein du renseignement américain ont remis en doute mercredi les statistiques
du gouvernement chinois sur l’ampleur de l’épidémie de coronavirus, selon
l’agence Bloomberg. Quelques jours auparavant, l’urgentiste français Patrick
Pelloux dressait le même constat sur les ondes de Radio-Canada. Or, depuis
janvier, politiciens et experts de la santé publique s’appuient en partie sur
l’expérience chinoise pour réagir à la pandémie. Comment se fier à ces
premières données colligées par un gouvernement autoritaire? «On pense que les
Chinois nous ont menti sur les chiffres, en fait, a lâché M. Pelloux mardi au
micro de Patrick Masbourian. On pense que sur la gravité, ils nous ont menti.»
State of the
ark (cover); Lee Durrell, Gaia Books Limited, 1986
Le pari et les périls de la
transparence
Daniel
Thibeault
Radio-Canada
Info / 3 avril 2020
La question a été posée à Justin
Trudeau de différentes façons une bonne demi-douzaine de fois lors du point de
presse de jeudi. Quand le gouvernement fédéral va-t-il rendre publics les
scénarios de propagation de la COVID-19?
[...]
«La population en général n’a pas les outils
pour être capable de bien interpréter ces données scientifiques», explique
Simon Lapierre, professeur à la faculté des sciences sociales de l’Université
d'Ottawa. «C’est un équilibre à trouver : [...] fournir suffisamment
d'information [...] pour que les gens puissent se faire une tête et qu’ils
aient l’impression qu’on ne leur ment pas, qu’on leur donne l’heure juste.»
Justin Trudeau doit donc trouver comment
entretenir la transparence sans créer la panique, et éviter surtout d’être
accusé de cacher la réalité aux Canadiens. En donner assez pour qu’ils
comprennent; en donner assez surtout pour éviter les surprises si les choses
devaient empirer.
La seule donnée mise de l’avant par le
fédéral jusqu’ici, c’est la possibilité que de 30 à 70 % des Canadiens soient
infectés. [...]
L’autre élément qui vient peut-être
alimenter le peu d'empressement que semble avoir le fédéral, c’est la docilité
de la population. «Les Canadiens respectent assez bien les règles», soulignait
une personne impliquée dans la réflexion, qui ajoutait du même souffle que le
gouvernement avait toujours l’intention de dévoiler ses projections,
«correctement». [...]
Mais cette docilité pourrait être mise à
rude épreuve d’ici quelques jours, alors que les journées rallongent et que le
soleil gagne en vigueur. Après plus de deux semaines d’isolement, l’idée d’un
grand bol d’air frais pourrait bien l’emporter sur celle de respecter les
consignes de la santé publique.
Un scénario catastrophe, avec lequel arrive
rapidement le risque d’une deuxième voire même d’une troisième vague et où les
restrictions que nous apprivoisons à peine deviennent la norme pour plusieurs
mois.
De lourdes conséquences que les
gouvernements souhaitent éviter à tout prix. Peut-être que dans ce contexte, se faire expliquer un scénario où des
milliers risquent de mourir devient le traitement-choc qui permettra de
traverser la crise en limitant les dégâts.
L’insoutenable inutilité de l’être
Josée
Blanchette
Le Devoir / 3
avril 2020
Serions-nous,
avec cette crise, en train de réinventer la définition même de l’utilité ? De
soupeser le salaire d’un joueur de football sur la balance désinfectée d’une
caissière d’épicerie ? De revoir les services «essentiels» (relatifs au fait
d’être, essentialis en latin). L’être
fait-il un retour après des décennies d’avoir? Les dimanches nous seront-ils
rendus comme autant de doux carêmes?
[...]
JOBLOG
La loterie de la vie
J’ai conversé
avec l’éthicienne clinique Delphine Roigt, qui a planché sur les protocoles
éthiques qui seront appliqués dans les hôpitaux advenant une pénurie de
respirateurs et une saturation aux soins intensifs. «Oui, ce sera attribué à
qui a le plus de chances de s’en sortir. Ce n’est pas une question d’âge. Entre
un MPOC (maladie pulmonaire obstructive chronique) diabétique de 60 ans et un
de 80 en pleine forme, on choisira le second. Dans un contexte de pénurie des
ressources, ce sont les conditions cliniques qui priment.» Et advenant un match
à égalité? «Ce sera pile ou face avec un algorithme. Pour que le personnel
médical n’ait pas l’odieux de prendre une décision et de devoir vivre avec ça.»
L’intelligence artificielle fera le sale boulot. Mais au-delà de ces scénarios
déchirants, Delphine Roight souligne combien notre société n’est pas préparée à
la mort, à sa planification, au deuil. «80 % des cas d’acharnement
thérapeutique ne viennent pas des médecins, mais des familles. Les gens ne
réalisent pas la violence derrière une réanimation. Et seulement 10 % s’en
sortent sans séquelles. En fait, les gens s’accrochent à leurs proches parce
qu’ils ont peur d’être abandonnés.»
Commentaire de
Pierre Samuel (internaute) : Je lisais récemment le magnifique essai, Pièces d'identité, édition Leméac, 2017,
de l'émérite journaliste-fondateur de l'Actualité, Jean Paré, d'une érudition
époustouflante, abordant tous les aspects de la vie et de la mort. Concernant celle-ci
notamment (p. 342) : «La mort est-elle
absurde? Seulement parce que nous avons inventé l'éternité comme un possible.
Elle n'est pas plus absurde que la feuille qui tombe, la dérive des continents,
la vitesse de la lumière.»
À quoi ça sert, un foutu microbe?
Boucar Diouf
Humoriste,
conteur, biologiste et animateur
La Presse / 4
avril 2020
[...] Forts
de toutes ces informations, revenons maintenant à notre question. À quoi ça
sert, un foutu virus? Il sert à occuper simplement la place qui lui revient
dans la biosphère sans se préoccuper de l’utilitarisme humain. Les virus sont
peut-être aussi là pour enseigner l’humilité à ce bipède qui s’attribue le
droit de vie et de mort sur le reste de la création. De temps en temps, ils
nous servent un avertissement pour nous rappeler que ce n’est pas bien de se
prendre pour le nombril du monde. Surtout depuis que les microbiologistes nous
ont appris que le nombril humain était une sorte de forêt vierge qui pouvait
abriter jusqu’à 2300 espèces de microbes différents.
J’espère de tout cœur que cette pandémie
marquera au moins le début d’une remise en question sur notre place dans la
création. Sans enlever la douleur aux victimes, ce serait au moins une façon de
transformer tous ces drames familiaux, larmes et vagues à l’âme laissés par le
virus sur son sillage en un élan de changement positif. Autrement dit, j’espère
que cette menace nous poussera vers une relation plus respectueuse et durable
avec la biosphère. Autrement, si nous pensons que cette turbulence n’a aucun
lien avec la crise écologique et environnementale engendrée par ce que certains
appellent notre capitalocentrisme, c’est que nous n’avons pas entièrement
compris ce triste message.
Coronavarice
François
Audet
Directeur,
Institut d’études internationales de Montréal, UQAM
La Presse / 1er
avril 2020
Alors que l’on commence à peine à
saisir l’ampleur de l’épidémie, mais surtout, des transformations profondes qui
nous attendent au lendemain d’une éventuelle victoire, nous sommes forcés de
constater que nous n’avons pas encore bien compris l’origine de cette épidémie.
Au-delà de l’épidémiologie et des enjeux de
santé publique à la source de ce nouveau virus, cette épidémie est
essentiellement le fruit de notre aveuglement volontaire à toutes les
conséquences de notre surconsommation et de notre incapacité à faire des
compromis dans nos modes de vie. Parce qu’investir dans l’inutile finit par
coûter cher. En somme, c’est le prix que nous payons pour cette mondialisation
asymétrique, inconsciente et effrénée.
Sérieusement, pendant combien de temps
pensions-nous vraiment que nous aurions pu maintenir ce rythme? Quand on est
rendu à faire la queue au sommet de l’Everest comme chez Ikea un jeudi, à
construire des hôtels et des glissades d’eau sur les dernières plages vierges
et les sites protégés de la planète, à couper les dernières forêts pour le «profit».
Sérieusement? [...]
Là, vous me dites, quel est le lien? La
corrélation est pourtant simple. Au lieu de penser à qui nous sommes, nous
agissons pour ce que nous voulons. «Everything
now», comme le chantent si bien mes amis d’Arcade Fire. Alors que nos
ressources et notre génie auraient dû être investis dans la recherche, dans la
santé, dans l’éducation, dans la coopération et l’aide internationale ainsi que
dans la prévention, on a préféré le plastique cheap, le kérosène des avions et
le clientélisme.
Quelles sont les solutions?
Il en existe
plusieurs. Elles seront douloureuses et passent toutes par le même chemin :
modifier complètement notre mode de vie, notre mode de consommation, nos
voyages, et nos investissements sociaux.
Le salut passera par notre système
d’éducation qui doit enseigner la pensée critique. [...]
Quoiqu’il
arrive dans les jours qui viennent, profitez-en donc pour faire tous les
roupillons (cat nap) que vous ne vous êtes jamais permis par crainte de passer
pour paresseux ou paresseuse. C’est jouissif, quelle que soit l'heure du jour!