1 mars 2020

Entrez, mais en pantoufles

Cette murale de Banksy, No Trespassing (défense de passer), met en scène un Amérindien assis par terre, qui se lamente de l'intrusion de l'homme blanc et des ennuis qu'il a apportés avec lui. [Apparue sur un mur du Mission District de San Francisco en 2010, elle fut rapidement entachée par d'autres graffitis et est désormais entièrement recouverte de peinture.]


Que pouvons-nous espérer des rencontres entre le gouvernement fédéral et la communauté Wetʼsuwetʼen? Ce n’est pas un litige qu’on peut résoudre en trois jours... Certains reprochent aux chefs de ne pas s’entendre entre eux. Les provinces ne s’entendent pas non plus sur l’exploitation des énergies fossiles à ce que je sache! S’il y a une question qui soulève l’antagonisme c’est bien celle-là.
   L’analyste politique Luc Lavoie devrait être poursuivi pour incitation à la violence; être son boss, je lui aurais montré la porte :  
«Il [Luc Lavoie] a suggéré lundi sur les ondes du 98,5 d’opter pour «un coup de [pistolet] .45 entre les yeux» des manifestants autochtones qui bloquent les chemins de fer. «Un coup de .45 entre les deux yeux, tu réveilles, mon homme. Ou tu t’endors pour longtemps», a-t-il lancé à son collègue Bernard Drainville.» (Le Devoir, 21 février 2020)

La Presse canadienne / 1er mars 2020 – Aux dernières nouvelles, selon le chef Woos, un des chefs héréditaires Wet’suwet’en, l’entente représente un jalon important pour son peuple et toutes les parties impliquées.
   «Au cours des trois derniers jours, nous avons discuté de certains sujets qui nous préoccupent tous», a-t-il indiqué aux journalistes.
   Il a toutefois rappelé que le groupe demeurait fortement opposé au passage du gazoduc sur son territoire ancestral.
   Nous continuerons de rechercher le dialogue avec la Colombie-Britannique, le promoteur et la GRC à l’extérieur du territoire. Ce n’est pas encore terminé. Il y a encore beaucoup de travail à faire.
   Le promoteur du projet de gazoduc, Coastal GasLink, n’a pas perdu de temps pour annoncer la reprise des travaux dans le secteur de la rivière Morice dès lundi.

Photo : Rivière Morice, B.C. 

«Coastal GasLink reconnaît les discussions survenues au cours des derniers jours et le fait qu’un progrès important avait été accompli pour aborder les préoccupations des chefs héréditaires Wet’suwet’en», a déclaré le président de l’entreprise, David Pfeiffer dans un communiqué publié dimanche.

Territoire traditionnel Wet’suwet’en

Une entente de principe conclue entre ministres et chefs Wet’suwet’en
Article intégral :

«La bêtise ne dépasse jamais les bornes, où qu’elle pose le pied, là est son territoire.» ~ Stanislaw Jerzy Lec

Le litige est en droite ligne avec la sale histoire de Keystone XL. Un nom différent, Coastal GasLink, mais le même propriétaire : TC Energy (TransCanada). But : acheminer le gaz albertain à Kitimat B.C. (au lieu d’au Texas), pour ensuite l’envoyer en Asie.

Évitons un deuxième Standing Rock... Les opposants avaient lutté, en vain, contre le Dakota Access Pipeline, aujourd’hui opérationnel. La fin de l’occupation avait été brutale; les forces armées utilisaient des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et des grenades, formaient des barrages de blindés. En novembre 2016, les altercations entre policiers, soldats et manifestants firent de nombreux blessés. On a rapporté la présence d’agents d’infiltration et les arrestations furent nombreuses. Bref c’était vilain.

Standing Rock 

La phase IV du projet Keystone XL, qui était au cœur du litige, fut autorisée par l'administration Trump en mars 2017. Il s’agit d’un shortcut pour transporter les hydrocarbures synthétiques et le bitume dilué canadiens de Hardisty (Nord-est de l'Alberta, Canada) jusqu'à Steele City (Nebraska, États-Unis), lieu à partir duquel les infrastructures existantes (phases II et III) permettent leur acheminement jusqu'aux raffineries du golfe du Mexique. Sa capacité de transport prévue était de 830 000 barils par jour (132 000 m3/j).
   Plusieurs groupes de militants ont consacré fonds et efforts pour contester et amener la compagnie devant les tribunaux.  Des éleveurs et des agriculteurs dont les terres étaient sur la route de l’oléoduc Keystone XL s’étaient associés aux contestations. La mobilisation avait créé un mouvement mondial de solidarité afin de promouvoir le respect des droits des minorités trop souvent persécutées, discriminées et censurées. Encore une fois en vain.
   Les communautés autochtones craignaient des fuites de pétrole, une possible pollution de l'eau et assimilaient la construction de l'infrastructure à une violation des traités historiques passés entre les nations amérindiennes et le gouvernement. En cas de fuite, les tuyaux souterrains de Keystone XL menaceraient l’aquifère Ogallala, une immense nappe phréatique de faible profondeur située sous les grandes plaines des États-Unis, du Dakota du Sud jusqu’au Texas. Elle fournit l’eau potable de 85 % des habitants du Nebraska et permet l’agriculture d’irrigation sur ces terres poussiéreuses.
   Lorsqu'en novembre 2014 la Chambre des représentants avait voté en faveur de l'oléoduc, Cyril Scott, le chef de la réserve indienne de Rosebud, où vivent nombre de Brûlés, avait déclaré : «Nous sommes une nation souveraine mais nous ne sommes pas traités comme tels. Nous allons fermer les frontières de la réserve à Keystone XL. Autoriser Keystone XL est un acte de guerre contre notre peuple.»

Standing Rock 

Même si le pétrole coule à flot dans le pipeline depuis 2017, les Sioux de Standing Rock n’ont pas lâché et réclamaient à nouveau, en novembre 2019, sa fermeture sur leur territoire.
   “To some, this may be just another pipeline in just another place. But to us, it’s not just a pipeline, it’s a threat. And it’s not just a place, it’s our home. The only one we have. Every day the pipeline represents a threat to our way of life and an insult to our culture and traditions that have withstood so much. We are still here. We are not giving up this fight.” 
~ Mike Faith, chairman of the Standing Rock Sioux Tribe 

En 2020, le pétrole brut albertain est enclavé. Les prévisions de croissance ont été réduites de moitié. Certains groupes de l'Ouest canadien anvisagent une séparation - un Wexit. Des entreprises emblématiques ont changé de nom ou ont déménagé leurs sièges sociaux; Trans Mountain a vendu l'extension de son pipeline au gouvernement Trudeau - Les PDG de la compagnie rient encore de nous avoir si bien roulés! 

Le fédéral achètera-t-il Coastal GasLink?!  

Et quid du rejeton GNL Québec?

Projet GNL Québec: une industrie dépendante des fonds publics

Colin Pratte et Bertrand Schepper
Respectivement chercheur associé et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques

La Presse, 26 février 2020

En étudiant les cadres financiers des compétiteurs de l’éventuelle usine de l’entreprise Énergie Saguenay (GNL Québec), on réalise que ce projet s’inscrit au sein d’une industrie fortement dépendante de fonds publics. Ainsi, pour voir le jour, Énergie Saguenay devra obtenir au même titre que ses concurrents un important soutien du Trésor public.

À titre d’exemple, nous pouvons citer le terminal Sabine Pass, installé dans le golfe du Mexique, qui a bénéficié de 1,69 milliard de dollars américains sous forme de congé de taxe et de subventions. Pour chacun des 225 emplois créés, l’État aurait ainsi payé 7,5 millions de dollars américains, ou se serait passé de l’équivalent en revenus. Ouvert en 2016, ce premier projet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) de l’histoire des États-Unis a exporté 40 % de son produit vers le marché asiatique, soit au Japon, en Corée du Sud et en Chine.
   Dans l’Ouest canadien, le portrait est le même. Le projet LNG Canada, dans lequel l’entreprise d’État PetroChina a investi, a bénéficié en 2018 d’un cadeau fiscal évalué à au moins 5,35 milliards de dollars de la part du gouvernement de la Colombie-Britannique. LNG Canada ne sera pas imposée sur ses revenus. En plus de cela, la taxe provinciale de vente sera annulée lors de la phase de la construction, sans compter la diminution de sa taxe carbone.
   C’est donc dire qu’Énergie Saguenay, afin d’exporter son gaz, serait en compétition directe avec ces terminaux fortement subventionnés et géographiquement mieux situés.
Les 56 projets de terminaux actuellement prévus en Amérique du Nord seront en concurrence pour alimenter le marché asiatique. L’agence Bloomberg prévoit que cette région sera responsable de 86 % de la croissance de la demande de gaz naturel liquéfié pour la période 2017-2030.
   Bref, tout indique qu’en plus des 550 mégawatts d’hydroélectricité qu’elle recevra au tarif diminué, Énergie Saguenay devra obtenir des fonds publics équivalents à ceux dont bénéficient ses compétiteurs directs. Des centaines de millions de dollars de deniers de l’État devront lui être accordés pour que ce projet dont les capitaux transitent par des sociétés établies dans des paradis fiscaux voie le jour.

Un frein à la transition énergétique

D’un point de vue écologique, la question est la suivante : à l’heure où une transition énergétique est requise pour freiner l’emballement climatique, est-ce pour ce projet d’exportation de gaz naturel non traditionnel, issu à 85 % de la fracturation, que l’argent des contribuables doit servir et que tant d’hydroélectricité doit être vendue au rabais?
   Le premier ministre reprend le discours de l’industrie lorsqu’il soutient que le GNL doit être considéré comme une énergie de transition.
   Financer ce projet dont la durée de vie prévue est de plusieurs décennies ne fera que prolonger notre dépendance aux énergies fossiles et ralentir leur remplacement par des énergies renouvelables.
   Dans tous les cas, une subvention à Énergie Saguenay ne garantit pas la réussite économique de ce projet qui a déjà de nombreux compétiteurs largement subventionnés. Un tel soutien nous assure toutefois que la transition écologique juste dans laquelle le Québec doit s’engager sera freinée.

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