«La terre
est devenue trop petite pour la méchanceté
des hommes», disait Maurice Chapelan. On peut dire aussi : trop petite pour l’avidité
des hommes.
CE QUE NOUS NE VOULONS PLUS.
Photo :
Gerald Herbert (Deepwater Horizon oil spill, 2010)
CE QUE NOUS VOULONS.
Photo : Daniel Fortin (Centre de la Nature, QC)
Une réflexion sur l’avidité, en commémoration à la
catastrophe de Lac Mégantic. Car au lieu de réduire la production et le transport
des carburants fossiles, on s’apprête à faire l’inverse, tout en sachant que d’autres
catastrophes se produiront immanquablement.
Conclusion : nous refusons de tirer les leçons appropriées et d'agir en conséquence.
Avidité,
désir, besoin
Par Jérôme
Ravenet
Le nouveau phalanstère
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Du désir à
l'avidité
Le désir renvoie à des réalités psychologiques
diverses. Étymologiquement, le mot vient du latin desiderare et de la racine sidius
qui signifie étoile. Le désir désigne la nostalgie d'une étoile dont l'homme
s'est détourné. Désir renvoie à l'idée de distraction, déviation. La racine «de-»
qui se trouve dans ce mot, marque l'idée d'une distance, d'un éloignement. Avec
le désir, l'étymologie latine nous renvoie à une erreur d'orientation. Mais
elle renvoie également au repentir qui fait suite à la prise de conscience de
cette erreur. Et le désir a pu, chez Spinoza, devenir «l’essence de l’homme en
tant qu’il existe» (Éthique) : élan, influence incitatrice de la vie, l'effort
pour exister, pour persévérer dans l'être. De la confrontation de ces deux
points de vue résulte le problème classique : le désir, obstacle ou moteur de
la connaissance.
L'approche grecque désigne le problème de
l'avidité sous le terme d'hybris ou
démesure, transgression des limites constitutives de toute vie humaine.
L'approche chrétienne soulignera le risque de pléonexie qui pousse à vouloir toujours plus, et ses risques
parallèles (philargyrie - amour des richesses -, luxure, et surtout cénodoxie -
vaine gloire - et philautie - amour de soi). L'approche stoïcienne, et plus
encore l'approche bouddhiste pointeront l'enracinement du désir dans l’illusion
subjective d'un ego qui refuse l’impermanence (anicca), le devenir, le changement, s'attache à ce qui doit s'en
aller, refuse ce qui doit advenir : refus caractéristique d'une ignorance qui expose
l'homme à la souffrance (dukkha).
Le besoin est une notion du vocabulaire
scientifique, renvoyant à un désir physiologique dont la non-satisfaction
prolongée engendre la mort (respiration, alimentation, repos). Notion qui peut
prendre un sens spirituel, si nous la resituons par exemple dans le cadre d'une
philosophie épicurienne, elle désigne alors les seuls désirs naturels et
nécessaires. La Lettre à «Ménécée» d'Épicure (mais on pourrait en dire autant
de la philosophie du Portique), défendant le parti d'une ascèse modérée, d'une
simplification de l'existence (caractéristique commune de toutes les grandes
sagesses) pose le problème éternel des rapports entre besoins et bonheur. En
effet, notre société de consommation a exagéré le sens du besoin (élevant les
désirs les plus superflus au rang du besoin). Nous sommes invités à ramener
l'existence à ses besoins fondamentaux, non par fascination pour le dolorisme
ou par culpabilité, mais parce que c'est dans la simplification de l'existence
que le sage se convoque à son point d'excellence, peut jouir d'un plaisir pur,
sans mélange d'avidité.
L'approche bouddhiste du Vipassana (Vision pénétrante) invite à surmonter les grimaces de
l'ego, pour s'élever à la sagesse (panna),
c'est-à-dire une représentation du monde et une pensée qui ne soient pas
défigurées par l'interprétation du désir-avide et de l'aversion. Voir les
choses telles qu'elles sont, sans en rajouter : mourir n'est que la
décomposition d'un agrégat corporel, etc. Les choses ne sont que ce qu'elles
sont : la sagesse les prend telle quelles, dans la perception nue de l'instant
présent, sans les juger. Pour un bouddhiste, même un besoin n'est qu'un besoin,
et cela ne signifie pas que nous ayons le droit de revendiquer et de nous
battre bec et ongle pour sa satisfaction. Ce que la société de consommation
appelle «besoins» ne renverrait finalement qu'à de faux besoins : besoins
artificiels, «psychologiques» si l’on veut, qui répondent à la définition que
nous donnions de l’appétit ou de l'avidité. Nous nous identifions à ces
besoins, les croyant nécessaires à la construction de nos vies modernes. C'est
sur ce processus d'identification que reposent tous les conditionnements qui
génèrent la frustration profonde (dukkha)
qui sous-tend en réalité l'hédonisme apparent de la société de consommation.
Cette soif de jouissance entretiendrait en réalité une profonde souffrance : M.
Rahnema l'appelle «pauvreté moderne» (op. cit.) et elle définirait proprement
la «misère spirituelle» du monde moderne.
Les discours modernes de la Bioéthique et du
Développement Durable parlent au fond très peu de cette liberté que les
sagesses opposent à la satisfaction tyrannique des appétits. On y parle
beaucoup du droit d'avoir des enfants, de disposer de son corps, ou de vivre
sur une planète habitable, etc. : on se réfère le plus souvent au sens
juridique de la liberté, on laisse la question de la liberté spirituelle au
cours de philosophie... Serait-elle devenue taboue dans l'espace public où la
vitalité des nations se mesure encore au PIB. Ici et là, certains penseurs,
économistes proposent pourtant de nous sortir de la tyrannie de l'avidité, en
élaborant d'autres indicateurs de santé économique. Ainsi du BIB, le Bonheur
Intérieur Brut. Voir par exemple : «Le prix du bonheur», de Richard Layard (éd.
A. Colin).
Bibliographie
Épicure, Lettre à Ménécée, PUF, Épiméthée, 1992.
Layard Richard, Le prix du bonheur : leçons d'une
science nouvelle, éd. Colin, 2007
Rahnema M., Quand la Misère chasse la Pauvreté,
éd. Fayard, Revue Quart Monde, n° 192.
Spinoza, Éthique, Pléiade, Gallimard, 1954.

ÉCONOMIE DE LA MISÈRE
L'économie de la misère en chiffres.
En 2009,
quelques chiffres pour méditer sur la misère, la pauvreté et la richesse :
En 1980, le salaire d'un PDG d'un grand groupe est
20 fois plus élevé que celui d'un ouvrier moyen. En 1990, il l'est 80 fois. En
2000, il l'est 530 fois.
250 personnes dans le monde accumulent une fortune
équivalent au revenu de 2,5 milliards d'individus. La fortune des 3 personnes
les plus riches équivaut au PIB des 48 pays les plus pauvres.
Il y a aujourd'hui 10 millions de millionnaires
dont la fortune s'élève à 40 700 milliards de $. 195 milliards de $, soit 0,5%
prélevés sur cette fortune suffiraient pour éradiquer la misère. Selon les
sources, on estime entre 10% et 17% les habitants de la planète qui concentrent
87% à 90% des richesses produites.
Dans le monde, le marché des stupéfiants est
estimé à 500 milliards de $. Celui de la publicité est à peu près équivalent.
L'économie financière (flux en dollar) est 30 fois
supérieure à l'économie réelle (PIB mondial). Le PIB mondial est d'environ 33
milliards de $. Le montant des transactions financières est quant à lui d'un
million de milliards de $; de ce montant seul 3% correspondraient à des biens
et des services réels. (Estimations de Bernard Lietaer, Banque Centrale de
Belgique).
Ces chiffres nous renvoient à une parole de
Gandhi, que cite N. Hulot, dans le Syndrome du Titanic 2 : «Il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux
besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de
chacun».
(Le nouveau phalanstère)