26 janvier 2015

Islam 101 pour les laïcs

Quand ça brasse sur le navire, ne t’accroche à rien qui traîne sur le pont.
(Proverbe)  

Tableau : Le Naufrage par Eugène Isabey, 1858

Dans les années 60/70, nous commencions à peine à nous dégager de l’emprise de la religion catholique. Le clergé avait certes fait des bons coups. Mais il avait aussi causé beaucoup de ravages psychologiques – suffisamment pour qu’une majorité de pratiquants attrapent la catholicophobie.

En ce moment, je ne peux même plus lire ou entendre le mot « Dieu » sans l’associer à : luttes de pouvoir politico-religieuses, guerres civiles, assassinats, terrorisme, génocides, vengeance, cruauté, barbarisme, esclavage, sectarisme, patriarcat, sexisme, intolérance, etc. Alors, pour la bonté, la bienveillance, la charité et la compassion, il faut aller voir ailleurs...

En réalité, nous ne sommes pas islamophobes, nous sommes plutôt prosélytismophobes et shariaphobes, de par une sorte d’instinct de survie. Nous sommes très chatouilleux vis-à-vis tout ce qui peut brimer les droits et libertés de l’homme, domaines politique et religieux.

J’ai mentionné avoir étudié les principales religions traditionnelles  pour mieux comprendre ce qui pousse les gens à se fidéliser à des religions ou à des sectes. Pour mieux orienter mes recherches, j’avais acheté le Dictionnaire des religions publié par les Presses universitaires de France (1985). Un ouvrage qui a le mérite de s’appuyer sur des données historiques référencées et vérifiables.

Compte tenu des événements récents et de la reprise des discussions autour d’une potentielle Charte de laïcité, et pour une meilleure compréhension de l’islam, voici un condensé des principes de base de cette religion (tiré du Dictionnaire mentionné ci-haut).

ISLAM 

       Il existe, de par le monde, près de 800 millions [1985]* d’hommes et de femmes qui s’affirment musulmans (muslimûn) : ils savent qu’en se soumettant à Dieu (Allâh) – car islâm veut dire soumission – ils lui rendent l’honneur et la gloire qui Lui sont dus comme Créateur et Maître. L’ensemble de ces croyants (mu’minûm), monothéistes intransigeants constitue une Communauté maternelle, Umma (car umm signifie mère), qui les forme et les nourrit, les imprègne et les contraint, les soutient et les exalte : c’est l’Islam en tant que société unitaire où tous et chacun se sentent solidaires et frères, malgré les nombreuses différences de race, de langue et de civilisation. Quatorze siècles d’histoire lui ont permis d’étendre son empire dans les parties essentielles du Tiers Monde afro-asiatique et d’établir une solide diaspora en Europe et en Amérique.
* [En 2007 : 21,01% et en 2014 : 2 milliards, soit 28% de la population mondiale]
       Tous ces musulmans ne sont pas des Arabes, de même que tous les Arabes ne sont pas musulmans. Le Moyen-Orient connaissait des Arabes chrétiens avant l’Islam et la langue arabe a été et demeure une langue chrétienne, en même temps qu’elle devenait la langue liturgique des Musulmans. Cependant, si les Musulmans arabes ne constituent que 20% des Musulmans, dans le monde, ils se situent néanmoins au cœur même de l’Islam, géographiquement, culturellement et affectivement. C’est pourquoi ils y jouissent d’un prestige incomparable, parce qu’ils ont été les propagateurs de l’islam durant les premiers siècles de l’épopée islamique et parce que leur langue est celle-là même en laquelle s’est présenté le Coran, le livre sacré des Musulmans. L’Arabie saoudite y bénéficie d’une certaine primauté d’honneur en tant que protectrice des lieux saints de l’Islam (La Mekke et Médine). S’ils respectent cette place privilégiée des Arabes musulmans, les Musulmans non arabes n’en sont pas moins conscients de représenter des formes aussi authentiques de l’Islam historique. Il y a des Musulmans du Pakistan, de l’Inde et du Bangladesh dont l’Islam remonte au Xe et XIe s. : c’est l’Islam indopakistanais qui a son histoire et ses caractéristiques. Plus à l’Est, il y a encore les Musulmans d’Indonésie dont l’Islam, plus récent (XVe XVIIe s.), s’est développé dans un contexte culturel très spécial (Pancasila). Au cœur de l’Asie, il y a aussi l’Islam soviétique des républiques socialistes de l’ancien Turkestan, si riche de souvenirs historiques (VIIe – VIIIe s.), où une difficile coexistence s’est établie entre communisme et Islam, tout comme il y a l’Islam chinois, aussi important que le précédent mais demeuré silencieux. Il y a encore l’Islam iranien (VIIe s.), jadis arabisé, où triomphent le Shî‘isme dévotionnel et les exigences d’une République islamique. Il y a enfin l’Islam turc qui s’est substitué peu à peu à l’Empire byzantin (XIe – XVe s.) pour s’imposer au monde méditerranéen en sa forme ottomane (XVIe – XIXe s.), avant de devenir, avec Kémal Ataturk, un Islam nationaliste et laïciste. L’Afrique, pour sa part, a connu des « islamisations » successives et fort diverses, commerciales ou guerrières : ce qu’on appelle aujourd’hui l’Islam noir à l’ouest, au centre et à l’est du continent, représente une réalité des plus variées, qui n’est pas sans croissance ni attrait, car la tradition africaine et la religion musulmane y ont souvent réussi des symbioses originales.
       Si l’Islam apparaît ainsi comme une religion majoritairement asiatique et grandement africaine et s’il n’a pas pu s’implanter définitivement en Europe et en Amérique (hormis les minorités qui témoignent de l’Islam balkanique), il est néanmoins présent actuellement en ces deux derniers continents par toute une foule de travailleurs ou d’émigrés, d’étudiants ou de chercheurs, qu’ils soient Arabes, Pakistanais ou Turcs. Nul ne peut donc plus  ignorer l’importance de cette grande religion historique qui naquit un jour à La Mekke, au début du VIIe s., et conquit à sa foi et à ses rites, en l’espace de deux siècles à peine, presque tous les pays où elle est aujourd’hui religion d’État.
       Ces pays font partie du Tiers Monde qui se veut « non aligné » : certains sont pauvres et luttent contre le sous-développement, d’autres sont riches et détiennent le pouvoir du pétrole; tous se regroupent aujourd’hui en une Conférence des États islamiques qui propose l’Islam comme solution de salut aux individus et aux États. Quel est donc cet Islam qui se présente ainsi, tout à la fois, comme idéologie et comme religion? Le fait est là : les Musulmans ont un certain projet de civilisation, en vue de construire la cité idéale dont ils rêvent depuis les origines, et ils vivent en même temps un projet religieux, où la quête des vertus personnelles et communautaires dont il faut reconnaître la grandeur. En quoi consistent donc ces deux projets?

L’Islam et son projet de civilisation 
       Partout où les Musulmans essaient de vivre ensemble, aujourd’hui, l’Islam se présente comme religion et État (dîn wa-dawla), culture et civilisation, tellement il leur semble difficile de distinguer entre le temporel et le spirituel : ils donnent presque toujours l’impression de vouloir construire un monde à part où tout Musulman pourrait se sentir à l’aise. Et les nationalismes modernes n’ont pas réussi à effacer ce sentiment qu’éprouve tout Musulman d’être chez lui en tout pays islamique, parce que membre de la « meilleure communauté que Dieu ait jamais créée sur la terre » (Coran 3, 110). Dans cette vaste communauté religieuse internationale (Umma), une véritable solidarité unit tous les Croyants musulmans, surtout en ces périodes d’exaltation collective que sont le mois de Ramadan et les jours du pèlerinage à La Mekke.
       Si l’ère musulmane commence avec l’émigration de Muhammad (hijra), en 622, de La Mekke à Médine, et si elle coïncide ainsi avec la naissance du premier État islamique dont le prophète est le chef parce que calife (khalîfa) de Dieu, cela ne signifie-t-il pas que, pour beaucoup, le projet religieux de la prédication muhammadienne à La Mekke devait nécessairement se concrétiser et se parfaire en un projet de civilisation où la politique et le droit relèveraient directement d’une Loi que Dieu aurait révélée? C’est là que s’origine la volonté collective des Musulmans de réaliser enfin sur terre la cité musulmane parfaite, « demeure de la soumission et de la justice », qui s’oppose à la « demeure de l’impiété et de la guerre ». Que l’Islam ait engendré des sociétés sacrales aux réalisations historiques multiformes suivant les califats et les dynasties, nul ne saurait le nier ni le refuser. Mais que, dans sa fidélité au Coran et au Prophète, il ait cru devoir en conclure que l’État de Médine (de Muhammad et des quatre Califes « bien dirigés », 622-661) demeurait le prototype de tout État islamique et que ce modèle restait encore valide, en tous temps et tous lieux, voilà le problème qui est au cœur du débat contemporain entre Musulmans traditionalistes ou fondamentalistes, d’une part, et Musulmans réformistes ou laïcisants, de l’autre.
      Ces derniers ont pensé, depuis un siècle, qu’il était possible d’assumer, au nom même de l’Islam, les valeurs occidentales de démocratie, de liberté et d’humanisme; d’autres, plus radicaux, veulent assimiler et exporter les valeurs de nationalisme, de socialisme et de révolution, au nom de ce même Islam. À l’opposé, les Frères Musulmans de Hasan al-Bannâ l’Égyptien, les disciples du shaykh pakistanais Mawdûdî et les partisans de l’Ayatullâh Khumaynî désirent reprendre le programme de l’idéal historique concret de la cité musulmane et voudraient même le réaliser et l’imposer par la force. Mais c’est au nom de la fidélité au projet islamique de civilisation que tous en appellent aujourd’hui à l’authenticité. Le fait est que la société islamique idéale est présentée, par beaucoup, comme l’application parfaite de cette Loi (Shari‘a) que les premières générations musulmanes ont élaborée à partir du texte même du Coran et des sentences ou actions (hadîth-s) exemplaires de Muhammad (Sunna). Il ne resterait alors qu’à en appliquer les règles à toutes situations nouvelles. C’est ainsi que l’Islam moderne se présente partout avec un droit constitutionnel, une doctrine sociale et une éthique économique des plus particularisés, tout en proposant derechef aux Gens du Livre (juifs et chrétiens) de se contenter du pacte de protection (dhimma) qu’il leur garantit.
       Certes l’Islam n’est pas qu’un projet de civilisation : il est d’abord et surtout un projet religieux qui fait de tout homme un « témoin de Dieu » et son « lieutenant » sur la terre. Mais le danger demeure, devant l’urgence des tâches temporelles (développement économique, justice sociale, révolution culturelle) de voir la foi religieuse devenir une simple idéologie et succomber ainsi, paradoxalement, à la tentation de « sécularisation » ou de « politisation » qu’elle voulait éviter, si venait à manquer à l’Islam son projet religieux.

L’Islam et son projet religieux
       Tous en témoignent : la religiosité de la société musulmane et de ses membres est un fait massif et parfois envoûtant. C’est une imprégnation religieuse de toute la vie sous tous ses aspects et jusque dans ses moindres comportements. Chacun en est fier et participe ainsi à ce triomphe des droits de Dieu (huqûq Allâh) et des lois de l’Islam dans la société temporelle, au nom du devoir communautaire de commander le bien et d’interdire la mal. C’est pour cela que la religion demeure une affaire sociale qui connaît des rythmes communautaires exaltants quand ils ne sont pas contraignants. Mais, à l’intérieur de tout cela, L’Islam est une grande aventure personnelle où le Croyant, à l’imitation de Muhammad, est invité à répondre à cette Parole de Dieu qu’est le Coran par le témoignage d’une confiante soumission (islâm) qui se traduit par un credo des plus simples, un culte fort exigeant, une conduite conforme à la Loi et une expérience religieuse intérieure qui peut aller jusqu’à l’approche mystique du Mystère. Monothéisme abrahamique arraché par Muhammad à ses développements mosaïques et christiques, l’Islam est foi au Dieu unique et obéissance à Ses Ordres : toute la grandeur de l’homme réside dans ce témoignage et ce service, puisqu’il peut dire en vérité : « Je témoigne, donc je suis. »
       Le Musulman est, avant tout, un soumis à Dieu (muslim) suivant l’exemple d’Abraham, de Moïse, de Joseph, de Jésus et de ses disciples : La Religion, aux yeux de Dieu, est la Soumission (Coran 3, 19). C’est là le monothéisme primordial de la « nature créée » (fitra), que pratiquaient ces Hanîf-s arabes dont Muhammad reprend le message et qui n’est que développement du pacte prééternel (mîthâq) par lequel les Fils d’Adam ont déjà tous reconnu que Dieu est leur Seigneur (Coran 7, 172). Abandon fondamental entre les mains du Créateur : Confie-toi en Dieu! Dieu suffit comme protecteur! (Coran 4, 81). C’est Dieu qui « met en sécurité » (mu’min) et permet donc au Croyant de dire : Le secours ne vient que de Dieu. Je me confie à Lui et je reviens repentant vers Lui (Coran 11, 88).
       En échange de cet islâm du Croyant, Dieu accorde à celui-ci un triple viatique : Sa Parole, le Coran, Son Prophète, Muhammad, et Sa Communauté, l’Umma, qu’il propose à sa méditation, à son imitation et à sa consultation. Livre merveilleusement descendu en la Nuit du Destin (Coran 97, I) et révélé peu à peu à Muhammad sous forme de dictée divine en langue arabe, belle et claire, au cours des vingt-trois années de son ministère apostolique, le Coran participe de la Parole incréée de Dieu même; pour le Musulman, Dieu y a tout dit et nul ne saurait y ajouter quoi que ce soit : Voici le Livre! Il ne renferme aucun doute; il est une direction pour ceux qui craignent Dieu, ceux qui croient au Mystère (Coran 2, 2-3). C’est en le psalmodiant et en le méditant que le Croyant le fait passer de l’écriture à son cœur en passant par la langue : étapes essentielles d’une intériorisation de la Parole au cours de laquelle l’intelligence et la sensibilité du Musulman arrivent le sens apparent (zâhir) et le sens caché (bâtin) du Message éternel, à lui confié dans le temps. Son esprit critique ne peut pas s’y appliquer ni sa raison en douter, mais sa science et sa culture savent lui donner des commentaires merveilleux, car le Coran est, pour tout Musulman, la sage souvenance (dhikr) des Signes de Dieu et la joyeuse communication de Ses Ordres et de Ses Interdits.
       Un bel exemple (Coran 33, 21) a d’ailleurs été laissé à tous en la personne de leur Prophétie, Muhammad, (Coran 68, 4), « homme parfait et prophète privilégié ». Les premières générations de Musulmans se sont attachés à en recueillir les paroles et les gestes, et les autres y ont ajouté les vérités, les vertus et les mérites qui  étaient dignes de lui : au terme, le Sceau des prophètes se présente à tous comme infaillible et impeccable. Dépassant ce que fut réellement le Muhammad de l’histoire, les Musulmans essaient donc d’imiter le Muhammad de la foi, d’en revivre l’expérience religieuse et d’en intérioriser les valeurs spirituelles. Ils sont d’ailleurs puissamment aidés, en cela, par la Communauté elle-même, qui les initie au texte du Coran et à la vie du Prophète, car ils ont appris de ce dernier que « jamais sa communauté ne sera unanimement d’accord sur une erreur ». Infaillibilité de la famille des Croyants qui garantit à chacun la certitude d’être inséré dans la Tradition vivante la plus authentique. Tels sont les trois viatiques du Musulman sunnite, auxquels le Musulman shî‘ite ajoute l’imitation de Alî, cousin et gendre de Muhammad, et celle des meilleurs de leurs descendants.
       Nourri quotidiennement à cette triple source, le Musulman peut d’autant mieux vivre sa foi (imâm) qu’elle est simple, monolithique et inconditionnelle. Il sait proclamer l’unité, la grandeur et l’honneur de Dieu à temps et à contretemps, évitant de Lui associer qui ou quoi que ce soit, ce qui le rend d’autant plus soupçonneux vis-à-vis du monothéisme des chrétiens. Il médite les 99 Très Beaux Noms de Dieu mais se refuse à L’interroger sur Son identité dernière. Il croit aux Anges, aux démons et aux djinns. Il vénère toute la Tradition prophétique, qui va d’Adam à Muhammad, en passant par Abraham, Moïse et Jésus. Il adhère à la Torah, à l’Évangile, aux Psaumes et au Coran, bien qu’il ne consulte guère les trois premiers de ces Livres sacrés, car les deux premiers sont falsifiés et le troisième ne fournit aucune loi nouvelle. Il sait que l’histoire s’achèvera un jour et que la Résurrection, le Jugement et l’Ultime Vie (Paradis ou Enfer) représentent une eschatologie universelle où triomphera la toute-puissante Miséricorde de Dieu, le meilleur de ceux qui pardonnent (Coran 7, 155).
       L’humble service qu’il fournit au Dieu des Miséricordes réside dans le culte dépouillé qu’il Lui voue depuis sa puberté jusqu’à sa mort « résignée » : confession de la foi (shahâda), prières quotidiennes (şalât), jeûne (şawm) de Ramadân, aumône légale (zakât) ou surérogatoire, pèlerinage à La Mekke (hajj). Rites simples et nets, accomplis individuellement en personne responsable, ou dans la ferveur d’une société qui jeûne, unanime, ou qui « pèlerine » communautairement aux Lieux de la Révélation, ils appellent une intériorisation profonde où la spiritualité du soufisme a su voir les premières étapes d’un itinéraire vers Dieu, tandis que l’orthodoxie sourcilleuse y fixe les sommets ordinaires de l’expérience musulmane de Dieu. Au-delà de l’accomplissement intériorisé de ce culte et de l’obéissance plénière à la Loi, certains Musulmans ont su accéder aux voies ascétiques de la purification du cœur : le repentir d’abord (tawba), les privations ensuite (zuhd) et l’abandon enfin (tawakhul) permettent d’arriver à une connaissance supérieure de Dieu (ma‘rifa) où la proximité (qurb) et la rencontre (liqâ’) laissent entrevoir la vision, comme le fait pressentir le Coran lui-même : Ce jour-là, il y aura des visages brillants qui tourneront leurs regards vers le Seigneur (75, 22-23), car Dieu est la lumière des cieux et de la terre... Lumière sur lumière! Il guide, vers Sa Lumière, qui Il veut (24, 35). Ce fut là le privilège des Mystiques, que l’Islam orthodoxe a souvent suspectés et parfois condamnés : la distance infinie qui sépare le Croyant de son Dieu ne saurait jamais être comblée, car le culte n’est que service, la foi n’est que témoignage et la vie n’est que soumission. Mais Dieu sait Se rendre proche du Croyant, lui témoigner Sa satisfaction et le combler de Ses miséricordes. Grandeur étrange et fascinante d’une transcendance qui entraîne l’homme à rechercher la Face du Dieu et à en proclamer les Plus Beaux Noms! Dieu semble lui refuser l’entrée de Son Mystère mais lui donne cependant d’être assez grand pour en être le Témoin à tout jamais.

Maurice Borrmans.

ISLAM en Afrique noire

        L’islam est en relation avec le continent noir dès ses origines et il représente aujourd’hui une religion majeure de l’Afrique. Dans le monde musulman, l’islam africain constitue l’une de ses cinq grandes aires culturelles, avec l’islam arabe, l’islam turc, l’islam irano-indien, et l’ensemble malais et indonésien. Loin d’être un univers religieux monolithique et figé, cet islam est cependant un ensemble du fait, surtout que les communautés s’affrontent à des questions fondamentales analogues, qu’il s’agisse des rapports au fonds culturels des sociétés ou des relations aux situations politiques et économiques des populations dans lesquelles il est inséré, indépendances récentes et économies en voie de développement.

I – Nombre de musulmans en Afrique [1985]*  
       Les chiffres ne peuvent être que très approximatifs, mais nous pouvons proposer des pourcentages assez significatifs malgré tout, en parcourant l’Afrique d’ouest en est :
- Le Sahel est musulman à 70%, avec de fortes majorités en Mauritanie, au Sénégal, au Niger.
- Sur le golfe du Bénin, moins le Nigéria, les populations sont musulmanes à 20% et plus.
- Le Nigéria qui a près de 80 millions d’habitants, est musulman à près de 48%; le Tchad à 50% de sa population, dans sa partie nord surtout.
- À l’est du continent, les pays à forte majorité musulmane (de 70 à 100%) sont le Soudan, la Somalie, Djibouti; l’Éthiopie serait islamisée à près de 50%.
- Plus au sud, Tanzanie, Mozambique, Kenya, Ouganda et Malawi ont chez eux d’importantes minorités musulmanes : 15% pour l’ensemble, avec 30% en Tanzanie. 
       Pour toute l’Afrique noire, il faut compter quelque 110 millions de musulmans sur près de 350 millions d’habitants, soit plus de 30%. Dans l’ensemble du monde musulman, qui compte au moins 780 millions de fidèles, les Africains représentent ainsi 14%.
[...]
Chaque fois que les structures ethniques ont été mises en cause, avec la création du commerce itinérant, avec le développement des grands empires, avec l’urbanisation moderne, l’islam a joué un rôle d’intégration socioreligieuse, assez semblable à celui qu’il a joué avec Muhammad lui-même en Arabie : le Coran est témoin de premier ordre du passage de l’animisme tribal au monothéisme universel.
       Les processus de passages sont infinis, selon les peuples, selon l’histoire; les formules se combinent sans cesse. De la juxtaposition jusqu’à l’établissement sans partage de l’islam, toutes les « ruses » de la concurrence ont été employées, dans la coopération comme dans la rivalité et le conflit violent. Dans les rites comme les mythes, des amalgames ont été opérés selon des règles repérables, liées à la situation de faiblesse ou au contraire dominante de la foi, avec des africanisations de la religion coranique, ou l’islamisation de cultes africains. [...]  

IV – Enjeux actuels
       [...] Si donc l’islam s’est propagé en Afrique et s’y est enraciné, on ne peut l’attribuer sérieusement à la facilité de la morale pas plus qu’à la simplicité du dogme en islam, ni davantage à la prétendue aptitude des Africains au syncrétisme et à l’assimilation. Afrique et islam avaient des raisons de se rencontrer, d’entrer en relation comme de s’affronter dans le domaine proprement socioreligieux; c’est ce qui explique l’efficacité de facteurs d’islamisation sans rapport direct avec la religion, comme jadis la traite des esclaves, le commerce à grande distance, la sédentarisation des nomades et les phénomènes de détribalisation, l’extension de la vie urbaine, certaines politiques coloniales d’autrefois, les politiques nationales d’aujourd’hui et l’influence des grands mouvements internationaux. À l’échelle locale, bien d’autres facteurs entrent en jeu, la réussite temporelle de certains musulmans, les unions matrimoniales... Mais il fallait les aptitudes foncières à la rencontre pour que tous ces facteurs soient agissants, face à bien d’autres facteurs-freins qui peuvent expliquer les lenteurs de l’islamisation. Ceux-ci relèvent surtout du caractère étranger du monde islamique dans certaines régions; d’autres du fait qu’en zone musulmane, aucune religion officielle ne s’est mise en place, laissant le champ libre à un islam « de brousse » sans sanction, avec un foisonnement de marabouts de second ordre profiteurs de la crédulité publique. L’islam en Afrique noire est une longue histoire jamais arrêtée, une incontestable évolution vers le monothéisme coranique, dont les rythmes sont en train de s’accélérer.

Luc Moreau.

* Les choses se sont dramatiquement accélérées depuis 1985.
Quelques pays cités plus haut (statistiques 2014) :
Kenya : 33%
Tchad : 50%
Éthiopie : 50%
Soudan : 97%
Somalie : 100%

LOI MUSULMANE (Sharî‘a) 

       Puisque la soumission (islâm) à la volonté de Dieu se traduit par l’obéissance (tâ‘a) à Ses lois et définitions (hudûd Allâh) et puisque le Coran ne propose de Dieu que les signes de Son existence, les preuves de Son unicité et la variété convergente de Ses Très Beaux Noms, sans que jamais Son Mystère ne soit rejoint, pénétré ou compris, il s’ensuit que le Livre sacré des Musulmans est considéré par ceux-ci, avant tout, comme une Guidance (Hudâ) et une Voie ou Loi (sharî‘a) qui permet de progresser, sur le Droit Chemin (Sirât mustaqîm) qui mène jusqu’à Dieu. Message sur Dieu, le Coran est donc aussi et surtout constitution pour l’état, code civil pour les personnes, droit pénal pour la société, guide des bonnes manières pour les Croyants et recueil de rubriques pour le culte. Explicité par l’enseignement et l’activité du  Prophète (Hadîth), de ses Compagnons et de leurs Suivants, cet ensemble de règles s’est très vite codifié au IXe s. en un corps de doctrine (avec des variantes d’Écoles très minimes) qui dicte à chacun la conduite à tenir dans ses rapports avec Dieu (culte ou ‘ibâdât) et avec ses semblables (transactions humaines ou mu‘âmalât), au sein d’une société islamique où une politique conforme à la Loi religieuse a été définitivement fixée du droit musulman.
       La doctrine ash‘arite, prévalente en théologie, considère que les actes humains ne sont bons qu’en fonction d’une volonté positive et arbitraire de Dieu : il ne saurait donc y avoir, en Islam, de morale naturelle et on n’y peut guère envisager que la valeur des actes dérive de leur être même ou de leur finalité intrinsèque. Dieu fait ce qu’Il veut, répète le Coran, où le Créateur dit à Muhammad (et donc aux siens) : « Nous t’avons placé sur une Voie (sharî‘a) procédant de l’Ordre (amr), suis-la donc » (45, 18). La morale islamique relève donc entièrement de la Loi positive divine, laquelle fournit aux Croyants une appréciation religieuse, éthique et juridique (hukm) de toutes les circonstances de la vie à travers les conclusions auxquelles les Écoles ont abouti à partir des sources primaires du Droit (Coran et Hadîth) et des sources secondaires qui les explicitent (ra’y/qiyâs et ijmâ). Il s’ensuit que les actes humains sont classés en cinq catégories; ils sont : 1) obligatoires (fard/wâjib) et méritent récompense ou châtiment si on les accomplit ou non; ou 2) recommandés (mandûb/mustahabb) et leur accomplissement est récompensé; ou 3) permis/indifférents (mubâh, jâ’iz) et leur accomplissement ou leur négligence n’engendre aucun effet; ou 4) réprouvés (makrûh) dont l’accomplissement, bien que blâmé, ne saurait être puni; ou 5) interdits/défendus (harâm/mahjûr), et leur sanction est toujours le châtiment. Quant à la responsabilité juridique et morale (taklîf), qui commence avec la puberté, elle varie suivant que l’acte obligatoire l’est à titre personnel (fard ‘ayn)  ou à titre communautaire (fard kifâya); dans ce dernier cas, il suffit que certains membres de l’Umma s’en acquittent.
     Puisque l’Islam est la « religion de la nature créée » (dîn al-fitra), les jurisconsultes affirment volontiers que cette Loi est valable pour tous les temps et pour tous les lieux, bien qu’elle ait été spécifiée, en son temps, pour une société déterminée. Elle est supérieure à la loi naturelle, car elle est claire, simple et stable, alors que celle-ci est confuse, variée et changeante dans ses élaborations. Elle est supérieure aux lois positives humaines qui dépendent de législateurs instables ou de majorités parlementaires variables et ne sauraient donc engager la conscience. C’est une Loi qui sauvegarde l’intérêt général de l’humanité en même temps que les cinq biens fondamentaux de la personne humaine : religion (dîn), personne (nafs), intelligence (‘aql), descendance (nasab) et biens (mâl). Elle tient compte de tous les besoins de l’être humain et lui évite toute gêne et toute peine; aussi l’affirmation divine que redit le Coran : « Nous avons fait de vous une Communauté Médiane (Umma Wasat) » (2, 143), est-elle interprétée comme un refus de toute extravagance, par excès ou par défaut, bien qu’une hiérarchie y soit établie entre les biens de première nécessité, de simple besoin ou de superflu.
       Puisque cette Loi embrasse tour à tour le Credo (‘Aqîda) et le Culte (‘Ibâdât), ainsi que les Transactions humaines (Mu‘âmalât), l’exercice du pouvoir, la protection de l’État et la promotion de la condition humaine, les jurisconsultes ont admis que, si nulle évolution ne saurait jamais affecter les deux premiers chapitres, les autres étaient cependant soumis aux variations des âges et des cultures. Il est certain que le statut personnel (mariage, filiation, droits des personnes), y compris le droit successoral, principe à la fois au caractère immuable des premiers et aux manifestations variables des autres : c’est là que le débat est des plus aigus entre traditionalistes ou fondamentalistes, d’une part et réformistes ou laïcistes, de l’autre.
       En effet, le Credo s’est stabilisé à tout jamais (Tawhîd et Théologie musulmane), puisqu’il est shahâda ou confession de foi, et le Culte (‘ibâdât) ne saurait changer dans ses rites : tout manuel de Droit commence par les mêmes chapitres sur la prière (şalât) de Ramadan, l’aumône légale (zakât) et le pèlerinage (hajj). À ces cinq piliers (arkân) de l’islam s’ajoute souvent un sixième, celui de l’effort ou de la guerre (jihâd) pour étendre le règne de l’islam sur la terre. Les Mu‘âmalât, au contraire, ont été soumises aux aléas de l’histoire et aux variétés des us et coutumes, puisqu’elles ont toujours dépendu, plus ou moins, de législations séculières (qânûn, pl. qawânîn). On sait que les traités classiques sur le califat ne régissent plus le droit constitutionnel, bien que celui-ci maintienne partout une religion d’État, l’Islam, et une source fondamentale à toute législation, la Loi ou Shari‘a. Les droits réels dépendent également de maints compromis juridiques entre coutumes locales, principes musulmans et législations étrangères ou internationales. Le commerce, l’industrie et l’administration ont désormais leurs propres règlements ou lois. Quant au droit pénal, on sait qu’il s’est modernisé partout, bien que la revendication fondamentale exige que l’on en revienne aux châtiments corporels prévus par le Coran ou le Hadîth pour le voleur (main coupée) ou l’adultère (flagellation ou lapidation). C’est donc dans le domaine du statut personnel (Ahwâl shakhşiyya) que, paradoxalement, la loi religieuse maintient encore ses exigences anciennes. Sauf exception, les codes musulmans modernes de la famille maintiennent la permission polygamique en faveur du mari (tout en visant à garantir un traitement équitable entre les coépouses), l’empêchement de disparité du culte en matière de succession (nul musulman n’hérite d’un non-musulman, et vice versa) et en cas de mariage mixte de la musulmane (elle ne saurait jamais épouser qu’un musulman), le caractère transitoire de l’empêchement encouru par trois répudiations ou divorces qui se suivent (Coran 2, 230), l’inégalité des parts entre cohéritiers de sexes différents (« Au mâle, portion semblable à celle de 2 filles », Coran, 4, 11 et 176), le pouvoir arbitraire qui est reconnu au mari de répudier sa femme quand et comme il veut, le rattachement au seul père de la filiation légitime des enfants, le refus opposé à la femme d’exercer une quelconque tutelle sur ses enfants, les limitations fixées à la garde que la mère exerce sur ses enfants, etc. Tels sont les points de résistance irréductible d’un Droit qui entend être fidèle à la Loi et considère que le Statut Personnel relève des ‘ibâdât plus qu’il ne dépend
des mu‘âmalât.
       Ce faisant, le juridique reste lié à l’éthique et celui-ci au métaphysique sans distinction aucune, comme cela se produit également dans les livres juridiques de la Bible. Cela engendre alors, chez le musulman sincère, une conscience scrupuleuse (wara‘) et un zèle indéfectible en faveur de la Loi : celle-ci n’est-elle pas l’expression parfaite de la Volonté de Dieu sur les hommes et y obéir ne relève-t-il pas du parfait islâm? On comprend alors pourquoi les fondamentalistes musulmans réclament l’application intégrale de la Shari‘a dans les sociétés islamiques et veulent, en économie, des prêts sans intérêt, des contrats sans aléa et une association capital-travail. Une saine compréhension de la Shari‘a et de sa portée exacte (inspirer la morale ou dicter le droit?) dépend donc étroitement de la « lecture » que les croyants font du Coran et de la Sunna.

Maurice Borrmans.

En complément :
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/10/les-sectes-mythes-et-realites.html
et libellé Religions

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