Étrange coïncidence, en effet, que de buter sur ce poème de Boris Vian ce matin. Comme l’histoire se répète! On dirait un vieux vinyle rayé. 
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| Kroll, dessinateur de presse. Source: TV5 Monde | 
La Java des bombes atomiques 
Mon oncle un fameux bricoleur 
Faisait en amateur des bombes atomiques 
Sans avoir jamais rien appris 
C’était un vrai génie question travaux pratiques 
Il s’enfermait toute la journée 
Au fond de son atelier pour faire ses expériences 
Et le soir il rentrait chez nous 
Et nous mettait en transes 
En nous racontant tout : 
“Pour fabriquer une bombe “A” 
Mes enfants croyez-moi 
C’est vraiment de la tarte 
La question du détonateur 
Se résout en un quart d’heure 
C’est de celles qu’on écarte 
En ce qui concerne la bombe “H’ 
C’est pas beaucoup plus vache 
Mais une chose me tourmente 
C’est que celles de ma fabrication 
N’ont qu’un rayon d’action 
De trois mètres cinquante 
Il y a quelque chose qui cloche là-dedans 
J’y retourne immédiatement!” 
Il a bossé pendant des jours 
Tachant avec amour d’améliorer le modèle 
Quand il déjeunait avec nous 
Il dévorait d’un coup sa soupe aux vermicelles 
On voyait à son air féroce 
Qu’il tombait sur un os 
Mais on n’osait rien dire 
Et puis un soir pendant le repas 
Voilà Tonton qui soupire et qui s’écrie comme ça: 
“À mesure que je deviens vieux 
Je m’en aperçois mieux 
J’ai le cerveau qui flanche. 
Soyons sérieux, disons le mot 
C’est même plus un cerveau 
C’est comme de la sauce blanche 
Voilà des mois et des années 
Que j’essaie d’augmenter 
La portée de ma bombe 
Et je ne me suis pas rendu compte 
Que la seule chose qui compte 
C’est l’endroit où elle tombe 
Il y a quelque chose qui cloche là-dedans 
J’y retourne immédiatement 
Sachant proche le résultat 
Tous les grands chefs d’état 
Lui ont rendu visite 
Il les reçut et s’excusa de ce que sa cagna 
Était aussi petite 
Mais sitôt qu’ils sont tous entrés 
Il les a enfermés en disant “soyez sages” 
Et quand la bombe a explosé 
De tous ces personnages il n’est plus rien resté 
Tonton devant ce résultat ne se dégonfla pas 
Et joua les andouilles 
Au tribunal on l’a traîné et devant les jurés 
Le voilà qui bafouille: 
“Messieurs c’est un hasard affreux 
Mais je jure devant Dieu 
Qu’en mon âme et conscience 
En détruisant tous ces tordus 
Je suis bien convaincu 
D’avoir servi la France” 
On était dans l’embarras 
Alors on le condamna et puis on l’amnistia 
Et le pays reconnaissant l’élut immédiatement 
Chef du gouvernement.
Boris Vian, 1920-1959 
 
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