Hélène Monette 
Poète et romancière québécoise 
Comme une vielle savate dans la savane
je me penche sur la beauté du monde
pas grand-chose
des panneaux-décors offrent des destinations touristiques extrêmes
ça m’apprendra à m’occuper de la cigale, du brin d’herbe et du caillou
dans un monde pareil
où la beauté, même laide, se paye 
LÀ OÙ ÉTAIT ICI; Boréal 2011 
Dans cette suite de Paysages kitsch, Hélène Monette fait varier les perspectives. Qu’est-ce qui nous retient ici? Le monde est-il vraiment plus vivable quand on est là-bas? Avec cette écriture tendue, intense, inimitable qui est la sienne, elle mêle indignation et compassion pour nous bouleverser encore une fois. 
*** 
LA CONFORMITÉ 
Même les copains 
ils disent 
conforme 
le jeu est conforme 
au demeurant vestimentaire, la femme est conforme 
la vie est conforme 
ou déplacée 
ahurissante, la vérité n’est pas vraie 
comme c’est définitif 
rien pour écrire un poème à sa fille 
une lettre à son fils 
une larme à sa sœur 
rien pour écrire une symphonie ces jours-ci 
les jours sont encrassés comme l’ennui 
la dérision s’est emparée du réchauffement des glaciers 
faites-moi grâce de tout de ce qui est conforme à ce diktat 
à ce dégât 
à ce glacier fondu au noir enchaîné 
on peut rêver de la fonte du conforme 
l’humanité disparaîtra avant 
le conforme après 
car tout est conforme en premier comme en dernier
l’idiotie est conforme 
le mensonge est de bonne conformité 
je vous attendais là où vous m’attendiez 
oui, mais, conforme à quoi? 
sais pas 
c’est la société, lourde et méchante 
jolie et conforme 
à la couleur des poumons dans les forêts brûlées 
c’est la société sur la terre de tous 
qui rend l’humanité conforme 
aux bozos de la définition plate 
le zéro est conforme
et le reste, c’est la terre dans un coin 
qui n’en peut plus de suer 
on marche ces temps-ci avec un couteau dans le dos 
bien fiché entre les omoplates 
un couteau solide, bien à sa place
le couteau est conforme à l’amour qui perdure 
entre les dortoirs battus en neige 
entre les îles inondées 
cela est exact 
tout est à sa place 
la boue et l’océan 
le billet de loto 
le mauvais numéro 
et le spectacle 
le grand spectacle se démène sur l’écran qui meurt 
comme c’est comique, le comique est conforme 
au comique 
il n’y a pas d’erreur 
toute cette logique est pathétique 
l’univers tourne dans les yeux de nos bien-aimés 
cailloux en feu 
dans l’au-delà très profond sans pareil 
L’AMOUR POSTMODERNE 
Ces voitures bénies des dieux 
elles nous ont roulé dans les yeux 
elles nous ont roulés 
ces ameublements-vedettes 
nous ont infligé le virus 
du chiche pour la dette 
le train-train morose dans l’assiette 
qu’importe, nos haillons sont corrects 
et notre culture fait dans le désert contrôlé 
Les téléviseurs, les magazines, l’image de la vie 
chéri 
ils nous ont concocté un bordel de très petites misères 
boîte vocale sans commentaire
deux pour un, nuit du cœur 
il y a apparence de comédie dans le rétroviseur 
l’amour est postmoderne 
Le romantisme nous a massacrés, mon chou 
moral distant, plaisir expert 
pouvoir du noir, excellence du neutre 
la vérité n’a pas de cœur 
pas de poème dans le tiroir 
pas de victoire dans le cercueil, cherchez l’erreur 
une bouteille est imprimée 
dans ces yeux 
qui nous ont roulés 
temps compté, Narcisse en fleur 
il y a apparence de joie dans le réfrigérateur 
l’amour est postmoderne 
guerriers de l’émergence, jeunes volontaires 
il y a apparence d’histoire dans le collimateur 
âme insaisissable, stress inoxydable 
il y a un penchant pour la saturation chez le consommateur 
le vide est circulaire 
Le nucléaire nous a blasés, mon lapin 
coke en stock, veau de grain 
ombres atomiques, vies parallèles 
traitement de l’image, meurtres virtuels 
montée de la droite, vedettes en forme 
après le bip, il n’y a personne 
l’âme en principe et le psy aux talons 
sachet individuel, maxi-protection 
l’ego est pathogène 
dans une solution chimique 
aigre-douce rehaussée assez 
assez rehaussée, assez! 
larmes artificielles, soleil archaïque 
il y a apparence de fissure dans le réacteur 
la crème est renversée 
dépêche-toi de rentrer 
dans tes petits souliers 
dépêche-toi 
l’amour est postmoderne 
LE BLANC DES YEUX; Boréal 1999
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